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Beaux arts

Résonances

Ouvres sans titre, sans auteur, les formes naturelles furent collectées à de nombreuses époques et dans différents lieux du monde. Universelles, elles apparaissent dans la diversité d'usages d'une pluralité de cultures comme les signatures matérielles d'invisibles forces, supports cultuels ou supports de contemplation, traits d'union entre le naturel et le surnaturel, le visible et l'invisible, mais surtout comme l'indice de préoccupations esthétiques. De l'homme de Néanderthal aux artistes contemporains, ces objets révèlent les rapports sensibles que nous entretenons avec les formes, les matières, et l'imaginaire lié aux substances naturelles. Séduisantes images venues des profondeurs de la terre, énigmatiques sculptures qui furent traces du vent, geste d'eau, leur réunion ouvre sur une interrogation, celle de la fabrication des apparences par le regard humain. Par notre regard, une masse confuse ou indéfinissable peut prendre forme. Ainsi, sans qu'ils aient été touchés par la main de l'homme, des objets non taillés, non modelés, bois fossile, cristal et liane deviennent matières à rêver. Leurs formes simples où composites semblent nier toute représentation du réel, mais c'est à celui qui les regarde que revient le privilège de leur donner sens. De même, parfois, faute de repères, notre imaginaire investit totalement les objets-témoins de cultures méconnues. Leurs formes revêtaient, à l'origine, une valeur esthétique, symbolique, rituelle ou autre, qui pour nous, demeure fréquemment hermétique ; elles ne sont nullement silencieuses et constituent un lieu de mystère que le regard s'essaie à décrypter dans le plaisir des jeux de l'imagination. Ces objets, vestiges de cultures souvent inaccessibles, possèdent un pouvoir d'évocation qui affirme leur présence et force notre intérêt, notre mémoire, voire notre émotion, les faisant ainsi pénétrer dans le jeu des rencontres formelles. Mais nous pouvons disposer encore plus librement des objets de nature, objets sans auteur, car ils nous offrent un espace sans l'affirmation d'un acte créatif autonome. L'absence de repères marque ici l'absence de support dialectique ? : peu nous importent les circonstances au cours desquelles ces éléments érodés, polis, patinés ou amalgamés se sont transformés en objets. Leur existence dépend d'un rapport profond avec celui qui les choisit, le regard du collecteur-collectionneur devenant l'acte essentiel, acte de création. C'est lui qui fonde ou qui annihile le pouvoir même de l'objet. Tout est lié à la qualité du regard, au rapport d'éligibilité qui s'établit. Sans doute faut-il quelque attention ou une capacité à être en état de fascination pour pénétrer ces pièces dont la densité et l'opacité font obstacle à une découverte facile et instantanée. C'est à celui qui les regarde qu'il convient de conquérir une expérience exceptionnelle. Ainsi ces objets permettent-ils de s'interroger sur les fondements de nos choix esthétiques - il n'est pas de regard pur ou objectif - et sur la genèse des oeuvres d'art. Que l'on considère les objets de nature comme étant en deçà ou au-delà de toute notion d'art, leur singularité en demeure saisissante : ils ne gênent nullement la spéculation esthétique, ils la stimulent. Dès lors qu'ils sont choisis, ramassés, donc déviés, pour pénétrer soit dans l'univers du sacré comme chez certains peuples d'Afrique ou d'Asie, ou dans le monde profane des collectionneurs, leur existence première trouve une autre nature. La diversité de ce type d'objets est sans limite. Il ne s'agit pas pour l'auteur de cet ouvrage d'établir un inventaire ou d'esquisser un panorama des objets de nature présentant quelque intérêt formel, ou suscitant la curiosité. Yves Le Fur se propose non pas de les isoler dans un hypothétique univers de "? formes absolues ? ", mais de les situer par rapport à notre regard sur les oeuvres d'art. Les "? oeuvres ? " dont il est question ici ont acquis une dimension poétique ou spirituelle. N'est-ce pas notre vocation la plus secrète, transgresser les limites du définissable pour accéder peut-être, à l'intemporel ??

02/2023

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Art contemporain

À mains nues. Parcours de la collection du MAC VAL

A mains nues Parcours de la collection du MAC VAL 192 pages 160 reproductions Format : 21 x 17 cm Broché, dos toilé pailleté, cahiers à la japonaise Textes : Marie Darrieussecq, Romina de Novellis, Alexia Fabre, Agnès Gayraud, Caroline Honorien, Philippe Liotard, Mélanie Meffrer Rondeau, Claire Moulène, Mathieu Potte-Bonneville, Fabienne Radi, Anne-Lou Vicente, Marion Zilio Graphisme : Lisa Sturacci Editions du MAC VAL ISBN : 978-2-900450-13-0 Parution : 8 avril 2022 15 euros Après "Le vent se lève" , exposition de la collection incarnant les relations que l'humanité entretient avec la Terre, le MAC VAL poursuit son exploration de l'humain en se recentrant sur le corps, son langage, son pouvoir et sa puissance de réinvention, avec cette nouvelle exposition "A mains nues" . Inédites ou plus anciennes, les oeuvres évoquent la réinvention de soi, le futur qu'il nous appartient de créer, à mains nues. En cette expérience partagée de la pandémie, d'empêchement de l'autre, de son contact, du violent constat de notre fragilité corporelle et de notre statut de corps vivant, nous avons eu envie de nous projeter dans le futur et de l'envisager avec désir, élan et espoir. Les oeuvres ici réunies racontent d'une part la corporéité et son langage, les fluides vitaux, les membres, dont les mains, qui incarnent la question de la réinvention de soi contre la réalité, la fatalité ou les déterminismes sociaux. La fiction, le récit, la mise en scène, le travestissement sont autant de stratégies mises en oeuvre par les artistes pour engager cette réinvention, douce, déterminée ou plus guerrière. Ont ainsi été composés des ensembles d'artistes particulièrement chers au musée et qui incarnent ces sujets : Annette Messager, Jena-Luc Blanc, Esther Ferrer, Gaëlle Choisne, Jean-Luc Verna, Nina Childress, Kapwani Kiwanga, Edi Dubien, Romina de Novellis, parmi d'autres... L'adresse à l'autre, à son regard comme à son corps, est au coeur des oeuvres, à travers la fabrication de sa propre image, portraits ou autoportraits qui résonnent ainsi avec les phénomènes historiques et contemporains de l'invention de soi, questionnant la distance au réel. Un réel souvent contredit, transformé par des artifices, maquillage, chorégraphie, tatouages, mises en scène... Il est avant tout question des langages des corps, de ce qu'ils peuvent dire, faire, enveloppe fragile, unique (? ), malléable, signifiante de l'âme qu'ils habillent et qui les habitent. Pour nous accompagner dans cet ouvrage, exclusivement illustré de photographies de ce nouvel accro- chage, nous avons invité des auteur. e. s et des artistes pour leur engagement, leur partage d'expériences positives, singulières et combatives, afin de l'ouvrir à des regards extérieurs, à d'autres voix. Exposition au MAC VAL à partir du 12 mars 2022. Avec les oeuvres de Boris Achour, Pierre Ardouvin, Bianca Argimón, Kader Attia, Elisabeth Ballet, Eric Baudart, Jean-Luc Blanc, Nina Childress, Gaëlle Choisne, Clément Cogitore, Mathilde Denize, Romina de Novellis, Angela Detanico ? /? Rafael Lain, Mario d'Souza, Edi Dubien, Mimosa Echard, Eléonore False, Sylvie Fanchon, Valérie Favre, Esther Ferrer, Nicolas Floc'h, Mark Geffriaud, Shilpa Gupta, Kapwani Kiwanga, Thierry Kuntzel, Emmanuel Lagarrigue, Ange Leccia, Natacha Lesueur, Annette Messager, Marlène Mocquet, Charlotte Moth, Frédéric Nauczyciel, Melik Ohanian, Bruno Perramant, Françoise Pétrovitch, Abraham Poincheval, Laure Prouvost, Judit Reigl, Jean-Luc Verna, Catherine Viollet, We Are The Painters...

