#Roman francophone

Un homme effacé

Alexandre Postel

Damien North est professeur de philosophie dans une université cossue. Veuf, il mène une vie triste et solitaire. Mais un jour, il est embarqué par la police qui l'accuse d'avoir téléchargé sur son ordinateur des images provenant d'un réseau pédophile... L'affaire fait grand bruit, d'autant que Damien est le petit-fils d'Axel North, figure politique historique. L'inculpé a beau se savoir innocent, chacun se souvient d'un geste, d'une parole qui, interprétés à la lumière de la terrible accusation, deviennent autant de preuves à charge. Même une banale photo de sa nièce, unique enfant de son entourage, ouvre un gouffre d'horribles suppositions. Le terrible engrenage commence tout juste à se mettre en marche. Alexandre Postel décrit avec acuité la farce des conventions sociales, les masques affables sous lesquels se cachent le pouvoir, la jalousie ou le désir de nuire - et les dérives inquiétantes d'une société fascinée par les images.

Par Alexandre Postel
Chez Editions Gallimard

0 Réactions |

Genre

Littérature française

 

 

 

 

 

La vérité ne fait pas tant de bien dans le monde que ses apparences y font de mal.

 

LA ROCHEFOUCAULD

 

 

 

 

 

 

PREMIÈRE PARTIE

 

 

 

 

 

Les jours atroces

 

1

 

 

Quelques heures avant que l’épouvante et la honte ne s’abattent sur sa vie, Damien North téléphonait au service informatique de la faculté, ce qui le mettait toujours mal à l’aise. Sa gêne ne résultait ni de ses relations avec tel ou tel informaticien, ni du dédain que professaient à l’encontre de la technologie la plupart de ses collègues, mais d’une impression troublante : l’impression d’être confronté aux émissaires d’une entité immatérielle et omnipotente, en d’autres termes à des anges, mais des anges d’un genre nouveau, ni radieux ni virevoltants, des anges qui au contraire se terraient, moroses et tout de noir vêtus, dans des sous-sols sentant la pizza froide et le renfermé — les anges d’un Dieu d’échec et de refus.

Son incompétence le poussant à solliciter plus souvent qu’un autre le service informatique, North avait en outre acquis, d’appel en appel, la certitude d’être toujours un peu plus connu de ces anges équivoques, repéré, montré du doigt, au point de devenir un de ces habitués dont on raconte en s’esclaffant la dernière gaffe, un importun qu’on écoute, le sourire aux lèvres, en clignant de l’œil pour attirer l’attention des collègues. Cette intuition n’était étayée d’aucune preuve, mais North était enclin à percevoir les choses ainsi car il était timide et par conséquent susceptible : d’imaginer que chacun de ses appels faisait les choux gras du service informatique le mortifiait. De là son inconfort lorsqu’il se résolut enfin, aux alentours de dix heures du matin, à s’emparer du téléphone.

Il s’était aperçu du problème dès le réveil. Espérant que la situation s’arrangerait d’elle-même, il avait repoussé aussi longtemps que possible le coup de fil et s’était plongé dans la lecture d’un recueil d’articles sur Descartes et l’Optique. Mais maintenant il était temps de partir pour le campus et rien n’avait changé. Assis dans un angle du salon, son ordinateur portable sur les genoux, North composa le numéro du service.

Il y eut plusieurs sonneries. Ils le faisaient exprès, North en était persuadé, pour dissuader les plaisantins ; pour le dissuader ? Il tourna la tête vers la baie vitrée. Le jardin sortait de sa nuit. La gelée qui blanchissait la pelouse aux premières heures du jour avait disparu. La lumière de février, éblouissante et pâle, frappait le mur d’enceinte. Tout au fond, les rameaux dénudés du mûrier-platane se détachaient avec une netteté hérissée sur le ciel bleu. Il faudrait les tailler, bientôt.

— Oui ?

Les anges ne s’encombrent pas de formalités.

— Bonjour, je suis bien au service informatique ?

— Je vous écoute.

Une voix distante, en désaccord avec les mots qu’elle articulait, la voix d’un homme en train de faire autre chose. North distinguait à l’arrière-plan un cliquetis continu de clavier. Il prononça les quelques mots qu’il avait préparés :

Commenter ce livre

 

10/01/2013 242 pages 17,90 €
Scannez le code barre 9782070138500
9782070138500
© Notice établie par ORB
plus d'informations