#Polar

Zulu

Caryl Férey

Enfant, Ali Neuman a fui le bantoustan du KwaZulu pour échapper aux milices de l'Inkatha, en guerre contre l'ANC, alors clandestin. Même sa mère, seule rescapée de la famille, ne sait pas ce qu'elles lui ont fait... Aujourd'hui chef de la police criminelle de Cape Town, vitrine de l'Afrique du Sud, Neuman doit composer avec deux fléaux majeurs : la violence et le sida, dont le pays, première démocratie d'Afrique, bat tous les records. Les choses s'enveniment lorsqu'on retrouve la fille d'un ancien champion du monde de rugby cruellement assassinée dans le jardin botanique de Kirstenbosch. Une drogue à la composition inconnue semble être la cause du massacre. Neuman qui, suite à l'agression de sa mère, enquête en parallèle dans les townships, envoie son bras droit, Brian Epkeen, et le jeune Fletcher sur la piste du tueur, sans savoir où ils mettent les pieds... Si l'apartheid a disparu de la scène politique, de vieux ennemis agissent toujours dans l'ombre de la réconciliation nationale...

Par Caryl Férey
Chez Editions Gallimard

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Genre

Policiers

« Sois la lame de la petite herbe,

Et tu seras plus grand que l'axe de l'univers... »

ATTILA JÔZSEF

 

 

A mon ami Fred Couderc

dont les ailes de géant m'ont appris à voler,

et à sa femme Laurence,

planeur nerveux.

 

« Zone Libre »,

pour le son dans le rouge.

 

 

 

PREMIERE PARTIE

LA MAIN CHAUDE

 

 

1

 

 

—  Tu as peur, petit homme ?... Dis : tu as peur ? Ali ne répondait pas trop de vipères dans la bouche.

—  Tu vois ce qui arrive, petit Zoulou ? Tu vois ?!

Non, il ne voyait rien. Ils l'avaient saisi par la racine des cheveux et tiré devant l'arbre du jardin pour le forcer à regarder. Ali, buté, ren­trait la tête dans les épaules. Les mots du géant cagoule lui mordaient la nuque. Il ne voulait pas relever les yeux. Ni crier. Le bruit des tor­ches crépitait à ses oreilles. L'homme serra son scalp dans sa main cal­leuse :

—  Tu vois, petit Zoulou ?

Le corps se balançait, chiffe molle, à la branche du jacaranda. Le torse luisait faiblement sous la lune mais Ali ne reconnaissait pas le vi­sage : cet homme pendu par les pieds, ce sourire sanglant au-dessus de lui, ce n'était pas celui de son père. Non, ce n'était pas lui.

Pas tout à fait.

Plus vraiment.

Le sjambock claqua de nouveau.

Ils étaient tous là, réunis pour la curée, les « Haricots verts » qu 'on avait formés pour maintenir l'ordre dans les townships, ces Noirs à la solde des maires achetés par le pouvoir, les seigneurs de la guerre, les autres aussi, les contrevenants aux boycotts à qui on avait coupé les oreilles : Ali voulut implorer, leur dire que ça ne servait à rien, qu 'ils faisaient erreur, mais sa gorge aspirait du vide. Le géant ne l'avait pas lâché :

Regarde, petit : regarde !

Son haleine puait la bière et la misère du bantoustan : il frappa encore, deux fois, des coups cinglants qui déchiraient la chair de son père, mais l'homme pendu à l'arbre ne réagissait plus. Perdu trop de sang. La peau décollée de tous les bords. Méconnaissable. Le réel fis­suré. Ali en apesanteur visait l'autre bout du ciel : ce n 'était pas son père, ça... Non.

On lui tordit le crâne comme un écrou, avant de le jeter face contre terre. Ali tomba sur la pelouse desséchée. Il ne reconnaissait pas les hommes autour de lui, les géants portaient des bas, des cagoules, il voyait juste la rage qui transpirait des regards, leurs vaisseaux éclatés comme des fleuves de sang. Il cacha sa tête dans ses mains pour s'y en­fouir, se replier, se chiffonner, redevenir liquide amniotique... A deux pas de là, Andy faiblissait à vue d'œil. Il portait encore son short rouge pour la nuit, tout imbibé d'urine, et ses genoux s'entrechoquaient. On lui avait lié les mains dans le dos et enfilé un pneu autour du cou. Les ogres le bousculaient, crachaient sur son visage, s'invectivaient ; c'était à qui trouverait la bonne formule, la meilleure justification pour le massacre. Andy les regardait, les yeux hors de leur orbite.

Ali n 'avait jamais vu son frère flancher : Andy avait quinze ans, c'était lui l'aîné. Bien sûr ils se battaient souvent tous les deux, au grand dam de leur mère, mais Ali était décidément trop mioche pour se défendre. Ils préféraient aller à la pêche, jouer avec les petites voitures en fil de fer qu'ils se confectionnaient. Peugeot, Mercedes, Ford Andy était un expert. Il avait même bricolé une Jaguar, qu'ils avaient vue dans un magazine, une voiture anglaise qui les faisait rêver. Maintenant ses genoux cagneux grelottaient sous les torches, le jardin où on l'avait traîné empestait l'essence et les géants se disputaient autour des bidons. Plus loin des gens criaient dans la rue, les Amagoduka qui ve­naient de la campagne et qui ne comprenaient pas ce qu 'on faisait à leurs voisins le supplice du collier.

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10/04/2008 391 pages 19,80 €
Scannez le code barre 9782070120925
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