#Imaginaire

Tant que nous sommes vivants

Anne-Laure Bondoux

Bo et Hama travaillent dans la même usine. Elle est ouvrière de jour, lui, forgeron la nuit. Dès le premier regard, ils tombent follement amoureux. Un matin, une catastrophe survient et ils doivent fuir la ville dévastée. Commence alors pour eux un fabuleux périple à travers les territoires inconnus... Mais quand l'ombre a pris la place de la lumière, l'amour suffit-il à nous garder vivants ?

Par Anne-Laure Bondoux
Chez Editions Gallimard

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Genre

12 ans et +

 

 

 

 

« Un feu brûlant vous brûle, mais un feu éteint
ne vous éteint pas »

Terrain vague, Sandro Veronesi

 

 

 

 

PROLOGUE

 

 

Nous avions connu des siècles de grandeur, de fortune et de pouvoir. Des temps héroïques où nos usines produisaient à plein régime, où nos villes se déployaient jusqu’aux pieds des montagnes et jetaient leurs ponts par-dessus les fleuves. Nos richesses débordaient alors de nos maisons, gonflaient nos yeux, nos ventres, nos poches, tandis que nos enfants, à peine nés, étaient déjà rassasiés.

À ce moment sublime de notre histoire, nous n’avions peur de rien. Autour de nous, des plaines fertiles s’étendaient à perte de vue. Nos drapeaux flottaient, conquérants, aux sommets des hautes tours que nous avions bâties, et aveuglés par l’éclat de notre propre triomphe, nous avions la certitude que chaque pierre posée demeurerait là pour l’éternité.

Mais un jour, les vents tournèrent, emportant avec eux nos anciennes gloires.

Des sommes colossales se mirent à changer de main, mille fois par seconde. Des empires que nous avions crus immuables s’effondrèrent, tandis que d’autres s’engendraient, loin de nos frontières. Dans une accélération imprévue, la fortune que nous pensions acquise nous échappa.

Nos villes, autrefois si grasses, devinrent sèches et laides.

Les unes après les autres, nos usines cessèrent de produire, précipitant sur les routes des armées d’ouvriers aux mains vides.

Dans les ports, dans les gares, nos cargaisons et nos trains restèrent à quai.

Nos banques fermèrent, puis ce furent nos petits commerces, nos grands hôtels, nos stades, nos théâtres.

Bientôt, nos enfants eurent faim, et comme chacun redoutait de perdre le peu qui lui restait, la peur nous enveloppa de son haleine glaciale. Plus de drapeaux, plus de désirs, plus de rêves : le feu qui nous avait habités s’était éteint, et notre communauté se replia sur elle-même.

 

Une époque nouvelle commença. Un temps sans panache ni projet, où plus personne (pas même le vieux Melkior) ne devinait l’avenir.

Nous attendions quelque chose, mais nous ne savions pas quoi.

Ceux qui travaillaient encore se levaient chaque matin aussi fatigués que la veille, et s’endormaient chaque soir sans révolte. Telles des bêtes engourdies par le froid, nous retenions notre souffle et les battements de nos cœurs : nous ne vivions plus qu’à moitié.

Pourtant, au milieu du renoncement général, certains eurent l’audace de tomber amoureux. Les plus fous d’entre eux s’aimèrent.

Bo et Hama furent de ceux-là.

Les témoins de leur rencontre s’en souviennent, demandez-leur : ils vous raconteront alors l’étrange impression qui s’empara de tous, lorsque Bo entra, un matin d’hiver, dans la salle des machines.

 

 

 

 

 

PREMIÈRE PARTIE

 

1

 

LE BRUIT ET LE SILENCE

 

 

La sirène venait de retentir, annonçant l’aube. Cent ouvriers, hommes et femmes, s’apprêtaient à prendre leur poste, tandis que cent autres, qui avaient travaillé la nuit entière, quittaient lentement leurs machines.

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25/09/2014 304 pages 15,00 €
Scannez le code barre 9782070653799
9782070653799
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