Vos désirs font désordre… - (Lettre ouverte à un prêtre abuseur d’enfants)

Pesci s.l. Francesca

C'était quoi pour vous, la prêtrise ? Vous aviez oublié que le nom de ce sacrement qui vous avait fait prêtre est l'ordre ? Vos désirs font désordre, Arthur. C'est ce que je vous aurais dit si je vous avais connu plus tôt, si je vous avais rencontré. Bas les pattes, vos désirs font désordre à tel point qu'ils pourraient bien disqualifier toutes ces paroles de vérité dont vous osiez vous prétendre héraut ! Il y a aujourd'hui des gamins qui ont grandi jusqu'à l'âge d'homme, dont vous et vos semblables avez tant bousillé la vie qu'ils se revendiquent apostats. Ils appellent même publiquement les victimes de vos agissements à témoigner sur les réseaux sociaux et à les rejoindre dans l'apostasie. Sur le "hashtag balance ton porc" commencent à errer des soutanes. Un court instant j'ai été tentée de rejoindre ces révoltés, de vomir avec eux l'institution qui tentait d'édulcorer leur malheur, comme l'Evangile vomit les tièdes. Mais je me suis dit qu'il y avait sans doute mieux à faire : m'efforcer de comprendre la genèse de cette expérience, de lui trouver un sens à partager. On parle aujourd'hui assez librement des victimes des prêtres pervers, mais on ne parle pas ou on parle trop peu de leurs victimes collatérales : les épouses, les compagnes, celles qui partagent leur vie et qui doivent partager les conséquences tenaces du traumatisme, en acceptant de faire ménage à trois aussi longtemps que nécessaire. Et c'est aussi pourquoi j'écris : j'aimerais qu'on nous entende. J'aimerais même que ma longue difficile expérience, faite le plus souvent à tâtons, en solitaire, ne soit pas inutile et ne reste pas isolée, mais qu'elle puisse être partagée, éclairer quelque peu la leur, peut-être les aider à trouver quelques raccourcis.

Par Pesci s.l. Francesca
Chez Les Editions du Net

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Le mari, la femme et l’avant…
Quand le passé pas simple est un peu trop présent… 
Ce sont là d’autres titres possibles pour ce récit.
Ou bien encore… Ménage à trois. 
Au théâtre ça fait plutôt marrer. C’est la recette classique du bon boulevard. On n’y craint pas le ridicule. On le recherche même un peu. On y parle haut et fort et sans mâcher ses mots. 
Mais nous nous sommes tus cinquante ans. Comme les expérienceurs de NDE s’étaient tus des dizaines d’années, craignant de passer pour menteurs ou pour fous s’ils se risquaient à dire leur expérience, parce que chacun se croyait seul. Mais peut-être plus encore comme Jean Morzelle qui refusait l’idée que, cette expérience, on l’abîme. Et de même que La vie après la vie, le livre de Raymond Moody, a permis aux expérienceurs de se reconnaître les uns dans les autres et de parler, de même l’actualité récente, les révélations des victimes d’un prêtre pervers du diocèse de Lyon, les positions du Pape François, m’ouvrent la voie à la parole sur cette épreuve de notre vie, sans craindre d’endommager la longue complicité tacite de notre amour. Ni ce qui nous reste à tous deux, non pas de foi, mais d’espérance. 
Nous sommes aujourd’hui agnostiques, hors de toute obédience à quelque dogme ou quelque culte que ce soit, mais pénétrés de l’importance de cet au-delà dont nous savons et acceptons qu’il nous échappe, sans pour autant qu’il cesse de nous guider. (…)

Il est hors de question que je vous traite de pédophile, vous, le tiers qui vous êtes immiscé dans notre couple. Je sais ce qu’est un cinéphile (j’en étais une dans ma jeunesse) ou un bibliophile, un philosophe, un philanthrope, un orchestre philarmonique… Je pourrais même imaginer qu’un nécrophile ait quelque amour pour le cadavre à qui, peut-être, il chercherait à insuffler quelque chose de sa propre vie. Mais celui qui viole un enfant ne peut être à mes yeux qu’un pédophobe, quelqu’un qui hait l’enfance et à qui elle fait peur. Quelqu’un qui se conduit envers l’enfance comme envers un objet de répulsion, un véritable objet phobique, angoissant, menaçant. Quelqu’un qui, en l’enfant lui-même, s’emploie à nier l’enfance, à la disqualifier et à la récuser, parfois même à l’anéantir jusqu’à pousser cet enfant au suicide ou à le tuer. 
 
