À l’occasion du centième anniversaire
de la naissance de Jean Arthur Rimbaud
Chère assistance,
Il est dit que nous n’honorons nos poètes que lorsqu’ils sont morts, lorsque le couvercle du caveau familial ou une butte de terre humide sont venus marquer la séparation définitive entre lui et nous, lorsque la détresse et la misère ont fini par étouffer le créateur de poèmes, lorsqu’il a, pour reprendre la formule consacrée et embarrassante des piètres nécrologues, rendu l’âme. Il se trouvera toujours alors, si Dieu le veut, un bureau officiel qui commencera à tourner les pages de son carnet d’adresses, et la postérité peut s’atteler à la tâche. Il y aura des gerbes et des couronnes, des « cercles » se réunissant tout exprès pour les déposer, et c’est alors toute une industrie distrayante qui se met en branle, entre vins d’honneur et salons ministériels, jusqu’à ce que le poète sombre dans un oubli définitif ou qu’on se décide à éditer ses œuvres complètes. Alors, on organise fêtes et cérémonies pompeuses, on « redécouvre » toutes les facettes de l’œuvre du défunt, on s’escrime à l’exposer en pleine lumière — bref, on en fait un « événement », la plupart du temps dans l’unique but de se distraire un peu de l’ennui pour lequel, après tout, on est rétribué. Et n’est-il pas vrai que (chez nous !), ce n’est pas le poète qu’on honore, mais le monsieur du ministère de la Culture qui prononce le discours de bienvenue, le monsieur du fonds d’archives, le comédien, le récitant ? Hölderlin ou Trakl se retourneraient dans leur tombe face à tant d’apparat, de mondanité culturelle, de bavassage pseudo-artistique dont il ne ressort rien que de l’impudence !
Si nous sommes ici, c’est pour nous rappeler Jean Arthur Rimbaud. Dieu merci, il était français ! Ayons donc foi dans la force et la splendeur de la parole littéraire, ayons foi dans la permanence de la vie spirituelle, dans l’éternité des images (images des morts ou visions) que nous offrent les pages de quelques grands hommes, nourries d’une conjonction d’éléments qui ne se produit qu’une ou deux fois par siècle. Ne nous y trompons pas, le grandiose, ce qui stimule, bouleverse et apaise, bref ce qui est là pour rester, ne pousse pas comme l’herbe folle dans la prairie ! Des vers si riches de sens qu’ils permettent à l’homme de sonder des profondeurs insoupçonnées, on n’en trouve pas tous les jours, ni même tous les ans. Il faut que les presses d’imprimerie tournent et tournent, crachent des milliers de livres, avant qu’un jour se produise ce singulier décalage, cet écart fondateur qui donne naissance à une œuvre majeure de la littérature mondiale, et à une seule. Ceux dont on fait grand cas, qu’on fête avec tambours et trompettes jusque dans les arrière-salles avinées, les écrivains pour magazines et les littérateurs calibrés pour l’export, qui parfois décrochent même le prix Nobel, ne sont dans la plupart des cas que foutaises apprêtées et phénomènes de mode. Ce qui compte en littérature, c’est uniquement ce qu’il y a d’originel, de fondateur justement, ce sont des gens comme Jean Arthur Rimbaud.
Extraits
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