#Roman francophone

Une pomme oubliée

Jean Anglade

" Nom de gueux ! " jure Mathilde à longueur de journée. Contre qui, contre quoi ? Unique habitante d'un hameau d'Auvergne, il ne lui reste que ses chèvres, ses poules, le chat et le facteur à qui faire la causette. Mais Mathilde ne renonce à rien : ni à l'espoir de voir son village repeuplé, ni à celui de retrouver son ingrat de fils parti en ville sans jamais plus donner de nouvelles. Illusion de la vie, des derniers jours comptés. Mathilde qui vit encore et qu'on a déjà oubliée...

Par Jean Anglade
Chez Presses de la Cité

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Genre

Romans de terroir

1

 

 

 

Il portait un nom honnête, ce vieux-là, comme tous les chrétiens de la terre. Mathilde était une des rares personnes qui s’en souvenaient encore : Joannès Plandieu. Mais tout le monde lui disait Vatelequerre. Drôle de sobriquet, Vatelequerre. Un jour qu’elle l’interrogeait là-dessus, pourquoi qu’on vous appelle comme ça, il répondit :

« Dans le temps, avant mon service, je répétais ça cinquante fois du jour : va-te-le querre, va-te-le querre, va-te-le querre…

—  Qu’est-ce que ça veut dire ?

—  Va-t’en le chercher. Une manière de dire : tu me racontes des croqueberles, j’en avale pas une miette.

—  Jamais entendu ce mot dans votre bouche.

—  Non, après, l’habitude m’a passé, quand j’ai vu qu’on me marquait avec, comme on fait aux moutons. N’empêche qu’il m’est resté.

—  Il vous chagrine ou il vous fait plaisir ?

—  Je m’en fous. Un sobriquet, c’est moins lourd à porter qu’une jambe de bois. »

Trente ans, trente-cinq ans qu’ils voisinaient et ils n’avaient jamais pu se tutoyer. Lui était né au Peyroux, elle venait d’ailleurs, de l’autre côté du département, du pays des « mange-chèvres ». Son mariage l’avait conduite au château de Barante. Cuisinière et femme de chambre, son homme jardinier, chauffeur et un peu tout. La baronne et le baron les traitaient comme leurs enfants et ils avaient pleuré à la mort du pauvre Pierre, elle l’avait vu de ses  yeux. Ensuite, pour élever son fils, elle avait trouvé au Peyroux cette bicoquette, avec le jardin et toute l’herbe gratuite au bord des chemins et sur les communaux ; un peu sa pension et un peu son travail, ils n’avaient jamais eu faim.

« Avec vous, Mathilde, disait Vatelequerre, ce qui m’embête, c’est que je dois parler français. Vous êtes une mange-chèvre et votre patois, je l’entends que d’une oreille. »

Il se rattrapait avec le cheptel de sa voisine. La rue les séparait, mais la volaille venait le narguer jusque devant sa marche, alors qu’il fumait sa pipe. Y avait toujours ce grand dépenaillé de coq.

« Coqueléqué ! lui criait-il sous les moustaches.

—  Je t’en foutrai du Vatelequerre », répondait l’autre entre ses dents.

Son surnom, dans le bec de cet oiseau, ça l’horripilait. Mais il se gardait de faire de grands gestes de menace qui auraient effrayé et mis en fuite le volatile ; il préférait l’insulter en patois, tout son soûl.

« Coqueléqué ! disait le coq.

—  Vatelequerre ! Vatelequerre ! Qu’est-ce que tu lui veux, à Vatelequerre ?

—  Coqueléqué !

—  Est-ce que je te donne des noms, moi, saloperie ? Est-ce que je t’appelle Trente-Centimes, depuis qu’on t’a mis sur un timbre-poste ? Est-ce que je t’appelle Plume-au-Cul, maintenant qu’il t’en reste à peu près rien qu’une ?

—  Coqueléqué !

—  Vatelequerre ! Dis toujours ! Ah ! tu en as de jolis mollets ! Tu peux en être fier ! Tes poules t’arrachent tout ce qui te reste, parce que tu les contentes point. Bientôt, elles te foutront à poil : un peu de lard autour et tu seras prêt pour la casserole… »

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07/02/2013 230 pages 19,50 €
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