#Roman francophone

Vertiges

Lionel Duroy

Au seuil d'une séparation qu'il sait de plus en plus inévitable, Augustin observe la femme qu'il aime et avec laquelle il pensait avoir définitivement reconstruit sa vie. Meurtri, déchiré, il est néanmoins tendu par ce désir plus fort que lui de comprendre, et ne peut détacher son esprit des images qu'il convoque pour tenter d'analyser les raisons d'une telle délitescence. Au visage d'Esther se substitue bientôt celui de Cécile, la première femme avec laquelle il a vécu, premier amour fracassé lui aussi, au terme de longues années de vie commune. Tandis qu'il s'interroge sur la répétition de ces échecs amoureux, les souvenirs d'enfance remontent à la surface, toujours obsédants. Rejeté par sa mère dès son plus jeune âge, il se demande de quelle façon répondre à l'attente et au désir des femmes qu'il rencontre ; comment parvenir à fonder une famille quand la sienne, enfant, n'a cessé de se disloquer ; comment surmonter le vertige que provoque chez lui l'évocation du sentiment amoureux. Car le sujet est vaste et chaque question en appelle une autre, en forme de méditation profonde et douloureuse. Comment un être croisé par hasard peut-il provoquer chez soi une telle sidération ? Par quel miracle une attirance aussi violente s'avère-t-elle réciproque ? Comment ne pas être ébloui par le plaisir que se donnent deux corps qui s'offrent et qui s'accordent ? Comment réussir à maintenir pendant de longues années cette effervescence magnifique face aux contingences du quotidien ? Que sait-on de cet être dont on croit partager le plus secret de son existence ? Comment affronter ce gouffre qui s'ouvre sous vos pieds quand la confiance mutuelle paraît se fissurer ? À toutes ces questions dévastatrices, Lionel Duroy oppose son implacable obsession de trouver les mots pour le dire. Ecrire pour survivre. Ecrire pour vivre. "Tout ce qui ne tue pas rend plus fort", disait Niesztche, Lionel Duroy préfère penser que tout ce qui ne tue pas permet de vivre plus intensément. Depuis des années, livre après livre, Lionel Duroy tente de démêler l'imbroglio d'informations, de sensations, d'émotions qui construisent l'histoire d'une vie. Parfois très crûment, il creuse le sillon de la psychanalyse, l'applique à l'histoire d'un homme qui se bat contre lui-même et contre l'empreinte indélébile laissée par une enfance dénuée d'amour maternel. S'il est facile de retrouver les thèmes chers à l'auteur, tous les personnages ont ici changé de nom, de prénom, de décor et d'univers. Lionel Duroy renoue ainsi à la fois avec la veine autobiographique - par l'ampleur du projet qu'il poursuit -, mais aussi et surtout avec la veine purement romanesque alliée à ce style parfaitement maîtrisé qui est le sien.

Par Lionel Duroy
Chez Julliard

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Editeur

Julliard

Genre

Littérature française

C’est un autre dimanche de ce printemps 1991, mais cette fois nous sommes très excités dès le matin. Nous avons rendez-vous avec Esther au jardin de l’Hôtel de ville. C’est elle qui doit apporter le pique-nique. Nous n’avons qu’à penser à nous-mêmes, à mettre un ballon et d’autres jeux dans un sac à dos, des pull-overs et des K-ways au cas où le temps se gâterait. C’est Esther qui a proposé le jardin de l’Hôtel de ville. Ah bon, mais pourquoi pas le Parc régional ? – Augustin, tu as vu dans quel état vous êtes rentrés la dernière fois ? Le Parc régional… Elle n’avait pas fini sa phrase. Le Parc régional, c’était au temps de Cécile, avait-elle pensé, cette femme qui a mis toutes tes affaires dans des sacs-poubelle, mais on dirait que ça ne te suffit pas, il faut encore que tu retournes en pèlerinage sur les lieux de votre histoire, de votremagnifiquehistoire. On dirait que tu ne te souviens pas dans quel état d’impuissance et de délabrement tu es parti de Veyrière, tu n’écris plus, tu parviens tout juste à faire l’amour, et encore, pas tous les jours, mais ça ne t’a pas guéri de Cécile. Tu ne veux pas qu’on aille habiter Veyrière, aussi ? On pourrait louer une maison dans la même rue, comme ça tu la croiserais tous les matins au bras de son architecte. J’avais vu tout cela défiler dans le regard sombre d’Esther.

Pour le jardin de l’Hôtel de ville, nous n’avons même pas besoin de prendre la voiture. Nous allons à pied par le pont des Arts, désert à cette heure de la matinée, un dimanche, et puis les quais, Laetitia perchée sur mes épaules, Louis marchant à côté de nous.

— Ton amoureuse, elle est blonde comme maman ? s’enquiert-il.

— Non, très brune. Elle ne ressemble pas du tout à Cécile.

— Et tu la trouves jolie quand même ?

— Pourquoiquand même ?

— Parce que maman tu la trouves très jolie, tu l’as dit un jour.

— Oui, c’est vrai. Mais Esther aussi est très jolie.

— Tu crois qu’elle sera contente de nous voir ?

— J’en suis sûr, Louis. C’est elle qui me l’a demandé.

Il a aperçu une rampe d’escalier qui monte vers la voie des voitures et il court grimper les premières marches pour lancer son parachutiste. Ce printemps-là, Louis se sépare rarement de son parachutiste.

— À Veyrière, m’explique-t-il un peu plus tard, je monte dans la chambre de maman et de Markus, tu sais, et je le lance dans le jardin depuis le balcon.

Tu montes dans notre chambre, tu veux dire, ai-je failli rétorquer vivement, avant qu’une douleur au cœur me coupe le souffle.

— Les enfants, on va s’asseoir un moment sur le banc, là-bas, vous voulez bien ?

Je peux supporter d’imaginer Cécile vivant seule dans notre grande maison avec nos deux enfants, mais je n’ai pas encore la force d’imaginer sereinement Markus partageant sa vie, son lit, son lit surtout. Je hais la souffrance que ces images provoquent en moi, une souffrance de bête, et j’ai honte de l’homme haletant que je suis alors, focalisé sur ces images insoutenables. Ces images qui ne me regardent pas, me dis-je, en colère, c’est le corps de Cécile, il ne m’appartenait pas, comment ai-je pu penser que le corps de Cécile m’appartenait au point de me figurer qu’elle n’aurait ces gestes qu’avec moi ? Que jamais aucun autre homme. Comment ai-je pu me figurer une telle ânerie ? Moi-même, avec Esther, désormais. Oui, mais incapable cependant de me défaire du souvenir de Cécile dans l’intimité, et souffrant comme une bête, haletant, terrifié.

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22/08/2013 468 pages 21,00 €
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