Préface
Serge Lesourd
Seul parmi les autres...
Le titre de cet ouvrage pourrait, à lui seul, décrire la condition du parlêtre et le paradoxe de la vie humaine qui ne peut se dérouler sans les autres – Winnicott rappelait déjà qu’un bébé tout seul, ça n’existe pas – et qui, pourtant, est une épreuve permanente de solitude – car « Jamais tu ne me vois là d’où je te parle » (Lacan [1] ). Ce paradoxe du rapport de l’homme à la solitude, s’il a été de nombreuses fois décrit par la philosophie, la théologie, la sociologie, n’avait jusqu’à ce jour pas été abordé de manière approfondie dans le champ psychanalytique. Certes, la solitude sous ses formes souffrantes (détresse du nouveau-né, isolement dépressif ou autistique, solitude phobique…) a été souvent travaillée du côté de la psychopathologie. Certes, les travaux princeps de D.W. Winnicott sur « la capacité d’être seul » ont été repris et utilisés par de nombreux cliniciens. Mais la genèse nécessaire du sentiment de solitude et de la souffrance qui y est liée n’avait pas encore été articulée dans notre champ. Rien qu’en cela, l’ouvrage de Sébastien Dupont est fondamental, et je pense que ce livre recevra le même accueil enthousiaste et curieux que celui que j’avais réservé au jeune psychologue quand il est venu me proposer le sujet de sa thèse [2] qui est à l’origine de ce travail. Cette thèse, disons-le (la modestie de l’homme dût-elle en souffrir), n’a pas été reçue solitairement, car elle a obtenu le Prix de thèse 2008-2009 – secteur sciences humaines et sociales, décerné par le conseil général du Bas-Rhin.
Ce prix est amplement mérité, car si Sébastien Dupont a pu construire une véritable métapsychologie du sentiment de solitude que vous découvrirez au fil des pages, il en a aussi décrit la genèse, la construction dans les différentes figures que prend l’être seul dans le développement de l’enfant, au sein de la famille d’abord, du groupe de pairs ensuite, puis dans sa vie d’adulte. En cela, le livre de Sébastien Dupont doit devenir une référence pour les cliniciens de l’enfance, car c’est sur son expérience clinique qu’il prend appui pour élaborer une théorie du sentiment de solitude et de la « capacité à être seul » qui rend compte des effets de cette solitude dans le cadre des prises en charge thérapeutiques. Les exemples cliniques qui jalonnent ce travail parleront, non seulement aux cliniciens qui accueillent ces enfants en difficulté face aux paradoxes de la solitude humaine, mais aussi à tous ceux qui, de près ou de loin, ont à faire avec le malaise des jeunes dans la cité moderne et aux effets de la nouvelle donne sociale sur l’enfance.
En effet, au-delà d’une étude clinique de la solitude, Sébastien Dupont, en étudiant ses paradoxes, nous donne des pistes pour comprendre la souffrance du sujet dans notre monde actuel. Notre organisation sociale, qui se soutient des valeurs du libéralisme (la liberté d’entreprendre), de la démocratie (la liberté de choix et le poids égal de la parole de chacun) et de l’égalitarisme (chacun vaut autant que son prochain), demande à l’individu d’être lui-même en ne se référant qu’à lui-même, soit de vivre la solitude comme l’indispensable condition de son existence. La solitude est devenue à la fois l’indicateur de la liberté du sujet, mais aussi la pathologie la plus fréquente de l’être humain, comme en témoignent le développement massif des dépressions et des suicides, mais aussi les errances des « déracinés sociaux » de plus en plus nombreux. La solitude est devenue « ontologique », comme l’écrit l’auteur dans son introduction, et ce sont les enfants et les adolescents qui sont les premiers à pâtir de celle-ci, eux qui ont justement pour tâche de s’intégrer à la société des adultes.
Extraits
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