04/2022

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Monographies

Chefs d'oeuvre de la collection Bemberg

Véritable cosmopolite d'autrefois, et homme de culture de toujours, Georges Bemberg est l'héritier d'une vieille famille vivant depuis longtemps entre l'Ancien et le Nouveau Monde. Si c'est en 1841 que le banquier Charles-Juste Bugnion achète la campagne de l'Hermitage, située sur une colline dont la vue superbe sur la cathédrale de Lausanne et le lac avait déjà été immortalisée par Camille Corot en 1825, c'est peu d'années plus tard que la famille Bemberg quitte Cologne, en Allemagne, et traverse l'Atlan- tique pour y commencer une nouvelle vie. Georges Bemberg aurait pu être pianiste, compositeur, écrivain, ou encore auteur de théâtre mais, avec une discrétion et un sens du secret qu'il érige en règle de vie, c'est en collectionneur qu'il se consacra à l'art. Jusqu'à ses derniers jours, il partage son temps entre Paris où il réside le plus souvent, New York dont il aime l'énergie et les hivers, et Buenos Aires auquel il garde un attache- ment profond. Né en Argentine en 1915 dans une famille luthérienne d'industriels, il grandit en France. Pianiste talentueux envisageant un temps de devenir compositeur, il choisit Harvard pour ses études afin de rejoindre Nadia Boulanger et côtoyer toute l'élite des compositeurs du xxe siècle. Finalement, il renonce à la carrière musicale, trop exclusive à son goût, pour se lancer dans la création littéraire. Diplômé en littérature comparée anglaise et française, il devient alors un familier des cercles d'écrivains et de poètes de la Nouvelle-Angleterre et rencontre de grands auteurs comme John Dos Passos ou Edmund Wilson. Il publie différents ouvrages et certaines de ses pièces sont jouées avec succès off-Broadway. En Argentine, il fréquente les milieux intellectuels sud-améri- cains et sa cousine Victoria Ocampo lui ouvre sa fameuse revue littéraire SUR. En France, ses nouvelles et poèmes au style subtil et sensible sont favorablement accueillis par la critique. Néanmoins, au-delà de la multiplicité de ses talents, il consacre sa vie à sa passion pour les beaux-arts. De sa famille, généreux mécène à qui l'on doit la Maison de l'Argentine à la Cité universitaire de Paris, et plus particulièrement d'un oncle, élève de Picasso, Georges Bemberg hérite de l'amour de la peinture. C'est à New York, alors âgé d'une vingtaine d'années, qu'il fait l'acquisition d'une gouache de Pissarro, remarquée chez un marchand et obtenue pour 200 dollars. "C'est pour un musée" dit-il, pour cacher sa timidité et anticipant inconsciemment son désir profond. Aux Etats- Unis, puis en France après la guerre, Georges Bemberg se familiarise avec le marché de l'art et parcourt les ventes. A Paris, il est ébloui par Bonnard et va constituer, au fil des ans, un des plus grands ensembles de ce peintre, riche de plus de trente toiles. Il le complètera par un nombre important d'autres signatures de la fin du xixe et du début du xxe siècle, impression- nistes, nabis et fauves. Il réunira également près de deux cents tableaux anciens, du xvie au xviiie siècle, dont des portraits de Clouet, Benson et Cranach. Son amour pour Venise le pousse à collectionner les maîtres vénitiens tels que Canaletto et Guardi. Toutes les formes d'expression artistique le passionnent. Ainsi, de remarquables bronzes de la Renaissance, de splendides reliures, une foule d'objets précieux ou encore des meubles de grands ébénistes viennent s'ajouter à sa collection, qu'il ne va jamais cesser d'enrichir. Dans les années 1980, Georges Bemberg recherche un lieu où abriter sa collection et la partager avec le public, considérantque les beaux objets doivent finir dans un musée pour être vus par tous. C'est ainsi que lui vient l'idée de créer une Fondation, seul moyen de préserver sa collection dans son intégrité, tout en la rendant accessible. La splendeur de l'Hôtel d'Assézat que la municipalité de Toulouse lui propose de mettre à sa disposition, le convainc d'installer sa collection dans la ville. Le voeu du collectionneur peut se réaliser : abriter les oeuvres et les objets témoignant d'une vie tout entière consacrée à la recherche artistique dans un lieu hors du commun. Investi dans la mise en scène de l'oeuvre de sa vie, il crée un décor semblable à celui d'une noble maison particulière, renouant ainsi avec la vocation première de l'hôtel d'Assézat. Ce qui distingue la collection Bemberg et qui en fait tout le charme et la personnalité, c'est qu'elle n'est rien d'autre que le reflet fidèle du goût et du tempérament de son auteur. Celui-ci a choisi chaque tableau, chaque objet, pour la seule beauté et l'émotion que leur contem- plation éveillait en lui. Régulièrement, dans le plus grand anonymat, Georges Bemberg venait voir ses oeuvres installées dans l'écrin qu'il leur avait choisi et, toujours sans se faire connaître, se plaisait à écouter les commen- taires élogieux des visiteurs. Lieu d'exception s'il en est, l'hôtel d'Assézat appartient depuis plus de cent ans à la Ville de Toulouse. Sa construction, qui remonte à la seconde moitié du xvie siècle, est due à Pierre Assézat, négociant ayant fait fortune dans le pastel, plante tinctoriale dont le commerce était alors florissant. Venu d'Espalion, en Aveyron, au début du xvie siècle pour rejoindre ses frères aînés déjà associés à ce commerce, Pierre Assézat en devient l'héritier et le successeur en 1545. Marié à la fille d'un capi- toul, receveur général de la reine douairière Eléonore d'Autriche, il accéde au Capitoulat en 1552. Dès 1551, il commence à acquérir les terrains nécessaires à la construction d'une "grande maison" . Le 26 mars 1555, il conclut un bail à besogne avec le maître-maçon Jean Castagné et l'architecte sculpteur Nicolas Bachelier pour la construction du corps de logis formé de deux ailes perpendiculaires reliées par un escalier. A la mort de Nicolas Bachelier en 1557, son fils Dominique dirige les travaux du pavillon d'entrée, de la galerie ouverte sur la cour et enfin, de la "coursière" 4 qui anime le mur mitoyen aveugle. En 1761, les descendants de Pierre Assézat vendent l'hôtel au baron de Puymaurin, qui modernise façades et appartements. L'hôtel d'Assézat nous parvient donc après deux campagnes de travaux bien distinctes : l'une, datant de la Renaissance, met en place la composition générale, le dessin des façades, la superposi- tion des ordres dorique, ionique et corinthien, l'importance donnée à tous les éléments d'architecture par l'emploi de la pierre ; l'autre, remontant au xviiie siècle, voit les fenêtres à meneaux remplacées par de grandes fenêtres au premier niveau, pour éclairer les salons nouvellement créés. Au xixe siècle, après avoir été transformé en entrepôts et en bureaux, l'hôtel d'Assézat fut acheté par la banque Ozenne et légué en 1895 à la Ville de Toulouse. C'est au terme d'une étude de plusieurs années qu'a pris forme le projet de réhabilitation de l'édifice et son aménagement en vue d'abriter la collection Bemberg. Les travaux, commencés en 1993, se sont achevés début 1995, et la Fondation Bemberg a ouvert ses portes dans un bâti- ment entièrement rénové et réaménagé en fonction de sa nouvelle vocation culturelle. La Fondation Bemberg a réalisé une première extension et une rénovation de ses espaces en 2001, ce qui a permis d'y intégrer de nouveaux espaces comme l'auditorium, les ateliers pédagogiques, etc. A l'issue de près de 25 ans d'activités, le musée nécessite des aménagements plus adaptés à sa fréquen- tation et aux attentes du public, notamment en ce qui concerne l'accueil. Afin d'offrir la meilleure expérience possible à chacun de ses visiteurs, le conseil d'administration de la Fondation Bemberg a décidé d'un ambi- tieux chantier de rénovation, prévu de la fin de l'année 2020 au début 2022. Ce projet est l'aboutissement d'une réflexion en profon- deur sur les aspects techniques et la conser- vation préventive, ainsi que sur les aspects fonctionnels et notamment sur le parcours, les agencements muséographiques, les systèmes d'éclairage ainsi que les dispositifs de média- tion associés. Différents paramètres sont ainsi intégrés : muséographie, architecture, patri- moine, fonctions, et techniques. La Fondation Bemberg ou l'art de se réinventer... A l'heure où cette dernière a fermé ses portes pour un an afin de de se préparer pour une nouvelle vie, elle consent un prêt tout à fait exceptionnel. En effet, depuis sa création, c'est la première fois que la Fondation Bemberg, en dehors des prêts individuels qu'elle pratique toujours avec joie, prête ici une très large sélection des chefs-d'oeuvre de sa collection de peintures. Nul doute que, européen convaincu et amou- reux des beaux lieux, Georges Bemberg aurait apprécié de voir nombre de ses tableaux favoris dans le cadre attachant et romantique de la Fondation de l'Hermitage, en attendant que le rêve de sa vie fasse peau neuve...

03/2021

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Histoire internationale

Dans l'ombre de l'Occident et autres propos / Les Arabes peuvent-ils parler ?

Avec Yasser Arafat et Mahmoud Darwich, Edward W. Saïd est sans doute l'un des trois palestiniens les plus célèbre du XXe siècle. Bien que la plupart de ses textes soient traduits en français, la pensée de ce Palestinien de nationalité américaine, dont Tzvetan Todorov disait qu'il était l'un des intellectuels les plus influents du monde, est encore peu connue du public non académique francophone. À l'heure où éclatent les révolutions arabes, où les nationalismes s'affirment sans fard un peu partout en Europe, où la France est en proie aux polémiques sur « l'identité nationale », la pensée d'Edward Saïd s'impose dans toute sa puissance, son acuité politique, et permet de porter un regard critique sur l'actualité occidentale ; manière, en somme, de regarder sous le tapis d'un occidentalo-centrisme décadent. Blackjack éditions publie ainsi Dans L'ombre de l'Occident, titre générique d'un recueil de trois entretiens, inédits en français (extraits du recueil Power, politics and culture, interviews with Edward W. Saïd, publié en 2004 par Bloomsbury) qui offrent une approche transversale de l'univers d'Edward Saïd et permettent de comprendre comment le statut d'exilé est intrinsèquement lié au développement de cette réflexion originale. Edward Saïd parle depuis l'exil, sa parole est « entre mondes ». Et c'est de cette position qu'il critique les systèmes de représentations, la manière dont l'Occident construit des images de l'Orient, du Moyen-Orient. Il discerne, par extension, la manière dont l'Occident construit son rapport à l'Autre. Ces constructions se révèlent radicalement politiques, directement dominatrices. Edward Saïd montre ainsi comment la culture, dans son ensemble, est travaillée par les rapports de forces et d'instrumentalisation. Émanciper l'altérité au sein même des représentations, introduire la parole d'un Autre qui ne serait pas réductible ou manipulable, tel est sans doute l'enjeu majeur de l'oeuvre de Saïd dont il est question dans ces entretiens. « Pris entre “salamalecs” et “charabia”, les Arabes n'intéressent pas “le monde”. Les musulmans non plus. Si l'islam retient politiquement l'attention, le “monde arabe” est décor et paysage ». À travers ce texte au titre provocateur, Seloua Luste Boulbina, philosophe et politiste, ne se demande bien sûr pas si les Arabes sont, dans l'absolu, en capacité de parole, mais cherche des territoires où les paroles des Arabes peuvent trouver des résonances singulières dans une culture occidentale historiquement dominatrice. « Les frontières coloniales, écrit-elle encore, ne sont pas géographiques, elles sont avant tout humaines ». Dès lors, les « entre-mondes », concept forgé par Edward Saïd, ces lieux de l'art et de la littérature, deviennent un fil conducteur pour dire les déplacements et les migrations qui permettent de construire un langage commun et d'instaurer une réelle esthétique de la parole. Dans Les Arabes peuvent-ils parler ?, Seloua Luste Boulbina engage des dialogues, met en écho des voix aussi diverses que celles de Frantz Fanon, Sigmund Freud, Joseph Conrad, Edward Saïd, Hannah Arendt, Henri Michaux, Mallarmé, Arjun Appaduraï, Jean Josh Rabearivelo, Victor Segalen, Jacques Derrida, Frantz Kafka, Yoko Ogawa, Theodor Adorno, René Descartes, Samuel Beckett, Michel Foucault, Gilles Deleuze, Mahmoud Darwich, Sayed Kashua, Marcel Detienne, Amin Maalouf, Nietzsche, Joyce, Clément Rosset, Edgar Poe, Charles Baudelaire, Alexis de Tocqueville, Roland Barthes ou encore d'Ovide. La diversité des figures de l'exil met alors en question anciennes divisions coloniales et stéréotypes contemporains. Ici, les Arabes sortent de l'ombre, trouvent place dans l'expérience commune. Les philosophes, écrivains, poètes, artistes, exilés dans leur propre langue, seraient-ils tous des Arabes se demandant en français s'ils peuvent parler ? Entre esthétique et politique, le texte de Seloua Luste Boulbina est comme une respiration, au style précis, organique : il nous invite à tendre l'oreille.

