#Roman étranger

Seule sous un ciel dément

Saneh Sangsuk

Aux temps du Bouddha", une très vieille bonzesse, "pleine de sagesse et de compassion, raconte son histoire à ses disciples. Jeune femme pauvre, brue dans une famille princière qui la traite en esclave, elle a donné naissance à un fils, Wélou. Ce petit garçon vif et gai est son seul bonheur, toute sa vie et même sa survie : grâce à lui, elle a enfin une place dans la maison de son mari. Mais un matin à l'aube Wélou est mordu par un cobra. La jeune femme, affolée, fuit la maison, l'enfant dans les bras, à la recherche de ce qui pourrait le sauver... Commence une longue quête éperdue à travers la jungle, les villages et le temps. Un livre intense, inattendu, envoûtant.

Par Saneh Sangsuk
Chez Seuil

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Editeur

Seuil

Genre

Littérature étrangère

La modeste cellule monacale, dans l’ombre fraîche d’arbres vénérables aux troncs épais et hauts, aux longues branches incurvées et au feuillage verdoyant et touffu, se trouvait dans la partie réservée aux nonnes. Un mur blanc séparait les quartiers des bonzes et ceux des nonnes, à l’ouest du temple. Du porche de la hutte, en regardant vers l’est par-delà la barre du mur blanc, on pouvait voir la demeure majestueuse du Bouddha.

Tard une nuit de saison froide, le ciel de lune à son dernier quartier était constellé d’étoiles, et d’une clarté glaciale. Les gouttes de rosée quitombaient sur le toit de la cellule et le feuillage des arbres environnants sonnaient comme des gouttes de pluie. La Grande Ourse dressait sa queue à mi-ciel. Un croissant de lune vieil or brillait dans sa course descendante vers l’ouest et semblait entraîner les étoiles dans son sillage. Un shama trillait dans son sommeil. L’atmosphère autour de la modeste demeure était tranquille et triste, sous un voile de soumission silencieuse, de retenue extrême et de deuil profond.

À l’intérieur, deux lampes en terre cuite émettaient une lumière pulsée. Huit ou neuf nonnes au crâne rasé étaient assises en groupe sur la véranda dans cette lumière. Vieilles, jeunes ou entre deux âges, toutes portaient des robes teintes à l’ocre jaune extrait du bois du jacquier. Elles avaient atteint le stade ultime de l’Éveil. Quelques-unes toutefois pleuraient ou retenaient des sanglots, montrant à l’évidence que leur conscience gardait des traces d’attachement matériel. La cellule n’avait qu’une pièce. Sa porte était grande ouverte et révélait le corps malingre de la vénérable mère Kissa Gotami, qui était très malade. Elle était allongée sur son côté droit, la tête tournée vers le sud, la main droite soutenant la tête, le bras gauche étendu le long de la hanche et de la cuisse, le pied gauche chevauchant le pied droit dans une posture qui était aboutie et digne. La vénérable mère était allongée sur un vieux carré d’étoffe ocre jaune, tout rapiécé mais immaculé. Ce carré d’étoffe recouvrait un tapis de roseau tressé.

Son corps tout entier était drapé d’ocre jaune, un ocre jaune si sombre qu’il en était presque noir, et qui luisait des points minutieux de bien des ravaudages trahissant la méticulosité de sa propriétaire. Les yeux de la vénérable avaient l’éclat de l’étoile du matin. Sa peau, pour ce que son habit permettait d’en voir, à savoir son visage et ses mains, était lisse et lumineuse, contrairement à celle de toute personne ordinaire mais comme en obtiennent bonzes et nonnes par l’observance stricte des préceptes et la noble discipline. Ses lèvres s’entrouvraient sur un sourire mystérieux, comme si elle prenait plaisir à se moquer de la mort. Quelques novices bouddhistes éventaient le poêle sur lequel trônait une bouilloire en terre cuite. Près de ce poêle sur un plateau en bois lisse reposaient trois ou quatre tasses également en terre cuite. Quand le feu prit dans le poêle, les novices en silence à croupetons reculèrent et s’esquivèrent pour aller s’asseoir dans la véranda.

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trad. Marcel Barang
10/04/2014 158 pages 15,00 €
Scannez le code barre 9782021123210
9782021123210
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