#Roman étranger

Transatlantic

Colum McCann

A Dublin, en 1845, Lily Duggan, jeune domestique de dix-sept ans, croise le regard de Frederick Douglass, le Dark Dandy, l'esclave en fuite, le premier à avoir témoigné de l'horreur absolue dans ses Mémoires. Ce jour-là, Lily comprend qu'elle doit changer de vie et embarque pour le Nouveau Monde, bouleversant ainsi son destin et celui de ses descendantes, sur quatre générations. A Dublin encore, cent cinquante ans plus tard, Hannah, son arrière-petite-fille, tente de puiser dans l'histoire de ses ancêtres la force de survivre à la perte et à la solitude.

Par Colum McCann
Chez Belfond

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Editeur

Belfond

Genre

Littérature étrangère

2012

 

 

 

LE COTTAGE ÉTAIT PLANTÉ AU  BORD DU  LAC. Elle entendait le vent battre la pluie tout au long de la surface, frapper les arbres et muscler l’herbe.

Elle choisit de se réveiller très tôt, avant les enfants. Cette maison-là valait la peine d’être écoutée. Ces drôles de bruits là-haut. Elle avait d’abord pensé à des rats, leurs petites pattes sur l’ardoise, pour découvrir bientôt que c’était les mouettes. Les mouettes qui lâchaient des huîtres sur le toit, afin de briser leurs coquilles. C’était surtout le matin, parfois avant le lever du jour.

Un ping ! caractéristique, suivi d’un bref silence, ensuite les huîtres cahotaient sur les tuiles et elles glissaient dans l’herbe, tachetées de chaux.

Elles ne s’ouvraient franchement que si elles tombaient droit, restaient entières quand elles atterrissaient de travers, pour dormir dans l’allée comme des grenades désamorcées.

Jamais à court d’acrobaties, les mouettes fondaient sur les mollusques et, à peine rassasiées, bleues et grises escadrilles, s’en revenaient au lough.

 

Alors la maison s’éveillait, les fenêtres grinçaient, les portes et les placards, l’air du large emplissait les pièces.

 

 

 

PREMIÈRE PARTIE

 

 

 

1919

 

Ombres et nuages

 

 

C’ÉTAIT UN BOMBARDIER. Un Vickers  Vimy, bricolé. Du  bois, de la toile, des  câbles en acier. Un avion lourd et large, qu’Alcock  appelait encore un petit zinc nerveux. Chaque fois, il tapotait sur le fuselage, puis d’un mouvement souple et délié s’installait dans le cockpit à côté de Brown. Une main sur les gaz, les pieds sur le palonnier, il était déjà dans les hauteurs. Par-dessus  tout, il aimait franchir les nuées, voler en  plein  soleil. En se penchant un  peu, il voyait l’ombre du  Vickers  glisser sur une mer blanche, grossir et rétrécir sur le relief nuageux.

Brown, le navigateur, était un homme plus réservé. Se donner en spectacle le gênait. Le buste en avant, il restait à l’écoute de l’appareil. Son intuition lui apprenait la direction du vent, mais il se basait plutôt sur ce qu’il pouvait toucher : boussoles, compas, cartes, le niveau à alcool à ses pieds.

 

En cette période du siècle, le terme de gentleman avait presque déjà valeur de mythe. La Grande Guerre avait ébranlé le monde. Tournant à plein, les rotatives avaient lâché le chiffre insupportable de seize millions. L’Europe : un ossuaire.

Alcock avait été pilote de chasse pour l’Air Service. Les bombinettes se détachaient des râteliers. L’avion soudain plus léger. Grimper haut dans la nuit. En se courbant légèrement, il voyait les champignons de fumée s’élever en bas. Palier, altitude et demi-tour à la base. À ces moments-là, Alcock ne recherchait surtout pas la célébrité. Il volait dans le noir, le cockpit ouvert aux étoiles. Puis l’aérodrome apparaissait à terre – les barbelés illuminés sur l’autel d’une étrange église.

Brown avait fait des missions de reconnaissance. La bosse des maths, des mesures aériennes. Il savait convertir tous les ciels en séries de chiffres. Même au sol, il poursuivait ses calculs, cherchait de nouvelles routes vers le plancher des vaches.

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trad. Jean-Luc Piningre
22/08/2013 374 pages 22,00 €
Scannez le code barre 9782714450074
9782714450074
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