11/2011

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Préhistoire

Paléorient N° 47.1/2021

In Memoriam Geneviève Dollfus (1938-2020) par A. -M. Tillier, B. Vandermeersch et V. de Castéja Ofer Bar-Yosef (1937-2020) par B. Vandermeersch, L. Meignen, A. -M. Tillier et F. Valla Paul Sanlaville (1933-2021) by B. Geyer, R. Dalongeville, S. Muhesen, M. Traboulsi et E. Coqueugniot Dossier thématique/Thematic issuecoordonné par/coordinated by F. Le Mort and A. -M. Tillier Les populations du Proche-Orient et des régions voisines : évolution du régime alimentaire et de l'état de santé de la néolithisation au Bronze ancien The populations of the Near East and nearby regions : evolution of diet and health status from the Neolithization to the Early Bronze Age J. Guilaine, Préface A. -M. Tillier, Aspects of health status in Pre-Sedentism Populations of Southwestern Asia. Evidence from Qafzeh Site, Lower Galilee J. Stutz, F. Bocquentin, B. Chamel and M. Anton, The Effects of Early Childhood Stress on Mortality under Neolithization in the Levant : New Perspectives on Health Disparities in the Transition to Agriculture Hershkovitz, R. Sarig and H. May, Trends in Ancient Populations' Osteobiography during the Holocene : the Levantine Perspective Chamel, Dental health status changes during the Neolithisation in Syria : a diachronic perspective (9, 820-6, 000 cal. BC)J. O. Baker, B. Chamel and O. Dutour, New paleopathological evidence of the presence of tuberculosis in immature skeletal remains from Tell Aswad (8, 730-8, 290 BC cal. , Southern Syria) F. Le Mort and H. Duday, Probable Diffuse Idiopathic Skeletal Hyperostosis (DISH) in Pre-Pottery Neolithic Cyprus : Evidence from Khirokitia Y. S. Erdal, Tooth as a Tool : Activity Induced Dental Abrasion in Prehistoric Anatolia E. Herrscher, M. Poulmarc'h, G. Palumbi, S. Paz, E. Rova, G. Gogochuri, C. Longford, M. Jalabadze, L. Bitadze, N. Vanishvili, F. Le Mort, C. Chataigner, R. Badalyan and G. André, Dietary practices, cultural and social identity in the Early Bronze Age Southern Caucasus : The case of the Kura-Araxes culture F. Le Mort et A. -M. Tillier, Conclusion Recensions Nakamura S. , Adachi T. et Abe M. (éd.) 2019. Decades in Deserts. Essays on Near Eastern Archaeology in honour of Sumio Fujii. Tokyo : Rokuichi Syobou. 362 p. Par W. Abu-Azizeh Becker J. A. , von Wickeded A. (éd.) 2018. Cavi Tarlasi : Identität und Kontakt am Beispiel eines spätneolithischen Fundplatzes der ? alaf-Zeit, I-II. Berlin : Ex oriente (Bibiliotheca Neolithica Asiae meridionalis et occidentalis). 615 p. Par E. Baudouin Major J. 2018. Wadi Hammeh 27, Jordan Valley. Natufian Art items, a Contextual Analysis. Berlin : Ex oriente (Bibliotheca neolithica Asiae meridionalis et occidentalis). 372 p. By A. Belfer-Cohen Levy J. 2020. The Genesis of the Textile Industry from Adorned Nudity to Ritual Regalia. The Changing Role of Fibre Crafts and their Evolving Techniques of Manufacture in the Ancient Near East from the Natufian to the Ghassulian. Oxford : Archaeopress Publishing Ltd. 322 p. Par C. Breniquet Baumer C. et Novák M. (éd.). 2019. Urban Cultures of Central Asia from the Bronze Age to the Karakhanids. Learnings and conclusions from new archaeological investigations and discoveries. Proceedings of the First International Congress on Central Asian Archaeology held at the University of Bern, 4-6 February 2016. Wiesbaden : Harrassowitz Verlag (Schriften zur vorderasiatischen Archäologie 12). 463 p. Par H. -P. Francfort Schachner A. 2020. Ausgrabungen in Giricano II : Die chalkolithische Siedlung von Giricano am Oberen Tigris. Turnhout : Brepols (Subartu XLIV). XX + 202 p. By B. Helwing Becker J. , Beuger C. et Müller-Neuhof B. (éd.) 2019. Human iconography and symbolic meaning in Near Eastern Prehistory. Proceedings of the workshop held at 10th ICAANE in Vienna, April 2016. Vienne : Austrian Academy of Sciences (Oriental and European Archaeology 11). 246 p. Par A. Le Brun Sauvage M. (éd.) 2020. Atlas historique du Proche-Orient ancien. Beirut and Paris : Institut Français du Proche- Orient and Les Belles Lettres. XVII + 208 p. By D. T. Potts

10/2021

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Rock

Iggy Pop and The Stooges

Un beau livre présentant l'ensemble de la discographie des Stooges, groupe culte et père du punk, et de son leader Iggy Pop au cours d'une carrière solo légendaire. Un histoire profondèment rock'n'roll. Iggy Pop est l'incarnation du Wild Man Of Rock'N'Roll. Torse nu, musculeux, son corps se déforme sous la férocité de la performance, qu'il veut toujours ultime. Son oeuvre commence avec les Stooges en 1967 après quelques balbutiements garage. Avec les frères Asheton, Ron et Scott, Il viole tous les codes du rock de l'époque avec leurs deux premiers albums, The Stooges en 1969 et Fun House en 1970. Les Stooges engendre une musique dont la vibration physique est la transcription sonore de la violence urbaine de la ville industrielle de Detroit. Trop radicaux, trop en avance, les Stooges se séparent une première fois en 1971, avant de se réincarner en 1972 grâce à l'aide de David Bowie. Iggy And The Stooges publient le dernier volet du tryptique historique : Raw Power en 1973. La carrière des Stooges se terminent dans la poudre, la misère et l'alcool en 1974 après une tournée des plus cahotiques. Oublié de tous, Iggy Pop ne sait pas que la musique de son groupe est en train de devenir l'un des piliers majeurs d'une nouvelle génération appelée Punk qui surgira dès 1976. Une petite communauté de passionnés français, journalistes, disquaires, et fans, va alimenter la flamme du mythe Stooges et Iggy Pop jusqu'à son grand retour en 1977, encore une fois grâce à David Bowie. C'est le début d'une carrière solo riche de dix-neuf albums studio, balayant de vastes territoires musicaux : new-wave, hard-rock, blues-rock, electro-rock, et même chanson française. Iggy Pop s'essaie à de nombreuses expériences sonores tout en gardant une éthique rock inflexible. C'est que l'homme est devenu une figure de l'histoire du rock, presque un personnage de bande dessinée que l'on retrouve aussi au cinéma ou dans des publicités où il n'hésite pas à se parodier lui-même. Toutefois, sa légende comme son coeur a toujours battu pour ses Stooges incompris et mal-aimés. Il brisera ainsi son éthique de ne jamais revenir en arrière pour reformer les Stooges avec les frères Asheton en 2003, puis avec James Williamson en 2010. Comme une rédemption, Iggy Pop offre à ses anciens camarades l'occasion de connaître une reconnaissance méritée. Pour lui, c'est la consécration d'une existence à porter une musique originale et sans concessions, quels que furent ses éventuelles maladresses. Littéralement revenus d'entre les morts après des années d'excès, Iggy Pop et les Stooges sont aujourd'hui unanimement salués par tous les fans de rock. Il y a toujours un album que l'on aime chez Iggy Pop, quels que soient vos goûts musicaux dans le domaine. Ce livre revient sur l'ensemble de la discographie des Stooges et d'Iggy Pop, ainsi que celles des membres de ce groupe mythique (Ron Asheton, Scott Asheton, James Williamson, Jimmy Recca). Les discographies officielles, mais aussi celle parallèle des Stooges avec ses nombreux bootlegs, sont étudiées. Plusieurs interviews fleuves d'Iggy Pop rares et inédites, ainsi que celle d'Alain Lahana, son tourneur français historique et ami, permettent de cerner l'homme Iggy Pop. Des documents photographiques rares et inédits des Stooges, d'Iggy Pop, et de Ron Asheton sur scène et à la ville, ainsi que de la memorabilia rare issue des archives du Iggy Pop Fan Club français offrent une riche iconographie d'un artiste et d'un groupe des plus visuels et séminaux de ces cinquante dernières années.

12/2021

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Psychologie, psychanalyse

La faim du petit poids. Chroniques anorexiques

Voici un livre qui ne va pas vous laisser indifférents. D'abord parce qu'il parle d'un sujet grave, d'une maladie, l'anorexie mentale. Mais aussi parce que ce n'est pas un énième ouvrage scientifique écrit par un thérapeute quelconque. Non, il s'agit du journal précis et détaillé d'une jeune fille, elle-même anorexique, qui a su détailler, décrire et même expliquer les symptômes de sa maladie, ses conséquences ainsi que les mécanismes physiques et psychiques qui la caractérisent. Un témoignage forcément indispensable, une véritable analyse clinique parfaitement documentée, vécue de l'intérieur. L'auteure a ainsi particulièrement bien compris les raisons de son mal et l'impuissance du corps médical en la matière, lequel continue de croire qu'il suffit de nourrir l'anorexique pour le guérir. Tout en expliquant qu'on n'en guérit jamais, en réalité. Tantôt sombre, tantôt pleine d'espoir, l'écriture syncopée nous plonge presque immédiatement dans une sorte de transe, irrésistible, étouffante même parfois. On ne lit plus Alexia, on devient Alexia, par la magie et le rythme hypnotique de mots qui viennent des tripes. Véritable radiographie de son état intérieur, sa prose rythmée donne forme et vie à l'anorexie, la transformant tantôt en monstre, tantôt en double maléfique de l'auteure, suggérant même parfois une entité de substitution à ce père jamais connu. Non pas un livre, finalement, mais plutôt cinq en un : Un livre-démonstration pour comprendre ce qu'est VRAIMENT l'anorexie mentale. Un livre-thérapie pour la jeune écrivain en devenir dont on ne peut que ressentir le puissant souffle littéraire. Un livre-soutien propre à porter la voix des anorexiques, mais aussi de tous ceux qui, confrontés ou non à la maladie chez un proche, se trouvent souvent désemparés par des comportements qu'ils ne comprennent pas. Un livre-document qui expose avec intelligence et sensibilité tout ce que l'anorexie engendre comme contraintes, décortiquant l'ambiguïté des rapports conflictuels avec soi-même comme avec les autres dans une quête perpétuelle et inassouvie d'amour, révélant aussi la masse de souffrance physique et psychique ressentie par l'anorexique qui refuse pourtant l'idée qu'il est malade. Un livre-référence enfin, qui propose de vraies pistes de réflexion et des suggestions pour une meilleure prise en charge de cette pathologie parfaitement réelle, véritable cancer de l'âme dont le malade n'est ni coupable ni même responsable, en dépit de ce que la plupart des gens, médecins et psys compris (!) auraient tendance à croire. À 18 ans tout juste, Alexia Savey est à ce jour le plus jeune auteur des Éditions KAWA. Mais c'est aussi un fantastique paradoxe : la force d'un lion dans le corps d'une enfant, brindille qu'on découvre aussi robuste qu'un chêne. Car Alexia est anorexique, depuis cinq ans, malade d'un corps qui ne sait pas résister aux tortures de l'esprit. Mais Alexia a décidé de s'en sortir ! Et son combat passe d'abord par l'écriture, ainsi que par le dessin (elle envisage d'exposer prochainement ses œuvres). Or, si elle a commencé cette guerre contre l'anorexie pour elle-même, elle souhaite aujourd'hui se battre également pour faire évoluer la vision de cette maladie cruelle, ainsi que sa prise en charge, et pourquoi pas l'approche thérapeutique dont elle connaît trop bien les effets... comme les limites. Son projet #Défifood : À la recherche des papilles perdues constitue désormais la partie visible de son action. Quant à son cri de ralliement, « La Faim du Petit Poids », véritable marque de fabrique qu'elle revendique un partout sur Internet, sur son blog, sur les réseaux sociaux, dans son livre, dans la vraie vie (avec son association du même nom), il résume à lui-seul la détermination dont elle fait preuve au quotidien et qu'elle souhaite aujourd'hui communiquer à tous ceux qui en ont besoin.

