#Roman francophone

Underground Railroad

Colson Whitehead, Candice Zolynski

Combat poignant pour la liberté, réflexion essentielle sur l'Histoire, l'esclavage et le racisme, le roman incontournable multiprimé de Colson Whitehead enfin en édition pédagogique ! Grâce à l'Underground Railroad, un réseau historique d'aide aux esclaves, la jeune Cora tente de fuir la Géorgie, la plantation de coton, les sévices des propriétaires. A travers l'Amérique des années 1850, elle lutte pour gagner les états du nord plus cléments. Dans ce roman, encensé par la critique et lauréat du prix Pulitzer, l'auteur propose une réflexion sur la brutalité de l'esclavage et sur le racisme. Au-delà, il propose une fable humaniste sur la liberté. Niveaux et objets d'étude : 2de : La littérature d'idées - Le roman et le récit 1re : Le roman et le récit

Par Colson Whitehead, Candice Zolynski
Chez Magnard

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Editeur

Magnard

Genre

Lycée

13

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Pour Julie

 

 

AJARRY

 

 

La première fois que Caesar proposa à Cora de s’enfuir vers le Nord, elle dit non.

C’était sa grand-mère qui parlait à travers elle. La grand-mère de Cora n’avait jamais vu l’océan jusqu’à ce jour lumineux, dans le port de Ouidah, où l’eau l’avait éblouie après son séjour dans les cachots du fort. C’est là qu’ils avaient été parqués en attendant les navires. Des razzieurs dahoméens avaient d’abord kidnappé les hommes, puis étaient revenus au village à la lune suivante rafler les femmes et les enfants, qu’ils avaient fait marcher de force jusqu’à la mer, enchaînés deux par deux. En fixant le seuil noir, Ajarry crut qu’elle allait retrouver son père dans ce puits de ténèbres. Les survivants de son village lui expliquèrent que lorsque son père n’était plus parvenu à tenir le rythme, les marchands d’esclaves lui avaient défoncé la tête et avaient abandonné son corps sur le bord de la piste. Sa mère était morte bien des années plus tôt.

La grand-mère de Cora fut revendue plusieurs fois sur le chemin du fort, passant d’un marchand à un autre, troquée contre des cauris et de la verroterie. Impossible de dire combien on paya pour elle à Ouidah, car elle fit partie d’une vente en gros, quatre-vingt-huit âmes contre soixante caisses de rhum et de poudre, un prix arrêté après les marchandages habituels en sabir d’anglais. Les hommes valides et les femmes fertiles rapportaient plus que les juvéniles, ce qui rendait difficile une estimation individuelle.

La Nanny, en provenance de Liverpool, avait déjà fait deux escales sur la Côte-de-l’Or. Le capitaine échelonnait ses achats pour ne pas se retrouver confronté à une cargaison d’origine et de mentalité identiques. Dieu sait quelle mutinerie ses captifs risqueraient de concocter s’ils partageaient une langue commune. C’était la dernière escale du navire avant sa traversée de l’Atlantique. Les marins aux cheveux jaunes y conduisirent Ajarry à la rame en fredonnant. La peau blanche comme de l’os.

L’air délétère de la cale, le cauchemar de la claustration et les hurlements de ses compagnons de chaînes contribuèrent à la faire basculer dans la folie. Compte tenu de son âge tendre, ses ravisseurs ne lui infligèrent pas immédiatement leurs désirs, mais après six semaines de traversée, quelques matelots aguerris l’arrachèrent à la cale. Deux fois elle tenta de se tuer pendant ce voyage vers l’Amérique, d’abord en se privant de nourriture, puis en essayant de se noyer. Et par deux fois les marins contrecarrèrent ses plans, habitués qu’ils étaient aux manigances et aux penchants du cheptel. Ajarry n’atteignit même pas le plat-bord lorsqu’elle voulut se jeter à la mer. Sa posture geignarde, son air pitoyable, semblables à ceux de milliers d’esclaves avant elle, trahirent ses intentions. Enchaînés de la tête aux pieds, de la tête aux pieds, dans une misère exponentielle.

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trad. Serge Chauvin
21/06/2022 368 pages 5,90 €
Scannez le code barre 9782210772533
9782210772533
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