Chapitre 1 : L’attaque
Ses mains étaient glacées. Il les frotta l’une contre l’autre, produisant un crissement sec et régulier qui vint troubler le silence des bois. Pour une fin de printemps, il faisait un froid intolérable. Une fois qu’il aurait fini, il s’en irait vers des climats plus chauds. Mais pour le moment il était là, et le soleil commençait à baisser. La fille n’allait pas tarder à arriver. Alors le froid n’aurait plus aucune importance. Bientôt il aurait chaud aux mains. Il souffla dessus tout en fredonnant The long and winding road, cette chanson des Beatles qui l’avait toujours fait sourire.
Il entendit un bruit. Un craquement. Un délicieux frisson le parcourut de la tête aux pieds. Il se souleva très légèrement, juste assez pour que la monture métallique de ses lunettes émerge du rocher escarpé derrière lequel il était tapi. À sa vue, il laissa échapper un soupir. Elle était si menue, si ferme, et tellement, tellement insouciante. Ses cheveux blonds formaient dans son dos une lourde tresse. C’étaient ses cheveux qui l’avaient séduit en premier lieu. Si épais, si doux, offrant une si riche variété de nuances dorées. Cette fille n’avait pas conscience de la beauté de ses cheveux. Ni de sa beauté tout court. C’est pour cela qu’il l’aimait.
Elle contourna le vieux chêne moribond, déjà prête à enjamber le fossé humide, rempli de cailloux que l’érosion avait rendus lisses et glissants. C’était l’heure. Il s’assura que son sac de postier en toile grise était bien camouflé sous un amas de feuilles, puis il sortit de sa cachette. Une brindille tombée d’un bouleau craqua sous la grosse semelle de sa botte.
La fille se figea. Il sentit la peur qui émanait d’elle. Elle fit volte-face, l’œil aux aguets, mais ne le vit pas. Elle repartit rapidement, les bras ramenés contre elle, son sac à dos cognant à chaque pas au creux de ses reins. Il marcha sur une autre branche, exprès cette fois, et la brisa net en deux. La fille s’immobilisa de nouveau. À présent le goût de sa peur était palpable, il l’avala tout rond, se délectant de cette saveur si particulière, en même temps salée et acidulée. La fille se mit à courir. Quand elle se retourna – car elles se retournaient toujours pour regarder derrière elles –, il s’avança et se planta en travers du chemin. Il ne vacilla pas lorsqu’elle se cogna contre lui. Elle ne pesait quasiment rien. Lorsqu’elle cria, il sentit sa poitrine se gonfler d’une indicible joie.
Il posa les mains sur ses bras pour la stabiliser. Elle eut un mouvement de recul, pâle, tendue, les yeux écarquillés. C’est seulement alors qu’elle le vit. Qu’elle le vit pour de bon. De soulagement, ses épaules se décontractèrent aussitôt.
– Monsieur Nell ! Oh, mon Dieu !
Elle posa la main sur son cœur. Tout allait bien. Elle le connaissait. Elle n’avait rien à craindre. Quelle idiote.
– Vous m’avez fait peur ! Qu’est-ce que vous faites par ici ?
Extraits
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