09/2015

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Monographies

Les Gérard Cochet de La Piscine

En 2009, les descendants du peintre et graveur Gérard Cochet (1888-1969) faisaient don au musée de Roubaix de 102 oeuvres sur papier, préparatoires à des costumes ainsi qu'à des décors pour des spectacles lyriques donnés à l'Opéra-Comique. Ces dessins concernent plus spécifiquement trois oeuvres : Manon Lescaut de l'abbé Prévost et Jules Massenet (1938), Les Noces de Figaro de Mozart (1939) et Amphytrion 38 de Jean Giraudoux et Marcel Bertrand (1944). Entre 1938 et 1949, Cochet travaillera ainsi à plusieurs reprises pour la salle Favard. On lui doit également les costumes pour Mesdames de la Halle d'Offenbach (1940) ainsi que pour Le Oui des jeunes filles de René Fauchois et Reynaldo Hahn. Ces créations, bien accueillies par la critique, représentent en quelque sorte l'acmé de la carrière de décorateur de Gérard Cochet. Il avait, en effet, précédemment réaliser plusieurs décors pour des bâtiments publics et, en qualité de peintre de la marine, contribué à la décoration de plusieurs vaisseaux. Né à Avranches, Gérard Cochet grandit à Nantes où il s'initia très jeune à la peinture avec son ami Amédée de La Patellière (1890-1932) auprès d'un artiste local, tout en poursuivant des études classiques. En 1909, avec l'assentiment de ses parents, il décide de se consacrer uniquement à la peinture et se rend à Paris. Il s'inscrit à l'Académie Julian et ambitionne d'entrer à l'école des Beaux-Arts. Pour ce jeune homme discret, ces premières années sont particulièrement délicates. En proie au doute, il peine à se défaire de son apprentissage quelque peu académique et à trouver sa propre voie vers une modernité à laquelle il aspire. C'est au modeste Salon des humoristes qu'il expose pour la première fois en 1913. Ces timides débuts sont vite interrompus par la guerre. Bien que réformé, il décide de se porter volontaire. Le 5 mai 1915, Il est grièvement blessé en Argonne et perd son oeil droit. Définitivement reformé en juillet 1916, il s'initie à la gravure auprès d'André Dauchez et pratique la céramique au sein de l'atelier Lachenal. De la première, il apprendra le sens de la synthèse et la seconde lui permettra de gagner en spontanéité. Au début des années 1920, il s'affirme comme graveur de premier plan, multipliant les illustrations notamment pour les éditions Crès et Grasset. En 1924, il est récompensé pour son oeuvre gravé par le prix Blumenthal. Membre fondateur de la Jeune Gravure Contemporaine en 1929 et membre des Peintres-Graveurs Français à partir de 1946, il illustre de nombreux ouvrages de bibliophilie. Parallèlement à sa carrière de graveur, il développe également sa peinture. Une première exposition personnelle lui est consacrée par la galerie Briand-Robert en 1927. Son oeuvre peint le rapproche de la Jeune Peinture Française dont les membres les plus représentatifs sont Dunoyer de Segonzac, Marcel Gromaire, Charles Dufresnes, ses amis Yves Alix et Robert Lotiron... . Ce mouvement informel incarne pour le critique Claude Roger-Marx une certaine "mesure française" . Ils élaborent un réalisme renouvelé et affirment un certain sensualisme. Il n'est pas ici question, de "retour à l'ordre" , la plupart de ces peintres s'inscrivaient dès avant-guerre dans un réalisme construit, instruits des leçons du cubisme et de Cézanne mais regardant aussi Corot, Courbet ou Delacroix comme Gauguin, Manet ou Bonnard. Gérard Cochet développera plusieurs thématiques, Il sera le peintre des paysages et des paysans de la Manche, des champs de course, des intérieurs bourgeois et évoquera aussi régulièrement l'univers du théâtre et de la musique, qu'il affectionna tant et que cette exposition met en valeur.

03/2022

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Littérature francophone

Éros. Saga RolePlay Tome 1

La vie de Gabrielle bascule lorsqu'elle rencontre Maxence. L'alchimie s'installe dès le premier regard. Ce séduisant parisien la fait vibrer de mille façons. A ses côtés, elle se sent belle, désirée. Le plaisir n'est plus une quête, mais une découverte qui s'apprivoise et s'assume. Le lien indicible qui unit les deux amants va progressivement les mener à s'adonner aux jeux de rôles. Lors de ces rendez-vous secrets, le jeune couple rejoue ses débuts dans des contextes où audace et adrénaline sont de mise. La passion, l'Eros, prend le dessus et les entraîne vers une relation dévorante, proche de l'addiction. Seront-ils prêts à accepter ce ravissement à l'autre ? Eros est le premier tome d'une trilogie écrite par Gabarelle Corentin, une jeune autrice de la région de Verviers (Belgique) travaillant en autoédition. C'est une romance dramatique mariant érotisme, psychologie et suspens. Il est difficile de cataloguer cette oeuvre dans un genre précis, car elle ne répond pas aux exigences des maisons d'édition spécialisées en la matière. En effet, la romance érotique est un genre littéraire aux codes assez restrictifs. Gabarelle a voulu garder une certaine liberté d'expression en abordant des sujets, comme les plaisirs solitaires féminins ou l'infidélité, souvent éclipsés par les besoins masculins dans les best-sellers d'aujourd'hui. Dans ce roman, la sexualité de la femme est mise en avant de façon assumée et naturelle. Eros est l'histoire d'une rencontre charnelle fondée sur le respect où consentement et considération ont une place prépondérante. Gabrielle - le personnage principal - goûte à ce qu'elle appelle une "jouissance non assistée" (premier orgasme qu'un homme lui procure). Elle se sent en confiance, belle, désirée et n'hésite pas à jouer de ses charmes. Le plaisir n'est pas une quête, mais une découverte qui s'apprivoise et s'assume. Le pouvoir d'attraction est le seul maître d'un jeu animé par la séduction, le désir, l'amour et l'irrésistible attirance entre deux amants. Ces derniers vont rapidement être emportés par "l'éros" , la passion. Soucieuse de donner une dimension réaliste à son histoire, l'autrice aborde la relation passionnelle sous un autre angle en rappelant qu'elle peut faire naître l'obsession, la jalousie et nous entraîner vers l'irrationnel. Plusieurs références à la mythologie grecque sont faites tout au long du récit, en parallèle à une analyse psychologique des personnages. Il existe plusieurs termes pour qualifier l'amour en grec ancien et certains seront abordés tout au long de la trilogie, entre autres Storgê qui représente l'amour de la famille, comme celui qu'une mère peut porter à son enfant ainsi que Philia qui désigne "l'amour raisonnable" . Eros, quant à lui, incarne la passion. Dans la mythologie grecque, il est le dieu de l'amour et de la puissance créatrice. Il fait naître la concupiscence et le plaisir charnel. Freud voyait Eros comme une pulsion de vie qui habite chaque être humain. Il l'opposait à Thanatos, le dieu de la mort, qui représente la pulsion de destruction. Ces deux pulsions sont, selon lui, indissociables. Eros nous lie amoureusement les uns aux autres. Thanatos, de son côté, nous pousse à rompre ce lien pour que notre "moi" reste tout-puissant. La passion fait naître une forme de ravissement à l'autre, mais notre "moi" nous dicte de garder le dessus. C'est une sorte de conflit intérieur. Les Grecs considéraient la passion comme un danger, car c'est un amour qui peut vous faire perdre le contrôle, basculer dans l'irrationalité. C'est exactement ce qui se passe dans ce roman, Eros était donc une évidence.

03/2022

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Histoire des religions

Les coulisses revisitées du Christianisme. L'Evangile selon Barnabé

Barnabé d'Antioche, dont on sait peu de choses, fut le compagnon de Paul de Tarse, un Juif connu sous le prénom de Saul. Il a rassemblé des textes et des témoignages qui servent de base à ce livre imaginatif, fécond et à la limite du blasphème, tant il convoque des concepts qui mélangent les genres et invite à une réflexion derrière les apparences. Il comporte un ésotérisme ouvert à tous. Barnabé se fête chaque 11 juin. Créatif, l'auteur retrace l'Histoire, reprise sous divers angles dans la Bible. Il s'ingénie, pistes à l'appui, à décrire les personnages idéalisés, réels ou légendaires, "héros" , comme de simples humains, avec leurs qualités, leurs faiblesses et leurs défauts. Il déstabilise. "Les textes" de Barnabé d'Antioche nourrissent les portraits et les "témoignages" de l'ouvrage. Il remet en question les idées reçues, à interpréter. Il s'adresse à tous et en particulier à qui veut ouvrir les yeux et voir la lumière sans être aveuglé. Il concerne donc celles et ceux qui n'ont plus de bandeau. L'histoire narrée se déroule au 1er siècle. Elle plonge le lecteur dans une ambiance spirituelle des judaïsme, paganisme, judaïsme, mithraïsme et christianisme primitif. Nul ne pense plus que le Nouveau Testament a tout révélé. Imaginatif, l'auteur comble le vide avec force surprises. Nul ne peut nier que le christianisme apparaît comme l'outil le plus accessible pour retrouver des traditions perdues. A sa naissance, les contemporains voyaient dans cette hérésie juive un culte ésotérique. L'adepte du premier siècle était un vrai initié. Il se recrutait par cooptation. Il assistait aux cérémonies dans la plus grande discrétion. Il vivait sa foi pour lui-même. La présence, encore tue aujourd'hui, de femmes apôtres confirme le changement total des mentalités. L'auteur nous plonge dans des réalités qui pétillent de fécondité pour qui veut. Points fortsA : Légende biblique - Jésus - Paul de Tarse - Barnabé d'Antioche - Marie-Madeleine - Mithra - Esdras - Judas - Joseph - Cana - Jérusalem - Capharnaüm - Damas - Dieu - Mysticisme - Esotérisme chrétien - Quête de vérité - Imagination- Remise en question - Ouverture d'esprit - Interprétation initiatique - Franc-maçonnerie des hauts grades - Libre arbitre. Communication de l'éditeurA : Il fallait oser et ne pas craindre de blasphémer. Oser revoir et revisiter les textes d'une des religions du Livre sans pour autant lui porter atteinte, ni à elle ni à ses adhérents, mais en provoquant une élévation de l'esprit par la critique, celle qui élargit l'angle de vue de toute personne éclairée, celle qui convoque la lumière et la recherche de la vérité à travers la liberté d'interprétation. Didier De Tavernier l'a fait. Il se sert de son Evangile de Barnabé pour repeindre les personnages bibliques et leur donner une consistance de proximité humaine, lisible et féconde. Il ouvre des portes, celles de la connaissance, de l'Histoire et de l'ésotérisme tout à la fois. L'auteur trace des ponts, titille l'imagination et remet en réflexion des idées reçues. Il imagine des situations inédites et insoupçonnées. Son ouvrage secoue et perturbe. Il postule de ne pas avoir un bandeau sur les yeux, et donc d'avoir pu l'ôter. L'auteurA : Bruxellois, et proche de Rueil et de Nanterre, de famille, Didier De Tavernier a exercé la médecine longuement. Il est passionné d'histoire des religions et d'une grande érudition à portée du grand public. Il aime à faire réfléchir. Comme Alexandre Dumas, quand il retrace la petite histoire de France, De Tavernier, humblement, reprend le procédé, mais au départ de la Bible. Libre-penseur, il examine les textes et les légendes religieuses avec un recul qui impressionne. L'Evangile de Barnabé aurait pu, lors du concile de Nicée, être retenu comme le cinquième aux côtés de Jean, Matthieu, Luc et Marc. Qui sait ? L'imagination peut tout.

