#Polar

L'homme de Kaboul

Gérard de Villiers

Un avion en provenance de Chine vient de s'écraser dans un désert afghan, dans un no man's land entre la Chine et l'Afghanistan. À bord de l'avion un passager peu commun : Lin Piao, l'ancien ministre de la Chine Populaire. Après avoir été destitué, il vivait en résidence surveillée en Chine... il aurait légitimement pu être tenté de fuir! Mais ce n'est qu'un bruit, un on-dit... la rumeur va même jusqu'à prétendre que le dignitaire chinois serait toujours en vie. Blessé mais vivant. Un jeune hippie apporte miraculeusement un début de preuve sous la forme d'une cassette : c'est très net : effectivement, l'avion ne s'est pas écrasé, il a fait un atterrissage de fortune. C'est la première fois qu'un Chinois de cette importance fuit son pays. C'est la première fois que la CIA est en mesure de s'entretenir avec un ex-dirigeant Chinois. Une mission de cette importance ne peut être confiée qu'à un seul agent : SAS. La tâche de SAS lui apparaît rapidement dans toute son ampleur : il doit tenir tête, à lui tout seul, aux Chinois, aux Russes et aux Afghans... Tout seul? pas vraiment, il pourra compter sur Lal, le petit garçon de 12 ans dont les jouets favoris sont... des bâtons de dynamite. Dans ce cauchemar psychédélique, Birgitta, l'Allemande blonde, produit du croisement d'un ange et d'une panthère, droguée et nymphomane se retrouvera, pour avoir apporté son aide à Malko, l'enjeu innocent d'un jeu d'une cruauté inimaginable.

Par Gérard de Villiers
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Policiers

CHAPITRE PREMIER
Les deux portefaix afghans, en train de reposer leur charge trois fois haute comme eux à la rambarde du petit pont sur la rivière à sec, regardèrent curieusement le Blanc qui courait vers la barrière du poste pakistanais, cent mètres plus loin. Le visage congestionné, le souffle court, il semblait tiré en avant par son ventre et ses semelles claquaient maladroitement sur l’asphalte. C’était un homme dans la force de l’âge, vêtu d’un costume gris sans cravate. D’habitude, les étrangers qui passaient ainsi la frontière à pied étaient plus jeunes, et ne se pressaient pas ; ils avaient tout le temps.
Un peu en arrière du pont, un sous-officier afghan, de garde dans un mirador, suivit également le Blanc des yeux. Intrigué, lui aussi. Mais après tout, rien n’interdisait de franchir le no man’s land entre l’Afghanistan et le Pakistan en courant. Si l’homme ne s’était pas présenté au contrôle des passeports, il aurait entendu des cris, on l’aurait poursuivi. Le soleil allait se coucher sur la Khiber Pass, éclairant les montagnes d’une étrange lumière mauve. En face, un énorme fort pakistanais datant de l’armée des Indes se découpait sur un piton comme une ombre chinoise. Une douzaine d’autobus et de camions stationnaient en face du dernier poste d’essence afghan, prêts à partir pour Kabul et Jalalabad.
La route, du côté afghan, serpentait sur un plateau désolé et semblait avalée par une barrière rocheuse chaotique et gigantesque. De la frontière, les lacets de la Khiber Pass descendant sur la plaine de Peshawar étaient invisibles.
Le soldat pakistanais en uniforme gris-fer des « Khiber Rifles » écoutait béatement la musique religieuse hurlée par un haut-parleur du poste frontière lorsqu’il vit l’étranger qui courait vers lui. Ce dernier arriva à la hauteur de la barrière, juste avant la petite place territoire pakistanais, et ralentit. Il respirait difficilement, son front était couvert de sueur et ses mains tremblaient. L’étranger se retourna. Trois hommes marchaient d’un pas nonchalant dans sa direction, des Afghans, vêtus du large pantalon bouffant et de la tunique sans forme. Deux portaient un fusil en bandoulière. Leurs visages moustachus n’avaient aucune expression. L’étranger, les voyant si proches, sembla encore plus affolé.
Il se planta devant le soldat pakistanais.
– Help me, dit-il d’une voix suppliante. Help me1.
Le soldat des « Khiber Rifles » se dit que ce gros bonhomme avait dû abuser du haschich afghan. La terreur qui déformait ses traits ne pouvait venir que d’un cauchemar intérieur. Mais il fallait être poli avec les étrangers. Souriant, il tendit le bras vers le café et les bâtiments de la douane pakistanaise, faisant signe de passer.
– Welcome, dit-il.
Son anglais s’arrêtait là.
Les trois Afghans n’étaient plus qu’à quelques mètres. De nouveau, l’étranger supplia :
– Help me, help me...
