#Essais

La passion de la méchanceté. Sur un prétendu divin marquis

Michel Onfray

Pourquoi Sade qui fut, au dire même de ses hagiographes, coupable de séquestrations, de viols en réunion, de menaces de mort, de traitements inhumains et dégradants, de tortures, de tentatives d'empoisonnement, fut-il porté aux nues par l'intelligentsia française pendant tout le XXe siècle ? De Breton à Bataille, de Barthes à Lacan, de Deleuze à Sollers, tous ont vu en lui un philosophe visionnaire, défenseur des libertés, un féministe victime de tous les régimes? Fidèle à sa méthode, Michel Onfray croise la vie, Louvre et la correspondance de Sade. Romancier, il n'y aurait rien à redire à ses fictions ; mais Sade se réclame de la philosophie matérialiste, mais il laisse une place possible à la liberté, puis fait le choix du mal. Dès lors, cet homme triomphe moins en libérateur du genre humain qu'en dernier féodal royaliste, misogyne, phallocrate, violent.

Par Michel Onfray
Chez Editions Autrement

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Genre

Philosophie

« Une certaine disposition à la cruauté, envers soi-même et envers les autres, est essentiellement chrétienne. »

Tout le monde connaît les frasques d’Ilse Koch, mais peu savent son nom : les abat-jour en peau humaine dans les camps de concentration nazis, c’est elle – entre autres gestes maléfiques… La vie de cette femme racontée simplement, sans fioritures lyriques, mais avec la précision d’un anatomiste, donnerait un roman du marquis de Sade. Les tenants de la religion sadienne pousseront des cris : la littérature n’est pas le réel, la passion pour la méchanceté sur le papier dispenserait même du passage à l’acte ! Sade ne fut pas sadique ni sadien, tout juste un grand écrivain fantasmant ce qu’il n’a pas fait ! Vulgate freudienne…

À rebours de cette légende étayée par la scie musicale de la sublimation qui permettrait au pervers de l’être dans son œuvre justement pour ne pas l’être dans sa vie, la biographie de Sade montre que sa vie et son œuvre sont sadiques. L’écriture ne l’a pas dispensé d’action, elle n’était pas le substitut aux actes, mais son contrepoint. Sade était un délinquant sexuel et, en même temps, un écrivain. Le marquis est l’homme des affaires d’Arcueil, de Marseille, celui dans le jardin duquel on retrouve des ossements humains, l’individu coupable de séquestrations aggravées en réunion, de viols, de menaces de mort, de traitements inhumains et dégradants, de tortures, de tentatives d’empoisonnement, etc., et l’auteur de La Philosophie dans le boudoirJustine ou les Malheurs de la vertuet bien d’autres livres. Gilbert Lely, son biographe le plus autorisé, rapporte les forfaits et les publications…

Ajoutons que Sade n’est pas seulement un écrivain. Sinon, peut-être n’aurais-je fait aucun cas de cette œuvre. Mais il s’avance également comme un philosophe, un penseur, un homme d’idées qui défend des thèses sur le bien et le mal, le vice et la vertu, la morale et l’immoralité, la religion et la politique, la métaphysique et l’athéisme, et les devoirs d’un écrivain nourri de fictions ne sont pas les mêmes que ceux d’un philosophe créateur de visions du monde et prescripteur d’actions. La proposition philosophique du marquis de Sade est radicalement matérialiste, athée, elle exploite les conséquences les plus outrées d’une philosophie de la nécessité. Elle développe à première vue un déterminisme qui exclut la liberté. L’œuvre complète de Sade dissimule sans guillemets qui signaleraient les citations des pages entières de philosophes matérialistes (Helvétius, Holbach, La Mettrie, Diderot) qui constituent les fondations de sa vision du monde : la Nature est toute-puissante, elle ignore le bien et le mal, il faut obéir à ses injonctions qui, pour Sade, se résument aux manifestations de la pulsion de mort.

Tous les philosophes de la nécessité affirment que le libre arbitre n’existe pas parce qu’une force fait la loi : cette force prend des noms différents au cours de l’histoire des idées, logos stoïcien, conatus spinoziste, nisus holbachien, vouloir schopenhauerien, volonté de puissance nietzschéenne. Pour Sade, cette énergie noire coïncide avec une libido mauvaise. Les philosophes de la nécessité produisent tous une sagesse à partir de cette lecture du monde : y consentir… Nous n’avons pas le choix, voulons ce qui nous veut, alors nous connaîtrons le bonheur d’être au monde.

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27/08/2014 180 pages 13,00 €
Scannez le code barre 9782746739550
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