06/2024

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Littérature étrangère

Vivre, penser, regarder

Dans “Vivre”, la partie la plus directement personnelle du livre, Siri Hustvedt s’interroge sur son enfance, sur les formes que le désir ou l’imaginaire peuvent revêtir pendant cette période de formation. Célébrant la relation de complicité entretenue avec une mère qui lui a enseigné l’importance de l’autonomie et de la liberté, elle retrace sa quête, encore juvénile, et déjà problématique d’une tentative de définition d’elle-même en dépit de son “étrange tête” sujette à des migraines chroniques qui l’accompagneront tout au long de sa vie. S’attardant sur la notion de contexte familial en ce qu’il a pu donner naissance à tel ou tel personnages de fiction, évoquant son rapport au sommeil et/ou à l’insomnie, ou l’impact, sur son existence, de son ascendance norvégienne, elle aborde la question des fonctionnements et dysfonctionnements de la mémoire affective et le rôle joué par la figure paternelle, dont tout lecteur de La Femme qui tremble (Actes Sud, 2010) sait le rôle qu’il a notamment joué dans l’écriture du roman Elégie pour un Américain (Actes Sud, 2008, Babel n°1006). La deuxième partie de l’ouvrage, “Penser”, moins “anecdotique”, moins “narrative”, propose quant à elle une ambitieuse réflexion sur les liens qui existent entre fiction et mensonge, autobiographie et oeuvre d’imagination. Siri Hustvedt s’y interroge sur la “machinerie” de l’écriture comme sur celle de la lecture, sur la notion de vérité et sur l’amnésie en ses tours et détours. S’attachant à rendre compte de son expérience d’acquisition des instruments d’analyse permettant de mieux saisir les fonctionnements cérébraux, mentaux qui président aussi bien à la maladie (dans le pire des cas) qu’à la création artistique (dans le meilleur), l’essayiste, loin de prôner les vertus du seul jargon ésotérique (dont, tout en le maîtrisant, elle récuse l’utilisation abusive et parfois stérile), s’en affranchit pour rendre compte, avec autant de clarté et de “pédagogie ”que possible (et sans toutefois sombrer dans l’écueil d’une hâtive vulgarisation) de ses propres avancées dans le domaine de la psychanalyse ou des neurosciences, tout en mettant à contribution sa longue pratique d’écrivain et de lectrice des grands textes littéraires qu’elle a intimement fréquentés, aussi bien que des ouvrages les plus exigeants dans le domaine de la philosophie (Kant, Kierkegaard, Ricoeur, Merleau-Ponty, Sartre), de la psychiatrie (Freud, Winnicott, William James, Lacan) ou de la neurobiologie (Jaak Panksepp, Antonio Damasio). Cette partie dont un des chapitres a pour titre “L’Analyste et la fiction”, se clôt sur “L’Aire de jeu de Freud”, conférence prononcée par Siri Hustvedt à Vienne lors des rencontres annuelles Sigmund Freud, en juin 2011. La troisième partie, “Regarder” est consacrée à l’univers des arts plastiques (peinture et photographie en particulier) que Siri Hustvedt n’a jamais cessé de fréquenter à titre personnel aussi bien qu’en tant que critique d’art. On y retrouvera quelques-unes des figures tutélaires qui habitent le panthéon visuel de l’écrivain (de Goya à Morandi, en passant par Louise Bourgeois, Gerhard Richter, Annette Messager, Duccio di Buoninsegna, Richard Allen Morris, entre autres). De même que dans Les Mystères du rectangle (Actes Sud , 2006), l’écrivain propose ici une informelle leçon de regard, lequel, s’il peut naturellement convoquer des savoirs (historiques, sémiotiques), doit aussi être capable de s’en émanciper au profit du libre exercice du jugement reposant sur la réappropriation par tout individu confronté à l’oeuvre d’art, de la fonction et de l’activité purement “humaines” sur laquelle repose une expérience qui requiert, de la part de celui qui regarde, la participation du corps et d’une sensibilité subjective au moins aussi cruciales, sinon plus, que le fait de détenir une culture académique. Au terme de la lecture de cette somme architecturée de réflexions, de lectures, d’expérience que Siri Hustvedt cherche à transmettre en toute rigueur mais avec le souci d’apprivoiser, pour elle-même comme pour autrui, la complexité des tenants et aboutissants de l’expérience humaine en tant qu’entité problématique et toujours en devenir, le lecteur aura fait la connaissance d’un écrivain qui a consacré une considérable partie de son existence à explorer sans désemparer les arcanes de l’être au monde qui nous est donné en partage sous ses formes multiples et chez qui la “vocation” d’écrire est inséparable d’une aspiration à la connaissance de soi et de l’autre rendue possible par une fréquentation assidue de la recherche à l’oeuvre, de tous temps, dans les divers domaines de la pensée.

01/2013

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Littérature française

Dans l'ombre de la lumière

Dans l’ombre se tient Elissa dont le prénom (équivalent phénicien de Didon) semblait prédestiné : comme l’héroïne de Virgile, elle a été abandonnée par l’homme qu’elle aimait. Un quart de siècle plus tôt, à Carthage où désormais elle vit, elle a rencontré ce jeune homme féru de rhétorique : Augustinus. Il n’était pas encore l’auteur de très fameux sermons, ni adepte de la religion bientôt officielle : le christianisme. Tous deux pratiquaient la foi manichéenne, favorisant, dans leur hygiène de vie et leur conduite, la victoire de la lumière sur l’obscurité. Très vite Elissa lui a donné un fils, Adeodatus. Puis elle a partagé l’existence quotidienne d’Augustinus, ses débuts dans sa carrière. Elle l’a suivi à Thagaste, a connu sa mère, Monnica, catholique qui tenait le manichéisme pour une hérésie. Ce fut ensuite le long séjour en Italie, où la mère a fini par les rejoindre. Augustinus semble alors traverser une période d’interrogation profonde. Brusquement, il annonce à Elissa son projet de mariage avec une jeune patricienne. Quand Elissa prend la parole, aux premières pages de ce livre, presque douze ans après sa “répudiation”, elle est revenue vivre chez sa soeur et son beau-frère, potier à Carthage. Adeodatus est mort à la fin de l’adolescence, loin d’elle. Partout le manichéisme (auquel elle est restée fidèle) ou les dévotions aux dieux anciens (phéniciens, carthaginois) sont persécutés. Elissa s’est liée d’amitié avec un couple dont le mari infirme, Silvanus, a pour métier de copier sur des parchemins les discours de rhéteurs, d’avocats, ou de l’évêque de Carthage. Par Silvanus et son épouse Victoria, elle apprend le passage prochain à Carthage du nouvel évêque d’Hippo Regius, le très réputé Augustinus. Claude Pujade-Renaud, avec l’habileté qu’on lui connaît, s’attache à subjectiver, par la voix d’un témoin “privilégié”, ce que l’Histoire a pu passer sous silence. Empathie et documentation précise ont été nécessaires à l’élaboration de ce livre qui ne se veut ni roman historique ni pure improvisation fictionnelle : Elissa a bel et bien existé. Sur le mystère que constitue la vie de cette femme après la “rupture”, la romancière déploie toutes les variations que suggère la polysémie du titre. De celui qui a accueilli la révélation de “la lumière divine”, Elissa incarne la part d’ombre. Mais par sa fidélité et sa constance amoureuse elle est à bien des égards, si ignorée qu’elle soit, plus lumineuse que l’homme qui, en quelque sorte sous ses yeux, va rédiger ses Confessions. Par l’entremise du copiste Silvanus, qui ne sait rien de son passé, elle grappille en effet tout ce qu’elle peut apprendre au sujet de cette oeuvre en cours, devenant pour ainsi dire une de ses premières et plus concernées lectrices. Le roman les rend donc indissociables, et sans leur inventer d’improbables retrouvailles, il réfléchit une vie dans et réciproquement par l’autre. Il s’agit bien sûr aussi, pour la romancière comme pour son héroïne, de démêler la trame des motivations (ambition, stratégie, carriérisme) et des influences (la mainmise de la mère sur le destin d’Augustinus) dans un contexte historique qui est tout sauf religieusement neutre. Le roman se construit entre les lignes des mémoires augustiniennes, accompagne les grandes étapes de l’oeuvre du prédicateur sur fond de durcissement de l’intolérance, et aussi de menaces multiples : la vie d’Elissa se poursuit au-delà de la chute de Rome, alors qu’elle-même a accueilli chez elle deux réfugiées, et que le futur saint Augustin prononce son célèbre sermon. Une fois de plus, guettant les moindres traces, interprétant les silences ou les aveux à demi-mots, pressentant les non-dits, déchiffrant le subtil pouvoir du lien maternel, évoquant le corporel, les habitudes, le comportement intime, Claude Pujade-Renaud parvient à élucider ce que seules les femmes (amantes, épouses ou mères) peuvent nous apprendre de ce qu’a négligé l’historiographie des “chers disparus”.

01/2013

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Droit des sociétés

La preuve devant l'Autorité des marchés financiers

Concilier les impératifs defficacité et de légitimité de la répression financière Peut-on servir deux maîtres à la fois ? Cette question biblique est portée à sa cime lorsqu'elle est appliquée au droit, toujours tiraillé entre deux buts antagonistes. Tout comme le droit des contrats s'épuise à faire la synthèse de la liberté et de la solidarité, et le droit des sociétés celle de la collectivité et de l'individu, le droit de la preuve en matière financière doit, comme Monsieur Nicolas Ida l'observe à l'orée de son travail doctoral, " concilier les impératifs d'efficacité et de légitimité de la répression financière ". [... ] C'est cette recherche du " point d'équilibre " qui se présente comme l'horizon de la réflexion de l'auteur. Le plan de thèse de Monsieur Nicolas Ida révèle avec finesse la dualité de la preuve au travers des deux temps de la procédure devant l'AMF. Au cours de cette procédure, la preuve est successivement envisagée comme une opération matérielle, puis comme une opération intellectuelle, selon que l'on se situe au stade des investigations préalables à la notification de griefs ou au stade du jugement devant la Commission des sanctions de l'AMF. La phase préliminaire de constitution du dossier probatoire est marquée par le renforcement constant des garanties procédurales au bénéfice des personnes visées par les investigations conduites par l'AMF. Ce constat dressé par l'auteur vient en balance de l'essor des pouvoirs de l'AMF - droit de communication de tous documents, d'accès aux locaux professionnels, de procéder à des infiltrations numériques, de perquisition menée par les enquêteurs, etc. - qui ne pouvait qu'appeler des contreforts. [... ] Le second temps de l'étude se déprend des preuves matérielles pour se porter sur le raisonnement à partir des preuves ainsi réunies qu'est conduit à tenir la Commission des sanctions de l'AMF. Ce parti pris est en lui-même un apport de la thèse. Le raisonnement probatoire est en effet la boîte noire du droit de la preuve, lequel demeure trop souvent concentré sur les preuves matérielles et leur mode d'administration et d'admissibilité. [... ] Finalement, [... ] les ambitions de la thèse de Monsieur Nicolas Ida conjuguent harmonieusement suggestions spécifiques d'amélioration de la procédure devant l'AMF et propositions plus globales d'évolution du droit de la preuve en général. Le droit financier se révèle ainsi comme un point d'observation privilégié du droit de la preuve tant il exacerbe les difficultés habituelles que rencontre ce dernier, et oblige donc davantage qu'ailleurs encore, à les transcender. Le droit financier est un droit téléologique, animé par le souci du bon fonctionnement des marchés financiers. Cet objectif ne peut être atteint si les agissements répréhensibles ne font pas l'objet d'une répression efficace. Or les opérations d'initiés, les manipulations de cours ou encore les actions de concert non déclarées constituent des comportements occultes, particulièrement difficiles à débusquer et à établir en raison de l'opacité naturelle des marchés financiers. Le droit de la preuve a dû être adapté pour que l'Autorité des marchés financiers puisse remplir sa mission répressive. Ainsi, en l'absence de preuves directes, des faisceaux d'indices sont pris en compte et des présomptions de culpabilité sont mobilisées, quitte à malmener quelque peu la présomption d'innocence. L'utilisation fréquente de présomptions n'a pas pour autant fait perdre de son intérêt au recueil de preuves matérielles. Cependant, si l'efficacité des investigations financières justifie certaines entorses aux droits fondamentaux, il convient que l'Autorité ne dépasse pas les limites imposées par ces normes supérieures qui s'imposent à elle. Le souci de protection des marchés financiers est un objectif secondaire par rapport au respect de principes juridiques essentiels dans une société démocratique dominée par l'Etat de droit. Derrière les règles de preuve applicables aux procédures de sanction de l'Autorité des marchés financiers se profilent des valeurs démocratiques très précieuses pour la société. Aussi, sans méconnaître sa finalité première, le droit financier se doit de respecter ces valeurs afin de concilier les impératifs d'efficacité et de légitimité de la répression financière

