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Littérature française
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PRÉFACE
Ils auraient pu rester un simple accessoire pour contes de fées. Ni anges ni bêtes, les sylphes appartiennent au goût du temps pour la féerie. Ils flottent entre réalité et imaginaire dans les récits merveilleux qui se multiplient au tournant du XVIIe au XVIIIe siècle, avec leur luxe de détails insolites et de transformations incongrues : on a si vite fait alors de se changer en sopha ou de se voir affublé d’une écumoire en guise de sexe ! Ils seraient peut-être restés d’improbables créatures pour des contes de fées voués à l’oubli si un jeune écrivain ambitieux et original ne s’en était saisi et n’avait publié en 1730 un récit intitulé elliptiquement Le Sylphe et décrit comme un songe écrit par une grande dame à une de ses amies. Crébillon n’est alors que le fils d’un des plus grands dramaturges du temps, il se débarrasse des références ésotériques qui encombrent les histoires d’êtres élémentaires, il les dépouille de leurs complications fantastiques et fait de ces figures énigmatiques le pivot d’une rêverie, d’une réflexion sur le désir. Le siècle se précipita à sa suite. À la recherche d’une morale nouvelle, libérée des interdits et de la culpabilité, les Lumières se sont amusées, parfois inquiétées du besoin d’illusion que les hommes et les femmes semblent manifester dans leurs conduites amoureuses. Elles ont reconnu qu’il n’y a amour ni désir sans imaginaire.
Lorsque Crébillon lui consacre son premier livre, le personnage du sylphe n’est pas encore à la mode, mais il est connu du public lettré depuis plus d’un demi-siècle. Si l’on se perd en conjectures sur l’étymologie du mot et sur l’origine mythologique de cette figure voltigeante, on peut du moins fixer son entrée dans la littérature française avec Le Comte de Gabalis que l’abbé Montfaucon de Villars fait paraître en 1670. Le narrateur du Comte de Gabalis évoque la correspondance qu’il aurait entretenue avec un mystérieux Allemand, “grand seigneur et grand cabaliste”, puis rapporte les cinq entretiens qu’il a eus avec ce comte de Gabalis, venu le visiter à Paris pour s’assurer de son engagement et lui transmettre de vive voix une vérité ésotérique, d’où le sous-titre du recueil, Entretiens sur les sciences secrètes. Le lecteur moderne peut être désorienté par le bric-à-brac d’astrologie et de cabale, de mythologie païenne et de théologie chrétienne où se meut le comte de Gabalis. Mais il ne peut qu’être sensible à la mise en scène du personnage : Gabalis arrive de loin, très loin pour l’époque, des frontières de la Pologne. Il s’entoure de précautions et de formules rituelles. Ses confidences ne peuvent se faire à Paris, la discussion doit se dérouler à l’abri des oreilles indiscrètes, loin de la ville. C’est Rueil qui est choisi et, comme il se doit, dans le labyrinthe du parc. Le lecteur est donc entraîné dans le labyrinthe de révélations et d’hypothèses sur l’existence d’êtres inconnus, invisibles, qui peuplent les quatre éléments. Le premier entretien mentionne déjà les sylphes “qui sont une espèce de substances aériennes qui viennent quelquefois consulter les sages sur les livres d’Averroès qu’elles n’entendent pas trop bien.” Le second entretien élargit la perspective : ce sont désormais les quatre éléments qui grouillent de créatures subtiles. L’eau est le domaine des nymphes et des ondins, la terre celui des gnomes, le feu celui des salamandres, de même que les sylphes colonisent l’air.
Extraits
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