Introduction
LE MONDE DES LIVRES
Le monde des livres dans la France prérévolutionnaire était d’une diversité et d’une richesse infinies, c’est-à-dire d’une richesse en êtres humains divers qui le hantaient. En tant que système économique il demeurait embourbé dans les structures corporatives qui s’étaient développées au XVIIe siècle : une Communauté des imprimeurs et des libraires qui monopolisait le commerce à Paris, un système légal préfigurant celui des droits d’auteur (copyright) fondé sur le principe du privilège, une administration royale pour régenter la censure et résoudre les querelles intestines, des inspecteurs du commerce de la Librairie chargés d’appliquer les ordonnances — quelque trois mille édits émis au cours du XVIIIe siècle — et, hors des institutions baroques et branlantes de l’État des Bourbons, une nombreuse population de professionnels qui subvenaient à leurs besoins en fournissant des livres aux lecteurs.
Toutes les grandes villes comptaient leur lot de libraires de tout poil et de tout acabit. Quelques patriarches dominaient le commerce dans chaque centre provincial. Autour d’eux des personnages plus falots créaient des affaires, profitant de l’expansion de la demande à partir du milieu du siècle et s’efforçant de survivre au cours des décennies 1770 et 1780 qui connurent des conditions plus rudes. Sur les marges extérieures du système légal, quelques marchands grappillaient autant que possible de quoi vivre, en général en alimentant le système capillaire du commerce. Outre ces professionnels, toutes sortes d’individus créaient des micro-commerces du livre : petits commerçants qui occupaient une place légale sur le marché en achetant à l’administration royale des « brevets de libraire », entrepreneurs privés sans droit légal, marchands forains qui tenaient des étals les jours de marché, relieurs qui vendaient des livres en catimini et colporteurs en tout genre, certains avec un cheval et une carriole, d’autres monnayant leurs marchandises à pied. Ces intermédiaires loqueteux à la petite semaine, hommes, mais aussi femmes (beaucoup des plus rudes en affaires étaient des épouses ou des veuves), agissaient comme truchements cruciaux dans la diffusion de la littérature. Cependant l’histoire littéraire ne s’est guère intéressée à eux. À quelques rares exceptions, ils se sont évanouis dans le passé. Un des objets de cet ouvrage est de leur redonner vie.
Un autre est de découvrir ce qu’ils vendaient. La question de savoir quels livres atteignaient les lecteurs et comment ceux-ci les lisaient pose des interrogations plus vastes sur la nature de la communication et du ferment idéologique. Je n’aborde pas ces problèmes directement dans cet ouvrage, mais j’espère donner un récit complet de la façon dont le marché de la littérature fonctionnait et comment celle-ci pénétra la société française à l’aube de la Révolution.
Extraits
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