02/2022

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Archéologie

Shillourokambos. Un établissement néolithique pré-céramique à Chypre - Les fouilles du secteur 3

SHILLOUROKAMBOS Les fouilles du secteur 3 The excavations in sector 3 Après être apparue sur le continent asiatique à partir du Xe millénaire av. n. -è. , la " néolithisation " s'est largement propagée. Le site de Shillourokambos à Chypre fait référence pour comprendre les tout débuts de ce processus de diffusion et la première extension des caractères néolithiques en Méditerranée. Fondé vers le milieu du IXe millénaire av. n. -è. , il a été occupé jusqu'à la fin du VIIIe, soit sur une durée d'environ 1500 ans, couvrant tout le Néolithique pré-céramique B du Levant (PPNB). Les zones fouillées entre 1991 et 2004 par la mission " Néolithisation ", avec l'appui de l'Ecole Française d'Athènes, se présentent en deux parties : l'une, au Nord, dénommée " secteur 1 ", l'autre, au Sud, dite " secteur 3 ". La seconde a été fouillée essentiellement entre 1999 et 2003. C'est cette aire qui est aujourd'hui publiée, là où les vestiges des étapes moyenne et récente de l'occupation étaient les mieux attestés et pouvaient se prêter à une certaine analyse spatiale. Elle permet une étude détaillée des périodes évoluées du site, entre 7600 et 7000 av. n. -è. et une approche de ces moments essentiels dans la formation de la culture qui s'épanouira au VIIe millénaire à Khirokitia. Outre l'introduction de certaines espèces animales (le daim, le mouton et probablement le renard), l'émergence massive de l'élevage ovin et bovin et le développement de l'agriculture au tournant des IXe-VIIIe millénaires, on y repère les mutations techniques dans la construction, les outillages lithiques, osseux ou les productions symboliques. C'est dans ce secteur 3 que fut découverte la plus ancienne preuve connue de la domestication du chat. D'importantes informations concernent les perspectives économiques perçues à partir de l'évolution des faunes et des artéfacts. Est aussi abordé l'état sanitaire des populations de l'établissement. Après la publication du secteur 1 en 2011, la communauté archéologique dispose désormais de l'ensemble des données documentaires issues des fouilles de la mission " Néolithisation " à Shillourokambos. After it appeared on the Asian continent from the 10th millennium BC onwards, Neolithisation spread widely. The site of Shillourokambos in Cyprus is a reference to understand the very beginnings of this diffusion process and the first extension of the Neolithic wave in the Mediterranean. Founded around the middle of the 9th millennium BC, it was occupied until the end of the 8th millennium, i. e. over a period of about 1, 500 years, covering the entire Pre-Pottery Neolithic B of the Levant (PPNB). The areas excavated between 1991 and 2004 by the "Neolithisation' project, with the support of the French School at Athens, are presented in two parts : one, in the north, "sector 1', the other, in the south, "sector 3'. The latter was excavated mainly between 1999 and 2003, and it is this area which is now being published. Here, the remains of the middle and recent phases of occupation were best attested and could lend themselves to spatial analysis, enabling a detailed study of the more recent periods of the site, between 7600 and 7000 BC, and of the essential moments in the formation of the culture that flourished in the 7th millennium in Khirokitia. In addition to the introduction of certain animal species (fallow deer, sheep and probably foxes), the massive emergence of sheep and cattle breeding and the development of agriculture at the turn of the 9th-8th millennia, we can also see technical changes in construction, lithic and bone tools and symbolic productions. It is in sector 3 that the earliest known evidence of cat domestication was discovered. Important information concerns the economic perspectives perceived from the evolution of the fauna and artefacts. The health status of the populations in the establishment is also documented and discussed. After the publication of sector 1 in 2011, the archaeological community now has all the documentary data from the excavations of the "Neolithisation' project in Shillourokambos. Ci-dessus : Figurine de picrolite représentant une souris (longueur = 4, 3 cm). En couverture : Vue générale de la fouille du secteur 3 en 2001.

04/2021

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Linguistique

Revue de philologie, de littérature et d'histoire anciennes volume 95-1. Fascicule 1

Amandine CHLAD : Les noms propres dans l'Iliade latine Cet article examine les emplois de noms propres dans l'Iliade latine, afin de dégager certaines spécificités de ce texte. L'examen repose sur l'analyse détaillée d'un passage essentiel de l'oeuvre, le catalogue des vaisseaux grecs et des troupes troyennes, menée en comparaison avec celui de l'Iliade, l'oeuvre source. Cet examen permet de relever l'importante fidélité de l'Iliade latine pour ce qui est de l'énonciation des anthroponymes qui composent le catalogue, malgré quelques rares différences que nous analysons dans le détail, mais également la liberté prise par le poète dans la composition de ce catalogue. En revanche, l'Iliade latine ne présente presque aucun toponyme, contrairement à son modèle. Ces différents constats peuvent nous conduire à de nouvelles conclusions sur les caractéristiques du poème latin. Carole HOFSTETTER : D'Ammonius à Qalonymos : la transmission d'un enseignement néoplatonicien sur Nicomaque Cet article s'intéresse à la question du contenu de l'enseignement alexandrin d'Ammonius (Ve s. apr. J. -C.) sur l'Introduction arithmétique de Nicomaque de Gerasa. On propose l'identification d'éléments issus de cet enseignement en confrontant le témoignage de textes composés en contexte néoplatonicien, les commentaires d'Asclépius et de Philopon à l'Introduction arithmétique et l'Institution arithmétique de Boèce. La question de l'existence d'une transmission de l'enseignement d'Ammonius en dehors de la sphère néoplatonicienne a été envisagée conjointement. Une traduction hébraïque de Nicomaque par Qalonymos (XIVe s.) a été placée en regard des textes d'Asclépius, de Philopon et de Boèce, faisant apparaître les mêmes éléments liés à l'enseignement d'Ammonius chez Qalonymos. Or ce dernier travaillait pour sa part sur le texte d'une traduction arabe (perdue) du IXe siècle jusqu'à présent identifiée comme une traduction de l'Introduction arithmétique. L'étude montre, par conséquent, que la transmission de cet enseignement s'est faite sous le nom de Nicomaque. Elle apporte de nouvelles informations sur la présence à Bagdad au IXe siècle de textes néoplatoniciens dont les sources n'ont pas gardé le souvenir, mais que la transmission de leur contenu permet d'identifier. Claire LE FEUVRE : Du vin, des écervelés et un fantôme. ??? ? ??? ? ?? (Archiloque, fr. 124b W.), ??? ? ??? ? ?? (Nicandre, Alex. 29), ??? ? ? (Hipponax, fr. 67 W.) et les composés en ??? ? -, ??? ? ? - Le mot ??? ? ? attesté chez Hipponax (fr. 67) au sens de "vin pur" , loin d'être un terme rare et dialectal, est en fait un néologisme issu d'une décomposition du composé ??? ? ??? ? ?? (Archiloque, fr. 124b). La décomposition est du même type que dans ??? ? ? "frère" issu de ??? ? ??? ? ?? , et dans les deux cas il doit s'agir d'un hypocoristique. C'est un jeu de mots d'Hipponax, que des poètes postérieurs ont repris et que les lexicographes grecs ont pris pour argent comptant. ??? ? ??? ? ?? n'est pas un composé de ??? ? ? "vin pur" mais la source de ce dernier, et c'est lui qui permet de comprendre l'évolution. C'est un composé savant et poétique formé par un jeu sur le formulaire homérique, d'après le rapport ??? ? ? "insensé" : ??? ? ??? ? "irréfléchi" : ??? ? ??? "pur" : x = ??? ? ??? ? ?? "pur" ou "peu coupé" , ??? ? - étant en distribution métrique complémentaire avec ? -. Nicandre se livre à une variation savante sur ce composé poétique avec les néologismes ??? ? ??? ? ?? et ??? ? ??? ? ??? ? . En conséquence, il faut séparer de ce ??? ? ? qui n'est qu'un fantôme le nom de fonction ??? ? ??? ? ??? ? attesté à l'époque impériale à Messène, qui n'est pas un "porteur de vin pur" ni un "porteur de coupe" : le premier élément de ce composé pourrait être une variante de (? )? ??? ? , -? ??? "bâton" , attesté chez Xénophon comme nom de piquets sur lesquels on fixe les filets de chasse, et le ??? ? ??? ? ??? ? serait un "porteur de bâton / baguette" , équivalent d'un ??? ? ??? ? ?? et exerçant la fonction de héraut. Il faut aussi séparer la glose d'Hésychius ??? ? ??? ? ??? ? ? . ??? ? ??? . Alexis MESZÁROS : Tite-Live et César Auguste Généralement considéré comme un auteur d'époque augustéenne, Tite-Live avait cependant composé les deux premières décades pendant la période triumvirale. L'article envisage en premier lieu les théories traditionnelles concernant les dates de vie et les occupations extra-historiographiques de Tite-Live, afin de démontrer la fragilité des arguments avancés et permet de situer la date de naissance de Tite-Live entre 65 et 55 av. J. -C. sans pouvoir être plus précis. Les liens de Tite-Live avec les cercles littéraires et politiques de son temps sont ensuite analysés afin de démontrer un relatif isolement de l'historien padouan et une absence de liens directs avec César Auguste et Claude. Enfin, une nouvelle datation de la composition de la première décade est proposée à partir de l'introduction par Tite-Live du concept de princeps senatus dans les Ab Vrbe condita libri, oeuvre que l'on peut considérer comme d'époque triumvirale et non augustéenne. L'ANNEE PHILOLOGIQUE : UN SIECLE DE MUTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES Ilse HILBOLD : Le savoir en partage : dynamiques internationales de la bibliographie d'études classiques (1911-1945) L'histoire de la bibliographie est un champ de recherche encore peu investi par les historiens, alors même qu'elle permet d'interroger pratiques savantes et modalités de la circulation des savoirs dans le cadre d'une réflexion transnationale. La bibliographie est ainsi un objet qu'on peut aborder de façon historique en interrogeant ses ambitions, les buts qu'elle se donne et qui constituent une réponse aux besoins qui sont exprimés par un public d'utilisateurs. Il faut d'ailleurs souligner que les revendications de la communauté savante sont largement soutenues par de grandes institutions de l'après première guerre mondiale, telles que la Société des Nations ou l'Institut international de coopération intellectuelle qui ambitionnent d'internationaliser les pratiques scientifiques. L'Année Philologique s'inscrit dès sa fondation dans ce grand mouvement de rénovation de la bibliographie au XXe siècle et son étude permet de faire porter le regard sur cette période où l'international prend des couleurs, des significations et des formes variées. Franco MONTANARI : Un secolo di bibliografia : tappe, linee e orizzonti dell'internazionalizzazione L'histoire de la Société Internationale de Bibliographie Classique (SIBC) et de L'Année Philologique (APh) est ici envisagée sous un double angle, celui de la pluridisciplinarité et celui de l'internationalisation, et on peut la considérer comme un processus de réalisation du projet initial de Jules Marouzeau notamment sous ces deux angles. L'ouverture des différentes rédactions de L'APh a élargi le panorama international qui, ces derniers temps, s'est étendu non seulement à la Grèce mais aussi à l'Extrême-Orient (Japon, Chine), en gardant toujours à l'esprit la nécessité d'assurer la cohérence unitaire de la bibliographie. Par l'intermédiaire de la SIBC, membre de la FIEC, qui elle-même est membre du CIPSH, L'APh est incluse dans un cadre institutionnel international de grande importance pour la présence des études classiques. Enfin, on examine la migration progressive de L'APh vers un travail et un produit bibliographique entièrement électroniques, de la collecte des données à la gestion de la base de données et enfin à la consultation en ligne. Dee L. CLAYMAN : The Digitization of the Année Philologique Cet essai relate la transformation de L'Année Philologique en une base de données en ligne grâce à un effort conjoint de la Société Internationale de Bibliographie Classique (SIBC) et de la Society for Classical Studies (SCS), fondée sous le nom d'American Philological Association (APA). Le concept a été abordé par l'APA en 1980, mais le processus n'a été officiellement lancé qu'en 1988, date à laquelle il a reçu la bénédiction de Juliette Ernst. Les premiers résultats tangibles sont apparus en 1989 grâce aux travaux de la Base de Données de Bibliographie Classique (DCB) à New York. Au cours de ses dix-neuf années d'activité, la DCB a converti 63 volumes de l'APh, 1924-1992, à partir de la page imprimée pour aboutir à 765 700 données enregistrées. Les données rétrospectives ont été fusionnées avec les données nouvellement recueillies par la SIBC en 2002 et mises à disposition pour la première fois en ligne. La base de données commune a transformé la recherche en études classiques et préservera la valeur de L'APh pour les générations futures. Pedro Pablo FUENTES GONZÁLEZ : L'Année Philologique, une interlocutrice et un guide quasi centenaires de la communauté scientifique sur l'Antiquité gréco-latine L'Année Philologique invite à s'interroger sur les clés susceptibles d'expliquer pourquoi, depuis sa conception par J. Marouzeau dans les années 1920, elle bénéficie d'un si grand prestige auprès de la communauté scientifique qui travaille sur l'Antiquité gréco-latine et d'un si fort ascendant sur les chercheurs. Les efforts pour justifier l'entreprise s'avèrent de toute première importance, ainsi que ceux pour la doter d'un appui institutionnel, d'un fondement normatif et d'une structure de contrôle, dans un contexte devenu progressivement, surtout grâce à J. Ernst, de plus en plus international. Un autre aspect décisif de L'Année Philologique est son caractère encyclopédique, impliquant une organisation intégrale de l'information produite dans toutes les disciplines relatives à l'Antiquité et mettant en relief leur interdépendance. L'Année Philologique a vocation ainsi d'animer et de féconder les nouvelles recherches. Loin d'être un simple ouvrage de consultation, elle se veut un ouvrage de lecture et elle offre un modèle à suivre pour le chercheur : interdisciplinarité, refus de toute précipitation, clarté et souci de précision. Face aux défis de l'avenir, il est très important qu'elle soit capable de rester fidèle à ce rôle paradoxal d'ancilla scientiae dont l'autorité est reconnue par l'ensemble de la communauté scientifique des antiquisants. Antoine VIREDAZ : Rédiger une bibliographie critique et analytique de l'antiquité gréco-latine : objectifs de L'Année Philologique et méthodes de rédaction des notices bibliographiques Le présent article vise à illustrer les méthodes de travail employées par les équipes de L'Année Philologique (APh) pour atteindre les ambitieux objectifs de qualité poursuivis par cette bibliographie. Il est en outre montré quelles informations y sont collectées et comment elles le sont, afin d'aider le lectorat de L'APh à tirer le meilleur parti de cet outil. Chris VANDENBORRE : Bibliographies aujourd'hui : vestige du passé ou instrument de recherche pour l'avenir ? Se fondant sur des exemples concrets, cet article illustre les différences de résultats entre Google Scholar et L'Année Philologique. La question posée est de savoir si les bibliographies peuvent encore jouer un rôle pertinent dans un monde numérique qui contient des traces de presque toutes les publications. La deuxième partie met en relief une valeur ajoutée moins connue des bibliographies : les possibilités qu'elles ouvrent de recherches bibliométriques.