Je sais ce que c’est qu’aimer l’enfant dans l’homme aimé. N’allez pas croire que dans ce beau jeune homme athlétique et viril, et brillant, rayonnant, qu’était mon mari lorsque nous nous sommes rencontrés, je n’aie été sensible qu’à la puissance et à l’accomplissement. J’ai traqué la fragilité, avec curiosité, avec sollicitude. J’ai été attendrie par toutes les maladresses, les naïvetés et les inachèvements, autant qu’admirative des perfections et des succès.  (…)

Nous étions nés dans le même monde devenu fou, au milieu de la même guerre barbare. Et nous avions grandi dans la même recherche de sens et de salut. (…)
Nous étions aussi tous les deux de fervents petits catholiques. Nous allions à la messe. Et à confesse. Et au caté.

Et il a fallu qu’il tombe sur vous. Dieu a permis qu’il tombe sur vous. Et il a fallu que vos mains dépassant des manches d’une soutane et qui se joignaient pour prier, ces mains qui bénissaient, accomplissaient l’Elévation, donnaient la communion, distribuaient les hosties en invoquant le corps du Christ, ces mains qu’on eût espérées pieuses et chastes… osent s’insinuer dans sa culotte pour s’emparer de son jeune sexe comme d’un butin. 
Vous l’entendiez en confession. Il s’agenouillait devant vous. Il vous disait, selon le rite de notre Eglise : « Bénissez-moi, mon Père, parce que j’ai péché ! » Puis il avouait avec candeur, avec docilité, ses petites fautes d’enfant. Déposait à vos pieds son innocence et son humilité, son repentir sincère, son désir de ne plus faire le mal, et implorait votre pardon, à vous, représentant du Christ. Vous lui remettiez ses péchés. Au nom de Dieu. Et vous lui indiquiez sa pénitence à accomplir. Au nom de Dieu. De vos mains sacrilèges, de votre bouche blasphématrice, il recevait le sacrement de pénitence, la bénédiction du Seigneur : « Allez bien en paix, mon enfant ! »  

ET VOUS ? Je voudrais le crier jusqu’à m’arracher les entrailles… Pouviez-vous aller bien en paix ? Qui vous les remettait, à vous, vos péchés ? Qui vous donnait une pénitence ?  Qui s’assurait de votre contrition ?
Y a-t-il eu un prêtre, un évêque, pour vous entendre en confession ? Y a-t-il eu quelqu’un pour vous dire que vous ne pourriez être absout de vos fautes que si vous cessiez de les commettre ? Et que le mal que vous faisiez à ces jeunes corps et ces jeunes âmes qui vous étaient confiés, était tout aussi infini que la miséricorde divine ? Personne sans doute. On ne parlait pas de ces choses-là. Notre sainte mère l’Eglise devait ne pas cesser de se montrer irréprochable, d’inspirer le respect, d’apparaître exemplaire. De grâce, couvrons cet humain trop humain qu’aucun petit chrétien ne saurait entrevoir…  

J’ignore ce que vous aviez pu souffrir pour en arriver là et ça ne m’intéresse pas. Je n’ai pour vous aucune curiosité, non plus que la culture de l’excuse. Je ne vous plains pas. Je ne vous hais pas non plus. Je ne vous veux et ne vous ai jamais voulu aucun mal. Mais longtemps je vous ai vomi. Longtemps vous m’avez donné la nausée. Tout comme m’a donné la nausée la lettre que vous avez cru bon de m’écrire quand vous avez appris notre mariage prochain, à moi, qui n’avais pas pouvoir de vous remettre vos péchés, mais qui devrais par force les porter avec vous durant des années de vie conjugale à la sexualité blessée… 
Et peut-être cette lettre était-elle le point d’orgue de votre perversion. Mais qu’est-ce qui vous a pris ? Qu’est-ce que vous espériez ? J’étais bien incapable de pardonner. J’avais beaucoup trop de colère. Pas seulement contre vous. Contre l’Eglise et contre Dieu, contre la terre entière et même contre votre victime. (…)

Vous espériez sans doute que je vous plaigne… Vous me parliez de vos séjours en psychiatrie et de vos dépressions. Vous me parliez de votre solitude, de ce désert d’amour dans lequel vous vieillissiez, d’où Dieu lui-même semblait absent. Vous exprimiez envers vous-même une compassion que je n’ai pu m’empêcher, un court instant, de partager. Vous souhaitiez que je prie pour vous. Et j’ai même dû le faire… Mais rien, pas une trace de repentir du mal que vous aviez infligé à autrui. Comme s’il vous avait entièrement échappé. Comme si le sort de ce petit garçon dont vous aviez altéré le destin, devenu un  si séduisant jeune homme aux yeux des femmes, mais si mal à l’aise avec elles, continuait de vous apparaître avant tout comme enviable au point de vous pousser à vous en octroyer une part. 
Vous me souhaitiez le bonheur conjugal. Et vous étiez sans doute absolument sincère. Complètement inconscient. 
 

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31/10/2019 15,00 €
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