Au lecteur français Note de l’auteur
J’ai passé mon enfance et mon adolescence à New York dans les années 60-70 et je me souviens encore des émeutes de 1967 dans le quartier Bedford-Stuyvesant de Brooklyn, à trois kilomètres de chez moi. Magasins pillés. Maisons incendiées. Vingt-trois tués, des Afro-Américains pour la plupart. Après quoi, à chaque fois que je prenais le train du Queens à Manhattan, je voyais des blocs d’immeubles vides, calcinés, aux fenêtres brisées béant sur les ténèbres, comme les orbites d’un crâne auquel on aurait arraché les yeux.
En 1979, j’ai quitté New York pour Provincetown dans le Massa- chusetts, une langue de terre bordée par l’océan Atlantique et peuplée, l’hiver, de deux mille habitants. À vingt-trois ans, j’avais le projet d’écrire le Grand Roman américain. Au lieu de quoi, j’ai rempli de glace des caisses de poisson et travaillé comme charpentier. Je n’ai pas écrit parce que je n’avais rien à dire. Pour occuper les nuits froides, je lisais, buvais et prenais toutes les drogues qui me tombaient entre les mains. Vingt ans sont passés avant que je sois en mesure d’écrire sur cette période de ma vie.
Superbad est une fiction, pas une autobiographie. J’ai changé les noms, remanié les événements. Mais je crois avoir capté la confusion de ma jeunesse. Et je vois aujourd’hui Ivan et T comme des êtres « mythiques » et « réels ». Ils étaient amis. Et, dans mon imagination, ils ont enterré la haine raciale du passé et l’ont réincarnée en amour. C’est une fantasmagorie, je sais. Mais l’art nous montre que notre désir d’un monde parfait n’est pas vain, il est humain. Et il garde vivants une époque et un lieu qui, outre ce que j’ai écrit dans ces pages, ont disparu à jamais.
Tom Grimes, 2009
PREMIÈRE PARTIE
James et moi étions assis à la vitre du Crow’s Nest Bar, à regarder la lumière hivernale décliner sur la devanture de bois de la minuscule bibliothèque de Provincetown de l’autre côté de la rue et à attendre Ivan. On s’était fumé un petit joint de Thaï avant de se risquer au- dehors voir si quelqu’un était debout et dispo maintenant que le soleil se couchait. Je flashais sur l’image, quotidiennement répétée, de moi, à me boire mon petit café et à me fumer mon petit joint tout en lisant le New York Times. À lever les yeux à la fin d’un article sur la parade nuptiale de l’amibe dans les pages scientifiques, ma tartine grillée en panne de beurre, et à voir le ciel au-dessus de la baie virer au prune avec le crépuscule. Et à me dire, voilà pourquoi on vit tout au bout d’une masse continentale au milieu d’eaux glacées. Pour ne pas avoir à juger. Mais, naturellement, on le fait, et on n’est plus jamais les mêmes après.
« Laurie kiffe les Blacks, James m’a fait. C’est son complexe catho- lique irlandais de Boston.
– Laurie sort avec Ivan, je lui ai répondu. Laurie kiffe Ivan.
Extraits
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