11/2022

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Economie

L'Occupation du monde. Tome 2, Généalogie de la morale économique

Dans le prolongement de l'Occupation du monde paru en 2018, Généalogie de la morale économique expose quelques-unes des voies par lesquelles s'est constitué l'imaginaire économique qui gouverne les sociétés occidentales et entrave l'appréciation de la catastrophe environnementale produite par l'expansion du capitalisme industriel et financier. Cet imaginaire forme une idéologie d'autant plus oppressante qu'elle se présente comme pure expression d'une nature humaine. Sous couvert de neutralité, elle constitue une morale inflexible qui enjoint à chacun de prendre une part active dans le cycle des opérations économiques. La démarche généalogique permet de restituer les dynamiques culturelles et sociales à travers lesquelles s'est formé, dans la longue durée, cette figure très particulière de l'humanité qui en vient à détruire méthodiquement les conditions de possibilité de sa survie. Il y a plus de 130 ans, Friedrich Nietzsche vitupérait la morale bourgeoise et ses hypocrisies, issues d'un christianisme déclaré "ennemi de la vie" . A l'âge de l'opulence, il n'y a plus guère de motif de faire porter la critique sur les conséquences délétères des "idéaux ascétiques" . La question qui se pose est plutôt de comprendre ce que signifient les idéaux économiques et le cheminement souterrain qui a fait procéder les seconds des premiers. Nous avons à déchiffrer, pour parler comme Walter Benjamin, l'affinité qui a permis au capitalisme de proliférer comme un parasite sur le christianisme Le livre se compose d'une douzaine d'études, distribuées en deux parties. Dans un premier temps, il sera surtout question d'explorer les mythologies chrétiennes liées au travail, en premier lieu celle qui sont issues du livre de la Genèse. En observant l'apparition d'une iconographie médiévale d'Eve filant la laine après l'expulsion, ou l'interprétation du verset (Gn 2, 15) qui indique qu'Adam a été placé au jardin d'Eden "pour le cultiver et le garder" , on verra comment s'est formée l'idée que l'être humain, homme ou femme, est naturellement destiné à accomplir un travail productif, histoire dans laquelle saint Augustin et Luther marquent des inflexions notables, mais qui débute avec la rédaction de la Genèse au VIIe siècle avant notre ère. L'obsession d'un usage efficace du temps, qui est au coeur de "l'esprit du capitalisme" décrit par Max Weber, dérive d'une très ancienne structuration monastique de la temporalité, occupée à la prière et au travail manuel, qui a été puissamment relayée à l'échelle de la société entière par la pastorale du Moyen Age central. Le bon usage de ce temps, par la vertu de l' "industrie" , fait apparaître l'histoire plus complexe d'une dimension qualitative du travail qui s'appauvrit brusquement au XVIIIe siècle, quand l'industrie s'applique, non plus à l'invention et l'habilité humaine, mais à l'action des machines. Le second volet du livre est consacré à l'examen d'une série de notions et d'institutions fondamentales pour les pratiques et l'analyse économique contemporaines, dont l'histoire remonte souvent au Moyen Age central. La mise en évidence de leur profondeur historique permet de mieux faire sentir les sous-entendus qu'elles véhiculent. On s'intéressera en particulier à l'histoire du concept de valeur, néologisme du XIe siècle, thématisé pour la première fois par Albert le Grand. L'ensemble du réseau notionnel qui lui est lié dans l'analyse scolastique du juste prix (utilité, rareté, besoin) permet de rectifier le préjugé habituel d'une émergence de la pensée économique à l'époque des Lumières. A titre de confirmation, on verra que l'imaginaire du "choix rationnel" est une reformulation de la théologie chrétienne du libre-arbitre. Les notions de "capital" et de "risque" qui émergent dans le commerce méditerranéen du XIIe siècle, sous la plume de notaires pisans, sont également liées à une notion de responsabilité individuelle. L'histoire de l'institution monétaire conduit elle aussi à identifier une origine médiévale, associée à l'émergence d'une conception de la souveraineté territoriale au XIVe siècle. Une relecture des débats sur l'usure permettra de comprendre que, loin de représenter un archaïsme dépassé, l'interdit permet d'exprimer l'existence d'une sphère de moralité supérieure, faite de rapports fondés sur la bienveillance et la gratitude, sans laquelle la sphère inférieure de l'échange utile et intéressé serait tout simplement invivable. Sur la base d'une critique historique de la conceptualité et de l'imaginaire économique, il sera possible formuler, en conclusion, quelques propositions en faveur d'une morale écologique, qui subordonne la recherche de l'efficacité économique à la préservation des milieux de vie et de la justice sociale. Ce travail d'histoire intellectuelle de longue durée, englobant l'ensemble du second millénaire chrétien (avec une excursion ponctuelle dans l'histoire biblique et patristique), mené selon les canons de la recherche érudite, assume une orientation explicite vers la formulation d'une philosophie politique écologique adaptée aux conditions de la crise actuelle.

