#Essais

Vies de philosophes et de sophistes

Eunape de Sardes

De toutes les doxographies ou biographies de penseurs grecs que les auteurs de l'Antiquité ont laissées pour la postérité, seules quelques-unes nous sont parvenues. Pourtant, et aussi peu soient-elles, toutes n'ont pas connu un sort égal, et certaines ont même, malgré leurs indéniables qualités, plongé dans l'oubli. C'est le cas des Vies de Philosophes et de Sophistes d'Eunape de Sardes, collection de biographies originale pour l'époque car elle expose la vie des philosophes et des sophistes dans un seul et même ouvrage. Mais c'est avant tout la génération de penseurs abordée dans ce recueil qui fera sa spécificité, et l'oeuvre d'Eunape sera bien la seule à couvrir, comme il le dira lui-même, tout un pan de la pensée grecque déjà délaissé par les doxographes. Ces Vies ont aussi la particularité d'être écrites par un intellectuel engagé dans les controverses politiques, philosophiques et religieuses de son temps, la fin du IVe siècle de notre ère, période charnière pour la philosophie et surtout pour le paganisme, dans un Empire romain tout juste christianisé. En ces temps de crise, l'ouvrage prend la forme d'un manifeste philosophique exposant un idéal de vie païen, profondément ancré dans une culture grecque classique, se réclamant de Platon, d'Homère et s'incarnant en la personne de Julien l'Apostat, dont la biographie inédite occupe une place centrale. Pour toutes ces raisons, qu'elles soient philosophiques ou historiques, Les Vies de philosophes et de sophistes méritaient une nouvelle traduction tenant compte des récentes avancées de la recherche philologique.

Par Eunape de Sardes
Chez Editions Manucius

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Genre

Philosophie

 

 

 

 

 

I


PROLOGUE

 

 

Xénophon fut le seul d’entre tous les philosophes [453] à avoir embelli la philosophie aussi bien dans ses écrits que dans ses actes (concernant les mots, d’une part, il vit dans ses livres et y traite de l’excellence éthique ; quant aux faits, d’autre part, il fut non seulement le plus brave, mais encore, de nombreux stratèges naquirent de son exemple, et il est certain qu’Alexandre ne serait devenu Grand, si Xénophon n’avait pas existé43). C’est aussi lui qui soutenait la nécessité d’exposer les faits anodins de la vie des grands hommes. Mais pour ma part, le récit ne portera pas tant sur ce genre de petits détails que sur leurs principales actions, car si certes l’amusement de la vertu mérite discours, il serait en revanche absolument impie de taire ce qu’il y a de plus sérieux.

Ce livre sera destiné aux lecteurs intéressés, sans être rigoureux à l’égard de tous les sujets (car il était impossible de recueillir tous les détails avec minutie), sans distinguer non plus les uns des autres les meilleurs philosophes et rhéteurs, mais en exposant le genre de vie44 qui fut celui de chacun d’entre eux. Quant à décider qui fut le plus excellent, parce qu’il l’emporta sur tous les autres au moyen du discours, l’auteur laisse à qui le souhaite le soin d’en juger (c’est en effet sa volonté), à la lumière des preuves présentées.

Ce dernier a trouvé en chemin des commentaires précis grâce auxquels, s’il s’écarte du vrai, il lui sera possible de rejeter le tort sur les autres comme le ferait un bon disciple tombé entre les mains de mauvais maîtres ; mais si, émettant un jugement critique, il se trouvait du côté de la vérité et des guides dignes d’admiration, sa propre entreprise pourrait être nette et sans reproche, et ce, après avoir suivi ceux qu’il convenait de suivre.

Mais pour s’arrêter là, puisque ceux qui traitent ces sujets furent peu, et même, très peu nombreux, il ne sera rien caché aux lecteurs, ni des écrits des auteurs antérieurs, ni de ce qui nous est parvenu à ce jour de la tradition orale. Cependant, à ces deux sources historiques sera donné ce qui convient : les sources écrites ne seront en rien bouleversées, quant à celles issues de la tradition orale, ébranlées et altérées par le temps, elles seront coordonnées et fortifiées par l’écriture, pour leur assurer constance et plus grande stabilité.

 

 

 

 

 

II


DE CEUX QUI ONT RECUEILLI L’HISTOIRE
DE LA PHILOSOPHIE

 

 

Porphyre et Sotion recueillirent l’histoire de la philosophie et les informations relatives aux vies [454] des philosophes45. Mais le premier (c’est ainsi que les choses se passèrent) conclut son recueil par Platon et son époque, tandis que le second semble avoir prolongé son œuvre jusqu’à des temps plus récents, et ce, bien que Porphyre fût plus jeune que lui. Toutefois, la génération de philosophes et de sophistes qui se trouve entre [Sotion et Porphyre] ne bénéficia pas d’un traitement convenant à sa grandeur ainsi qu’à la diversité de sa valeur ; et si, d’une part, c’est avec charme que Philostrate de Lemnos46 cracha47 les vies des meilleurs sophistes, personne n’a en revanche décrit avec précision celles des philosophes. Parmi ceux-là, on peut compter l’Égyptien Ammonios48, qui fut le maître du divin Plutarque49 ; Plutarque lui-même, le charme et la lyre de toute la philosophie, Euphratès d’Égypte50 et Dion de Bithynie51, lui que l’on surnomme Chrysostome52, ou encore Apollonios de Tyane53, qui n’est déjà plus un philosophe, mais une sorte d’intermédiaire entre les dieux et les hommes. Adepte de philosophie pythagoricienne, il en révéla aussi bien le caractère divin que l’efficacité. Philostrate lui consacra une œuvre intitulée Vie d’Apollonios, et qu’il eut mieux fait de nommer Séjour d’un Dieu parmi les hommes.

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trad. Olivier D'Jeranian
03/06/2009 184 pages 13,20 €
Scannez le code barre 9782845781016
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