Introduction
L’essor des technologies et des supports numériques au cours de ces dernières années (la connexion Internet à haut débit, les ordinateurs et téléphones portables, les smartphones, les baladeurs numériques, les tablettes, les liseuses, l’univers des applications, sans oublier les blogs, les podcasts, les flux RSS, YouTube, Facebook, Twitter, etc.) est si fulgurant que ces derniers sont en train d’envahir peu à peu tous les secteurs de l’activité humaine. Ces nouvelles technologies ont en effet de fortes incidences sur notre vie quotidienne puisqu’elles modifient par exemple nos pratiques d’achat (la vente en ligne, les échanges de biens), notre rapport à l’information (les sites en ligne), aux connaissances (encyclopédies, dictionnaires, articles de vulgarisation ou autres, immédiatement accessibles), à la santé (consultation de sites spécialisés). Elles transforment également notre vie professionnelle (nouvelle organisation du travail, mobilité, gestion plus souple des horaires) et nos modes de loisirs (téléchargement de musique, de films et de vidéos, écoute en différé d’émissions de radio et de télévision, lecture de livres sur écran). Elles touchent enfin à notre intimité et à notre identité personnelle (présentation de soi sur les réseaux sociaux, utilisation de pseudonymes, d’avatars) et changent le périmètre de nos réseaux de sociabilité (liens, discussions, partages, avec autrui). La liste est loin d’être exhaustive et témoigne des profonds bouleversements à l’œuvre dans le domaine du commerce, des services, du travail, de l’enseignement, de la culture, des médias. Ces transformations affectent aussi d’autres sphères telles que celle de l’État, de l’administration, de l’économie, de la géopolitique, de l’urbanisme — inutile d’en faire une recension complète.
L’ampleur du phénomène est telle qu’elle a évidemment suscité une surabondance d’analyses, de commentaires et de prises de position pour le moins divergents, pour ne pas dire contradictoires, sur notre nouvelle « condition numérique »1. Les plus enthousiastes vantent les extraordinaires potentialités d’Internet en insistant sur l’accès immédiat (et souvent gratuit) à une quantité infinie de données, d’informations, d’œuvres en tous genres et sur l’intensité des échanges et des relations entre internautes, la richesse et la diversité des nouveaux usages possibles. Tel est par exemple le cas de Michel Serres2 qui s’émerveille de l’intelligence inventive dont font preuve les jeunes générations immergées dans le numérique et de la façon dont, selon son expression, « Petite Poucette » (la dextérité avec laquelle on envoie des messages avec son pouce) redéfinit nos manières de vivre, d’être et de connaître au point de constituer un basculement comparable à la fin de l’Empire romain ou de la Renaissance. Les plus alarmistes s’inquiètent en revanche de l’emprise du numérique sur nos vies, soulignent l’appauvrissement des relations par écran interposé, pointent du doigt les phénomènes d’addiction, mettent en garde contre les dangers de manipulation et de surveillance généralisée. Tel est par exemple le point de vue de Cédric Biagini3 qui appelle à lutter contre le conformisme technologique et ses logiques individualisantes, à sortir de l’hypnose numérique dans laquelle nous serions plongés et à nous arracher à la servitude volontaire à des dispositifs marchands. Comment y voir clair dans ce maquis de points de vue aussi dissemblables et l’enchevêtrement de discours tantôt lyriques, tantôt menaçants ?
Extraits
Commenter ce livre