#Roman francophone

Supplément à la vie de Barbara Loden

Nathalie Léger

Plusieurs destins s'entrelacent dans ce nouveau récit de Nathalie Léger. Ils se nouent autour d'un film, Wanda, réalisé en 1970 par Barbara Loden, un film admiré par Marguerite Duras, une œuvre majeure du cinéma d'avant-garde américain. Il s’agit du seul film de Barbara Loden. Elle écrit, réalise et interprète le rôle de Wanda à partir d'un fait divers : l'errance désastreuse d'une jeune femme embarquée dans un hold up, et qui remercie le juge de sa condamnation. Barbara Loden est Wanda, comme on dit au cinéma. Son souvenir accompagne la narratrice dans une recherche qui interroge tout autant l'énigme d'une déambulation solitaire que le pouvoir (ou l'impuissance) de l'écriture romanesque à conduire cette enquête. Il y a d'abord l'errance de cette femme, Wanda, apparemment sans attaches et sans désirs ; il y a ensuite la recherche de Barbara Loden, une actrice rare, une cinéaste inspirée, une femme secrètement blessée, et qui cherche la vérité de son existence à travers un fait divers ; il y a enfin l'enquête de la narratrice. Trois destins entremêlés pour une même recherche sans objet, une même façon d'esquiver ou d'affronter la réalité. Wanda/Barbara : qu'est-ce que l'une cherche à travers l'autre, et qu'est-ce que la narratrice cherche à travers elles ? Barbara Loden est née en 1932, six ans après Marilyn Monroe, la même année qu'Elizabeth Taylor, Delphine Seyrig et Anouk Aimée. Elle a trente-huit ans lorsqu'elle réalise et interprète Wanda en 1970. Elle est la seconde femme d'Elia Kazan. Elle a joué dans Le Fleuve sauvage et dans La Fièvre dans le sang. Elle devait jouer dans The Swimmer avec Burt Lancaster, mais ce fut Janet Landgare qui eut le rôle ; elle devait jouer dans L'Arrangement avec Kirk Douglas, mais ce fut Faye Dunaway qui eut le rôle. Elle est morte jeune, à 48 ans. Wanda est son premier et son dernier film. Quoi d'autre ? Comment la décrire, comment décrire un corps et une présence inconnus ? La narratrice lit des témoignages, regarde des images, décrit le film, tente de s'approprier un visage, de découvrir un corps sous un autre, elle cherche à reconstituer les bribes d'une vie pour la tirer un instant de l'oubli, et revenir sur sa propre amnésie.

Par Nathalie Léger
Chez P.O.L

0 Réactions |

Editeur

P.O.L

Genre

Littérature française

Vue de loin, une femme se détache de l’obscurité. Sait-on d’ailleurs que c’est une femme, on est si loin. Sur fond d’éboulement, une minuscule figure blanche, à peine un point sur l’immensité sombre, progresse lentement et sans heurts à travers les décombres accumulés qui la surplombent, à  travers les pans énormes coupés d’excavations, de dépressions pierreuses, de biais terreux près d’être défoncés par les camions. On suit en plan très large cette miniature diaphane qui se déplace avec insistance sur l’horizon bouché. Et parfois, la poussière absorbe et dissout la figure qui chemine obstinément, irradie un instant puis ne fait plus qu’une tache floue, presque indistincte, rendue transparente comme un trou lumineux dans l’image, un point aveugle sur le paysage détruit. Oui, c’est une femme.

 

 

 

Auparavant on l’a vu assise à l’arrière d’un autobus vide, regardant au-dehors mais ne regardant rien, et on a entendu, répété deux fois, presque jeté, son nom, Wanda, Wanda, c’est une voix d’homme lançant par-dessus l’histoire une interrogation sourde, anxieuse, la seule fois qu’il prononce son nom.

 

 

 

On est entré dans la maison, on a vu quelques pièces mal meublées, des objets traînant ici et là, une vieille femme assise au fond, un chapelet entre les mains, le visage jauni par une lumière pâle et poussiéreuse, le regard dur posé sur une très ancienne absence. On recule un peu, un enfant tourne autour d’elle. On recule encore, on voit le dos d’une femme en chemise, les cheveux relevés en désordre, les épaules lasses, on pense que c’est elle, l’héroïne. On s’éloigne, on fixe un bébé qui pleure sur un lit. On glisse dans la cuisine mal éclairée, elle a pris l’enfant dans ses bras, on se demande où elle va trouver du lait, ses gestes sont lents, elle soupire, ouvre le frigidaire, déplace quelques ustensiles, cherche vaguement à calmer les cris. Un homme surgit, le père sans doute, il passe et fuit en maugréant, on le suit, la porte claque, et dans un même mouvement on découvre un corps étendu recouvert d’un drap, une blonde d’une trentaine d’année émerge lentement, bigoudis et canettes vides au pied du divan, elle s’assoit, encore défaite par le sommeil, il m’en veut parce que je suis ici, elle regarde par la fenêtre, l’horizon est bouché jusqu’au ciel, les camions manœuvrent dans la poussière. C’est elle, c’est Wanda.

 

 

 

L’histoire de cette femme est racontée par l’actrice et cinéaste américaine Barbara Loden, dans un film de 1970, Wanda, le seul qu’elle ait jamais réalisé et dont elle est l’interprète. Barbara Loden est Wanda, comme on dit au cinéma. Pour écrire le scénario, elle était partie d’un fait divers lu dans les journaux de l’époque. Une femme avait été condamnée pour l’attaque d’une banque, son complice était mort, elle avait comparu seule devant le tribunal. Condamnée à vingt ans de prison, elle avait remercié le juge. Lorsque Barbara a été interrogée par des journalistes à la sortie de son film, notamment après avoir gagné le Prix de la critique au Festival de Venise en 1971, elle a souvent dit combien elle avait été bouleversée par le récit de cette femme : quelle douleur, quelle impossibilité de vivre, peut-elle vous conduire à désirer l’enfermement ? comment peut-on être soulagée d’être incarcérée ?

Commenter ce livre

 

05/01/2012 149 pages 14,00 €
Scannez le code barre 9782818014806
9782818014806
© Notice établie par ORB
plus d'informations