L’autre hocha la tête, compréhensif, et se replongea dans l’écoute de sa musique.
Donald Mac Millan poussa un grognement étranglé. La peur lui serrait la gorge. Il n’arriverait jamais à Peshawar. Ses trois poursuivants attendaient à quelques mètres de lui, sous l’enseigne « Welcome to Pakistan ». C’étaient des « pachtous » membres d’une tribu vivant entre le Pakistan et l’Afghanistan. Ils n’avaient même pas besoin de passeport pour passer la frontière. Quand le douanier afghan avait expliqué à Mac Millan qu’il ne pouvait franchir la frontière avec sa voiture, l’Australien avait compris qu’il ne leur échapperait pas. Depuis Jalalabad, où il s’était aperçu de la filature, il avait réussi à maintenir la Mercedes à distance. Mais il avait dû abandonner sa Ford au poste afghan.
Maintenant, il était à pieds, sans même une arme. Et Peshawar était encore à 80 kilomètres. Impossible de rebrousser chemin. Là, dans ce coin, les pachtous faisaient ce qu’ils voulaient. Sa seule chance était de reprendre de l’avance. Puisque eux aussi étaient à pieds maintenant.
Brusquement, il se remit à courir, passant devant le bar-restaurant crasseux à la terrasse encombrée de hippies.
Un changeur clandestin brandissant une épaisse liasse de roupies l’accrocha par le bras glapissant :
– Nine roupiahs for one dollar, Sir, good money2.
À la banque en bois, à trois mètres de là, on ne donnait que six roupies. Donald Mac Millan se dégagea avec un juron. Les taxis étaient plus loin.
Soudain, en apercevant à sa gauche, le bâtiment de la douane, minuscule et sordide, il eut une idée. Brutalement, il bifurqua et y pénétra. Une douzaine de hippies faisaient philosophiquement la queue. Donald se joignit à eux. Il se sentait un peu plus en sécurité. Puis, se retournant, il aperçut ses trois poursuivants. Placides et inexorables, ils bouchaient la porte.
Là, ils n’oseraient rien faire. Mais il était sûr qu’ils le tueraient dès qu’il serait plus loin, sur la route déserte, gardée de loin en loin par les forts accrochés aux pitons de basalte.
Donald Mac Millan se maudissait. Il avait été mortellement imprudent de téléphoner à Kabul. Il aurait dû savoir que les hommes de la Masounillate Milli3 connaissaient leur métier. De toutes ses forces, il essaya de dominer sa peur, de trouver une parade. Il regarda autour de lui. Un hippie, blond et hirsute avec des lunettes de fer vieillottes, brandissait devant lui un passeport hollandais. Il devait comprendre l’anglais. D’un regard, il vérifia que les trois poursuivants ne le voyaient pas. Puis il se pencha sur le jeune homme et souffla :
– Vous voulez gagner vingt dollars ?
Au mot « dollar », les yeux du hippie papillotèrent. Il se retourna et toisa ce blanc trop bien habillé pour le lieu.
– Hash ?
Sans arrêt, les hippies étaient sollicités par des trafiquants de drogue. Donald secoua la tête négativement. Sa main disparut sous sa veste et ressortit, tenant une petite bande de magnétophone, protégée par un plastique transparent.
– Non. Portez cela à l’hôtel Dean’s, à Peshawar. Demandez Thomas Sands.
– C’est tout ?
– C’est tout.
Visiblement le hippie ne comprenait pas. Il fronça les sourcils, cherchant le piège, prit la bande et la soupesa. Elle était trop légère pour être truquée. Donald Mac Millan défroissa un billet de vingt dollars, le déchira en deux, et en tendit une moitié au hippie.
– Alors, vous voulez ou non ?
Si les autres le voyaient, c’était foutu.
Le jeune Hollandais haussa les épaules. On rencontrait de drôles de gens à la Khiber Pass. Il prit la moitié du billet et l’enfonça dans la poche de son blouson avec la bande.
– Quand irez-vous ?
Le hippie eut un geste évasif. Cela dépendait de la bonne volonté des camions pakistanais. Déjà, Donald Mac Millan ne l’intéressait plus. Il se demandait si le douanier allait trouver la plaque de haschich dissimulée dans sa botte. De quoi atteindre Khatmandou sans « manque ».
Donald Mac Millan examina le douanier moustachu et solennel. Il devait parler un peu l’anglais... Mais il y avait peu de chance qu’il vienne à son secours. Il se retourna : les pachtous avaient disparu, mais l’Australien savait qu’ils attendaient dehors. Il y avait bien la solution de s’enfermer là, de faire du scandale, d’arriver à téléphoner à Peshawar. Mais il connaissait la paresse des Pakistanais. Après des palabres oiseuses, ils s’en débarrasseraient et le renverraient à l’obscurité. Car, dans deux heures, il allait faire nuit.
