#Roman francophone

Rue du triomphe

Dov Hoenig

Rue du Triomphe raconte les rêves et les tourments, les aspirations politiques et les émois amoureux d'un jeune homme grandissant à Bucarest avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Dans ce roman initiatique qui est aussi un face-à-face avec l'Histoire, Dov Hoenig, avec une force d'évocation rare, redonne vie à tout un monde disparu.

Par Dov Hoenig
Chez Robert Laffont

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Genre

Littérature française

À Zoé, sans elle je serais « o frunză pierdută », une feuille perdue.

 

 

« Cet éternel souhait humain : partir ! »

Anna de Noailles

 

 

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La cour, la maison, le hall

 

Aujourd’hui, la maison de mon enfance n’existe plus. Dans les années quatre-vingt du siècle dernier, une démolition massive eut lieu à Bucarest si bien que ma cour, ma rue et mon quartier furent réduits en poussière. Au nom du marxisme-léninisme et de la sainte lutte des classes, le tyran Nicolae Ceaucescu avait décidé de donner à la capitale des avenues plus larges, avec des perspectives monumentales et des constructions cyclopéennes. Ainsi la magnificence du marbre et la fureur du béton armé devaient intimider un peuple affamé et condamné au désespoir. Des milliers d’habitants furent chassés de leurs foyers et dispersés dans la périphérie de la ville sur les ordres du dictateur. Ils durent empaqueter leurs biens et consentir, après un préavis d’un pauvre jour, à se reloger dans des blockhaus encore en construction, sans eau ni électricité, souvent même sans portes et sans fenêtres. En hâte, les lames des bulldozers et les chenilles des tracteurs nivelèrent leurs foyers à ras de terre, les transformant en un entassement de briques, de pierres et de ferraille. Plus de quarante mille maisons, mais aussi de nombreuses églises, monastères, synagogues, hôpitaux, théâtres, et des monuments d’une valeur inestimable furent démolis ou déplacés. Parmi les nombreux quartiers éradiqués se trouvait aussi le vieux quartier juif s’étendant vers les faubourgs Vacaresti, Dudesti et Vitan, où des milliers d’émigrants pauvres, venus pour la plupart de Russie et d’Ukraine, s’étaient établis depuis le XIXe siècle. C’est ainsi que plusieurs rues de mon enfance, avec leurs maisons aux couleurs vives, réjouissantes, qui me guidaient en hiver sur mon chemin d’écolier comme des étoiles matinales, furent effacées à l’exception ici et là de quelques segments mutilés, et désormais pitoyables.

Au cœur même des ambitions urbaines de Ceaucescu se situait son projet mégalomane de faire bâtir dans le centre de la ville une gigantesque Maison du Peuple conçue, dans son imagination, comme la Huitième Merveille du monde. Il voulait que ce projet soit l’apothéose de son règne, ce qui lui assurerait une place éternelle dans l’histoire. Les travaux de construction de la Maison du Peuple furent lancés en 1984 et un cinquième de la vieille ville de Bucarest (la surface de trois arrondissements parisiens) fut converti en un vaste cimetière de décombres.

Ceaucescu et Elena, sa femme, n’eurent pas la chance d’assister à l’achèvement de ce projet dans toute sa majesté grotesque. Le 21 décembre 1989, une série d’émeutes à Bucarest et dans d’autres villes du pays amena la population et l’armée à la révolte et provoqua la chute du régime communiste. L’exécution brutale et dégradante du couple Ceaucescu, le 25 décembre 1989, fut à la mesure de leur ignominie et des souffrances qu’ils avaient infligées à leur peuple.

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16/08/2018 409 pages 21,00 €
Scannez le code barre 9782221216194
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