#Roman francophone

Pirates

Fabrice Loi

Tony Palacio, forain, trompettiste de jazz, quitte la loterie familiale et monte à Marseille. Entre survie et petits trafics, il y rencontre Max Opale, un ancien militaire devenu expert en balistique. Tour à tour ami, mentor et rival, Max Opale initie Tony à la violence dans une enquête liée aux pirates de Somalie. Et avec Awa, femme d'Opale et soprano sud-africaine, Tony Palacio vivra un singulier duo... Plus encore : Awa lui apprendra que tous les mondes ne se valent pas. Au-delà du destin tragique de Tony, homme libre, Pirates dessine un portrait de Marseille, ville splendide, tendre et brisée, et des infortunés d'ici et d'ailleurs. C'est aussi le récit d'un mystère africain, et des conflits contemporains, aux guerres fragmentées qui prospèrent sur l'oubli et le mensonge. Un roman sur nos idéaux, et sur les liens qui unissent musique, poésie et politique.

Par Fabrice Loi
Chez Editions Gallimard

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Genre

Littérature française

Au Capitaine

La plage de Ouidah, au Bénin, est un lieu sauvage. J’ai profité de ma permission pour aller dormir là, sous les frondaisons des cocotiers, abrité du vent et des ondées.

Au matin suivant mon arrivée, j’y regardais, assis et fumant un joint, quelques pirogues partant franchir la barre. Leurs grands troncs peints égayaient les flots un temps, puis filaient agilement, devenaient des bâtons de réglisse. L’on perdait petit à petit la vision des bras énergiques des rameurs, qui enfin disparaissaient dans la brume et le grondement des eaux couleur d’ardoise. Il y eut un temps d’accalmie des vagues, qui fut interrompu par un autre fracas, un bruit de moteur celui-là. De vieux camions-bennes Berliet, tout tordus et repeints en jaune canari, venaient arracher au littoral leur cargaison de sable pour le béton de la journée.

J’aperçus alors sur ma gauche glisser la silhouette d’un homme chenu, légèrement courbé. C’était un vieil homme qui entretenait les petits temples vaudous de la plage. Il épousseta un peu les murailles chaulées, écartant les rubans votifs pour arranger et nettoyer l’intérieur d’un temple. Puis il me vit. Il marqua alors un temps d’arrêt. Paraissant hésiter, il s’approcha enfin.

— Bonjour papa, fis-je en premier.

— Bonjour fils. C’est comment ?

— Bien. Je me réveille. Je regarde les pêcheurs.

Tout en faisant cela, je montrai le large.

— Ça alors, tu as dormi ici, commenta-t-il simplement. Pourtant le temps là n’est pas bon. Il fait très froid, vraiment. Et tu es seul. Moi, à ta place, le soir, j’aurais eu peur des hiboux.

— Des hiboux ? fis-je, amusé.

— Pss, les hiboux là, ce n’est pas bon. Tu vas penser à des superstitions de vieux nègre. Mais pour moi, ce sont des esprits. Au crépuscule ou la nuit, tu ne me trouveras jamais hors de chez moi. Ah oui, dit-il encore en hochant la tête, le soir, le vieux Moïse se tient au chaud et à l’abri, vraiment.

Le vieux regarda la danse des grands arbres dans le vent. Puis il reprit :

— D’où arrives-tu donc ?

— De Lomé.

— Ah. Le Togo.

D’un air neutre, tout comme s’il me parlait du vent, il me dit que, périodiquement, il fallait enterrer les cadavres mutilés par les squales, qui s’échouaient sur le rivage.

— Ah, vraiment. Ce sont les corps des opposants à Eyadéma, le Grand Ami de la France. Ton ami. Ils sont jetés au loin, en mer, dit-il en désignant le large. C’est ça ce que des gens ici appellent la démocratie ? Je m’interroge, ajouta-t-il en élevant les mains.

— Oui, je sais, vieux. Je suis au courant. Mais, excuse, le tyran n’est pas mon ami.

— Ah c’est très bien, dit-il sarcastiquement. Très bien, vraiment.

La voix de Moïse, sortant de derrière une barbe soigneusement taillée, était grêle, haut perchée et très légèrement tremblante. En Afrique, la terreur a souvent un nom, et ce nom est très ancien. Ce vieux-là, même s’il avait l’élégance de ne pas en avoir l’air, souffrait de l’évoquer, car son cœur était humain et bon.

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27/08/2015 304 pages 17,90 €
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