Il quitta la file et s’approcha de la porte, observant l’extérieur.
Il aperçut les trois pachtous assis à la terrasse du café, de l’autre côté de la route. Donald Mac Millan avala une grande goulée d’air frais et franchit la porte d’un seul élan. En face, à côté du bistrot, stationnaient une douzaine de camions Bedford enluminés de peintures naïves. S’il parvenait à se cacher dans la cargaison de l’un d’eux, il était sauvé. Mais c’était trop près de ses poursuivants. Trois cents mètres plus loin, après le bâtiment de contrôle despasseports, il y avait une file de taxis en ruines, de vieilles américaines rafistolées avec une fabuleuse adresse.
Plusieurs changeurs « clandestins » entourèrent aussitôt cette proie isolée, brandissant leurs roupies et glapissant leurs tarifs. L’Australien les écarta, et partit en courant vers les taxis.
Trop tard.
La scène avait attiré l’attention de ses trois poursuivants. Ils se levèrent, abandonnant leur thé. Affolé, Donald Mac Millan faillit se faire écraser par un Bedford, surmonté d’une pyramide humaine. À la queue leu leu, les trois pachtous avançaient sans se presser. Après les quelques bâtiments du poste frontière, il n’y avait plus rien jusqu’à Landicotal, le premier village pakistanais, fief des contrebandiers. Rien que les lacets de basalte noir et brillant de la Khiber Pass. Témoins immuables et muets de tant d’affrontements sanglants...
Essoufflé, Donald Mac Millan arriva à la hauteur d’un taxi qui démarrait et se pencha par la glace ouverte vers le chauffeur. L’intérieur du véhicule était un magma humain et compact. Les deux banquettes disparaissaient sous une bonne douzaine de Pakistanais. Quatre ou cinq autres achevaient de s’installer sur le toit, accrochés à la galerie.
– Itaraf Peshawar4 ?
Le chauffeur ne répondit même pas. Le taxi s’ébranla. Aussitôt, quatre passagers supplémentaires se ruèrent dans le coffre ! Le dernier resta debout sur le pare-chocs arrière, accroché à la porte ouverte... La vieille Dodge parvint à prendre un peu de vitesse et s’engagea dans la ligne droite précédant les lacets.
Donald Mac Millan courut jusqu’au second véhicule qui semblait vide. En s’approchant, il aperçut dans la De Soto deux hommes assis à même le plancher. La couche de base... Ici, l’histoire célèbre du taxi écossais tombant dans un ravin et causant quinze morts était largement dépassée...
Il brandit devant le chauffeur somnolant à son volant une poignée de dollars.
– Itaraf Peshawar ?
Les billets verts eurent sur ce croyant l’effet de la pierre noire de La Mecque. Instantanément, réveillé, il rafla les billets et fit signe à l’Australien de monter. Donald Mac Millan se laissa tomber sur la banquette défoncée. Le taxi sentait la sueur et la crasse. Mais le chauffeur ne semblait pas décidé à démarrer. L’Australien se pencha en avant :
– Go, go...
Pas de réaction.
Donald Mac Millan se retourna. Les trois Afghans approchaient sans se presser. À part les chauffeurs de taxi, il n’y avait personne. Frénétiquement, l’Australien secoua le chauffeur, jetant sur ses genoux un billet de vingt dollars, et hurla :
– Go ! Now.
Cette fois, le Pakistanais, à regret, mit en marche. Sans attendre le reste de la cargaison. Pourtant, au moment où ils démarraient, deux passagers plongèrent dans le coffre et un gamin s’y accrocha, debout. Le moteur hoqueta, les vitesses grincèrent. Ils étaient partis. À travers la lunette arrière Donald vit ses poursuivants hésiter. Puis, ils s’engouffrèrent dans un taxi aussi en ruine que le sien, une vieille Dodge verte.
Son propre véhicule brinquebalait de plus en plus vite avant d’aborder les premiers lacets de la Khiber Pass. L’Australien se dit que s’il atteignait Landicotal avec quelques centaines de mètres d’avance, il pourrait peut-être s’y cacher. Quitte à gagner. Peshawar à pied dès qu’il ferait nuit.
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L’étroite route goudronnée serpentait entre les hauts rochers de basalte brillant. Un énorme camion Bedford peint d’un vert criard, descendant vers l’Afghanistan, frôla le taxi qui faillit basculer dans le ravin. Le site était superbe, presque chaque piton était surmonté d’un petit fort carré où flottait le drapeau blanc et vert du Pakistan. Comme si les armées de la Reine Victoria allaient attaquer. Pas un arbre, pas un buisson. Rien que des parois abruptes et déchiquetées.
