Editeur
Genre
Littérature étrangère
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Le vendredi il y avait Hier, Aujourd’hui et Demain. On le donnait au Bijou, une vieille salle délabrée et sentant le renfermé, du côté des abattoirs. La proximité des abattoirs ne me dérangeait pas, je n’étais pas là pour faire du tourisme.
Tout bien considéré, Hier, Aujourd’hui et Demain n’est pas un mauvais film. C’est le moins titillant des films pornos des années 1960, mais on y est en bonne compagnie. Il y a le passage où Sophia Loren donne le sein dans la première partie, il y a de bonnes allusions à la nécrophilie dans la deuxième partie, et les allusions théologiques de la troisième sont superbement obscènes. Mettre un ecclésiastique, de quelque sexe qu’il soit, dans les parages immédiats de Sophia Loren, c’est déjà très prometteur ; l’un dans l’autre, sachant le genre de film que c’est, tout cela n’est pas inintéressant. Du reste, il n’y avait pas grand-chose d’autre à voir en ville ce soir-là ; j’avais étudié les programmes. Bien sûr, il y avait les pornos extrêmes des salles clandestines, mais je ne suis pas pervers. Mon propos n’est aucunement frivole.
Vers deux heures de l’après-midi, donc, je fis ma tournée dans mon secteur, et je passai un quart d’heure chez deux odieux vieillards qui vivaient ensemble sur le maigre pécule de leur allocation de vieillesse – et je fis ainsi d’une pierre deux coups en enregistrant ces visites séparément, ce qui me permettait de justifier mon emploi du temps pour tout l’après-midi. Il n’était que trois heures un quart quand je rentrai chez moi. J’ouvris une bouteille de bière et suivis vaguement un débat à la télévision. D’après le programme du journal, il me fallait être au cinéma à quatre heures et demie, pour voir le film trois fois de suite et avoir la fin de la soirée libre. Vers quatre heures, alors que je m’apprêtais à sortir, le téléphone sonna. Je savais d’avance que c’était Poirier, mon chef de service, qui appelait ; il allait me passer un savon s’il me trouvait chez moi et non pas en tournée, plus d’une heure avant la fin de ma journée de travail. Ça ne me faisait pas peur, j’étais prêt à l’écouter. Je décrochai et, sans chercher à déguiser ma voix – un vieux truc généralement efficace mais par trop enfantin –, je dis calmement :
– Allô, oui ?
– C’est vous, Miller ? demanda Poirier.
– Oui, c’est bien moi.
– Vous êtes censé être en tournée.
– J’ai terminé plus tôt.
– Vous avez quitté le bureau à deux heures et vous êtes déjà rentré chez vous ? C’est sérieux, mon vieux.
– J’ai été pris de malaise pendant ma tournée, dis-je. Je me suis arrêté à trois heures pour raisons de santé, après avoir fait mes visites, vous voyez que je ne vous vole pas sur l’horaire.
– Si vous êtes malade, dites-le avant de quitter le bureau, pas après. Ça fait trois ans et demi que vous travaillez ici, n’essayez pas de me faire croire que vous ne connaissez pas le règlement.
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