Donald Mac Millan se retourna. Tant qu’ils étaient dans les lacets, ils ne craignaient rien. Sans arrêt, des camions les croisaient. Le taxi qui le poursuivait était trop poussif pour doubler rapidement. Il suivait à une centaine de mètres, le radiateur fumant. Deux des pachtous étaient à l’intérieur, le troisième, à plat ventre sur la galerie du toit, le fusil posé près de lui.
Mais la distance ne diminuait pas entre les deux véhicules...
Donald Mac Millan essuya sa paume trempée de sueur à la moleskine.
La route, avant de disparaître derrière un éperon rocheux était presque droite. Mètre par mètre, l’Australien vit soudain le taxi de ses poursuivants se rapprocher.
De nouveau, la peur lui serra l’estomac. Il se pencha en avant et secoua le chauffeur :
– Go, go !
Il plongea la main dans sa poche et en sortit des billets froissés qu’il agita sous le nez du chauffeur.
Celui-ci, ralentit pour s’engager dans le virage, mais fit rugir ensuite son vieux moteur, à lui arracher les pistons. Un pont étroit dominait la voie ferrée du petit train de Landicotal, qui ne menait nulle part. Les Anglais s’étaient donné du mal pour rien.
Le poste frontière n’était plus visible. La route sinuait vers Landicotal dans un paysage majestueux et désertique. Enfin galvanisé, le chauffeur accéléra. La Dodge verte reperdit du terrain. Donald Mac Millan remarqua au passage un écriteau sur la droite : une voiture et un chameau stylisés surmontant deux flèches orientées en opposition. L’ancienne route non goudronnée de la Khiber Pass servait maintenant aux caravanes. Dès le coucher du soleil, le trafic officiel s’arrêtait et les contrebandiers régnaient en maîtres.
De nouveau, il y eut une série de virages en épingles à cheveux en légère déclivité. Déchaîné, le Pakistanais dévalait la route, frôlant le précipice. Donald Mac Millan se retourna pour surveiller la Dodge verte, cachée par les virages. La route remontait, rectiligne entre deux massifs. L’Australien guettait le capot vert : rien. La Dodge verte s’était évanouie dans les épingles à cheveux. Il faillit crier de joie. L’autre taxi avait dû tomber en panne. Pour la première fois, il se détendit un peu. À un kilomètre sur la gauche, il apercevait déjà les briques roses de l’énorme fort Shasar des « Khiber Rifles ». Landicotal était derrière.
Le chauffeur freina dans un couinement désespéré. Donald Mac Millan jura, de nouveau le cœur dans la gorge. Un camion était en panne, ses passagers bivouaquant au bord de la route. Un pachtou à cheval, un vieux Lee-Enfield en bandoulière, fier et distant, veillait sur le véhicule stoppé.Dans un grincement de boîte de vitesse à l’agonie, le taxi repartit. Machinalement, Donald Mac Millan jeta un coup d’œil sur la gauche. Son cri fit se retourner le chauffeur. La Dodge verte roulait dans un nuage de poussière sur la piste des chameaux. Celle-ci dominait la route asphaltée sur cette portion pour la couper trente mètres plus loin et continuer en contrebas. Désespérément, l’Australien se jeta sur sa portière. La poignée avait disparu depuis belle lurette. Le Pakistanais freina à mort et le taxi s’immobilisa au beau milieu de l’intersection. Juste au moment où la Dodge verte dévalait comme un obus.
Le choc fut terrifiant. Le calandre de la Dodge s’enfonça dans le flanc gauche du taxi comme un coin, le projetant à travers la route. Il heurta le muret de pierre dans un étincellement de ferraille, le franchit, perdit une roue et bascula sur la pente rocailleuse et abrupte.
Juste au moment où le pachtou, installé sur la galerie de la Dodge s’envolait au-dessus de la route, sans lâcher son fusil.
Il acheva gracieusement sa trajectoire contre une plaque à la mémoire du « Deuxième régiment Penjabis » scellée dans le roc. Sa calotte crânienne, bien que protégée par le turban s’écrasa avec un bruit mat et écœurant et il glissa à terre comme un pantin cassé. Emporté par son élan, la Dodge traversa la route et s’arrêta sur la piste.
Un camion Bedford qui arrivait derrière le taxi, fit un brusque écart, surpris par l’accident. Il n’eut pas le temps de reprendre sa gauche : un autobus bourré surgit du virage. Les deux véhicules s’encastrèrent phare à phare dans un horrible fracas. Des hurlements jaillirent des deux véhicules. L’avant de l’autobus n’était plus qu’un magma de chairs et de tôles entremêlées. Les survivants sautèrent à terre. Personne ne prêta attention à la Dodge verte.
 

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13/07/2016 250 pages 7,50 €
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