11/2020

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Littérature française

Règles de savoir-vivre à l’usage d’un jeune Juif de mes amis

Règles de savoir-vivre à l'usage d'un jeune Juif de mes amisd'André Weil-Curiel a été imprimé une première fois le 3 août 1945 aux éditions du Myrte. Nous en avons repris la préface de Léon-Paul Fargue, l'avant-propos (non signé) et le texte intégral d'André Weil-Curiel qui constituaient l'édition originale. Ce livre d'André Weil-Curiel se présente sous la forme d'une lettre adressée à un certain Lévy par un certain Dubois, ami de lycée du père du premier. Dubois retrace tout d'abord la carrière militaire de Lévy rappelant celle d'André Weil-Curiel : il a rejoint le général de Gaulle à Londres dès le 19 juin 1940. Dubois lui demande de ne pas insister sur sa valeur militaire, sur ses exploits guerriers quand les Français ont eux aussi souffert et ajoute qu'il n'y a pas lieu de se vanter ni de s'étonner du climat hostile qui accueille Lévy quand il rentre à Paris. Car, finalement, pour ceux qui "n'ont pas songé un instant à désobéir au maréchal Pétain, tu es un rebelle, tu es un émigré, un excitateur de la radio de Londres. Tu te cabres ?? Il était noble de poursuivre la lutte, de rester fidèle à l'Alliance avec l'Angleterre, de faire non seulement des voeux, mais des sacrifices pour la cause alliée ?? Peut-être - dans certains cas - mais pas dans le tien. C'est une question de nuances. Tu appartiens à une race errante". Tout ce qui va lui arriver montre qu'après la guerre, le Juif Lévy est - encore - de trop dans une société française qui n'a pas changé. Bien sûr, la famille de Lévy a été fixée en Alsace depuis le xve siècle - mais cela ne change rien... Sur un ton éminemment ironique qui dénonce le sort réservé aux Juifs par la France de l'après-guerre, suit une réflexion cinglante sur le nom des Juifs, sur leur désir de s'intégrer à une société qui le rejette toujours, sur les spoliations dont ils ont été les victimes. André Weil-Curiel manie à merveille l'antiphrase et pose les termes d'une double contrainte qui menace les Juifs : qu'ils soient braves, on leur reprochera leur arrogance ; qu'ils soient humbles, on dénignera leur prétendue servilité, leur supposé manque de dignité... Quand Lévy revendique tout simplement ses droits, Dubois lui rappelle ses devoirs. Et quand Lévy cherche à récupérer l'appartement qui lui appartient et qu'un couple Dunoyer, enrichi pendant l'Occupation, habite désormais, on lui reproche de s'être absenté de longs mois. Si Lévy insiste pour retrouver ses droits, les Dunoyer "[qui] n'étaient pas antisémites" ? pourraient le devenir... Bref, Lévy est condamné quoi qu'il fasse : "C'est cela qui est grave, Lévy ? ; un Juif ne doit pas être élu, il ne doit pas même être candidat. Il doit être discret, très discret. Il doit se féliciter tous les jours de la chance qu'il a de vivre librement en France, de n'être pas jeté en prison, ni torturé dans des camps de la mort, de ne pas porter d'étoile jaune et de pouvoir embrasser une Française sans commettre un crime. Qu'il laisse aux autres Français les honneurs et les richesses. Ces biens ne font d'ailleurs pas le bonheur. A cette condition, il dissipera les préventions qui pèsent sur lui. On l'oubliera. Que peut-il espérer de mieux ?? " André-Weil-Curiel : né dans le XVIe arrondissement de Paris le 1er juillet 1910 et mort dans le XVe, le 11 janvier 1988 - est un avocat et homme politique. Il a été conseiller municipal socialiste de Paris (IIe arrondissement) puis non-inscrit de 1959 à 1965. Il est l'un des tout premiers à rejoindre le général de Gaulle à Londres dès le 19 juin 1940. Son engagement pendant la guerre lui vaut d'être décoré de la médaille de la Résistance, de la Croix de guerre 1939-1945, de la Médaille des évadés et de la Légion d'honneur. André-Weil Curiel est l'auteur de mémoires parues, aux éditions du Myrte dans la collection "? La vie des peuples ? ", en trois volumes sous le titre général Le Temps de la honte : I. Le jour se lève à Londres (1945)? ; II. Eclipse en France (1946)? ; III. Un voyage en enfer (1947). Léon-Paul Fargue est né à Paris (Ier) le 4 mars 1876, et mort dans le VIe arrondissement de la capitale le 24 novembre 1947. Poète, chroniqueur et essayiste, "? peu connu et célèbre ? ", comme l'écrit André Beucler dans le "? Farguiana ? " de son De Saint-Pétersbourg à Saint-Germain-des-Prés, il est l'auteur d'une oeuvre remarquable et notamment du fameux Piéton de Paris (1939). Le texte de cette préface avait été publié un première fois intégralement dans Le Figaro du samedi 24 mars 1945 sous le titre "? Sombres folies ? ". Ce texte reprend en grande partie un article titré "? De l'antisémitisme ? " publié dans le "? grand hebdomadaire littéraire et illustré? " Marianne du mercredi 11 janvier 1939.

04/2023

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Muséologie

A monde nouveau, nouveaux musées. Les musées, les monuments et la communauté réinventée

Publication officielle des cinq conférences données les 15, 18, 22, 25 et 29 novembre 2021 au musée du Louvre, à l'occasion de nouvelle édition de la Chaire du Louvre. (Chaque année, un historien de renom présente à l'Auditorium du musée du Louvre une synthèse inédite sur un sujet original, qui permet des rapprochements transdisciplinaires entre des oeuvres du monde entier). Nous habitons un monde qui n'a plus de centre. Les cartes familières ne correspondent plus aux réalités que nous vivons, qu'elles soient politiques, économiques ou climatiques. De tous côtés, les hiérarchies et les hégémonies établies - culturelles, épistémologiques, sexuelles, raciales - sont mises en cause. L'idée qu'il existe des communautés distinctes au sein d'un même Etat est (re)devenue explosive : Amérindiens ou Afro-Américains aux Etats-Unis, " séparatisme " islamiste en France, etc. Partout les Etats cherchent à se doter d'une forte identité nouvelle (ou retrouvée), comme en Inde, en Russie ou en Turquie. La religion est (re)devenue une force politique incontournable. La notion d'identité à composants multiples, prônée par le philosophe indien Amartya Sen en tant que donnée centrale de la tolérance humaniste, est partout contestée. On ne peut plus se contenter d'une histoire unique, qui s'imposerait à tous, uniformément, une histoire admise par les populations, autorisée par les gouvernements. Dans ce contexte, qui racontera les histoires particulières et contradictoires des communautés diverses : qui a le droit de les raconter ? Les grandes questions politiques s'invitent désormais dans les débats culturels. Quel rôle pour nos musées - et pour les monuments - dans ces tentatives visant à repenser notre société ? C'est la question qu'entendent poser cette série de conférences et l'ouvrage qui l'accompagne. 1. A monde nouveau, musées nouveaux : des " contes " à régler C'est aussi le passé qui raconte l'avenir ; préparer le second conduit à poser un regard renouvelé sur le premier. C'est dans les musées et les monuments que les Etats présentent aux citoyens et au monde l'image de ce qu'ils pensent avoir été et de ce qu'ils souhaitent devenir. Depuis quarante ans, dans le monde entier, les idées reçues d'identité nationale et de hiérarchie globale sont remises en cause - phénomène qui oblige à penser différemment les musées existants, à mettre en perspective leurs missions et leurs discours, ou, même, à construire de nouvelles institutions muséales. Ces nouveaux musées - que ce soit à Varsovie ou à Dakar, à Washington ou à Canberra - ont pour vocation de proposer des histoires nouvelles, de rendre justice aux groupes dont l'histoire aurait été négligée, voire supprimée. Cela pose une question de fond ; le musée peut-il être à la fois lieu de mémoire et lieu de contestation ? 2. Palais, pouvoir, musée : les contradictions créatrices du Humboldt Forum à Berlin Depuis 1945, Varsovie, Vilnius et Berlin ont reconstruit les palais de leurs anciens souverains. Les objectifs étaient identiques, mais les résultats fort différents. Appelé à jouer un rôle de symbole dans la capitale d'une Allemagne nouvellement réunie, la reconstruction de l'ancien palais royal de Berlin incarne dans son architecture et dans ses collections toutes les tensions du XXe siècle allemand. Comment réconcilier ses façades classiques, où règne le langage décoratif - militaire et triomphaliste - du baroque européen, avec les oeuvres africaines, américaines, océaniennes et asiatiques qui y seront exposées ; la croix dominante, de nouveau présente sur la coupole, avec la notion d'une institution où toutes les religions jouissent d'un respect égal ? 3. Quand la foi entre au musée : religions et identités L'Occident laïc considère depuis longtemps la religion comme une affaire privée ; la foi a repris, dans bien des pays, la place qu'elle détenait au premier plan de la vie politique : en Russie, en Inde, en Turquie, entre autres, elle est ainsi redevenue un composant incontournable de l'identité nationale ou communautaire. L'Europe entière, où l'immigration a radicalement changé la donne religieuse, peine à trouver une réponse appropriée. Pour les musées dits de société, cela pose des questions épineuses et complexes, notamment pour les musées français, fondés sur le principe d'une laïcité rigoureuse. Les questions soulevées sont nombreuses. Comment présenter le sacré ? Qui a le droit de l'interpréter ou peut se donner le droit de le faire ? Peut-on admettre au musée des références cultuelles, voire même des actes cultuels en rapport avec les objets exposés ? 4. Passés troubles et troublants : les musées qui gênent Si l'on décide de mettre en oeuvre cette nouvelle lecture du passé, et de l'imposer, on peut, sans trop grande difficulté matérielle, déboulonner des statues qui ne correspondraient plus à ce nouveau regard sur l'histoire. Les collections alors jugées inconvenantes peuvent être mises en dépôt, exposées dans des contextes différents, voire restituées. Avec les bâtiments des musées, c'est moins facile, surtout lorsqu'ils font partie du patrimoine artistique ou architectural. Que faire donc des musées - en Italie, en Belgique, en France - dont l'architecture même glorifie le fascisme ou l'exploitation coloniale ? Comment les montrer, les présenter, leur donner un sens nouveau et renouvelé, partagé ? 5. Quels objets, quelles images pour les communautés en devenir ? Lorsque le " nous " politique change, comment transformer l'image que la société s'offre à elle-même ? Quel rôle la restitution, parfois même la destruction, peuvent-elles jouer dans ce processus ? A Singapour, aux Etats-Unis, en Nouvelle-Zélande, on cherche un nouveau répertoire de monuments et d'institutions où pourront se retrouver, réunies, les différentes populations du pays. Pour une communauté supranationale en voie de création, telle l'Europe, est-il possible de repérer des objets, des histoires aptes à conforter une identité commune, à propager une certaine idée de l'Europe ?

11/2021

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Philosophie

Socialisme utopique et socialisme scientifique. Ludwig Feuerbach et l'aboutissement de la philosophie classique allemande

Dans ce volume, nous avons réuni deux ouvrages de Friedrich Engels : Socialisme utopique et socialisme scientifique et Ludwig Feuerbach et l'aboutissement de la philosophie classique allemande. Il s'agit de deux chefs-d'oeuvre d'Engels. Dans la division du travail établie avec Marx, c'est à Engels qu'incomba en particulier le rôle de divulgateur et de polémiste. Toutefois, les textes que nous présentons ici sont à eux seuls suffisants pour prouver sa stature de théoricien. Socialisme utopique et socialisme scientifique est composé des trois derniers chapitres, consacrés au socialisme, de l'Antidühring, un texte que nous avons déjà publié dans la " Bibliothèque jeunes " en 2007. Engels y présente le parcours historique qui, partant de la société mercantile, conduit à la nécessité du communisme, en passant par le développement capitaliste. Il s'agit en effet de la présentation des bases objectives qui permettent de fonder scientifiquement les idéaux communistes. La clarté de l'argumentation dans ces chapitres est telle que la nécessité d'en préparer une publication séparée s'était imposée immédiatement. Ce texte fut publié pour la première fois en français, à la requête de Paul Lafargue. Son succès étonnant ouvrit la voie à des traductions en de nombreuses langues. La version que nous publions ici est justement reprise de la traduction qu'en fit Paul Lafargue, et qu'Engels révisa personnellement. Ludwig Feuerbach et l'aboutissement de la philosophie classique allemande est, comme l'écrit Engels lui-même, " un exposé succinct et systématique de nos rapports avec la philosophie hégélienne, de la façon dont nous en sommes sortis et dont nous nous en sommes séparés ". Cette oeuvre, poursuit Engels, lui " parut s'imposer de plus en plus " parce que, quarante ans après avoir rédigé L'Idéologie allemande et abandonné son manuscrit " à la critique rongeuse des souris " par manque d'éditeurs disponibles, ni Marx ni lui n'avaient plus trouvé le temps de revenir sur ce sujet important. C'est dans ce texte qu'Engels désigne le mouvement ouvrier comme " l'héritier de la philosophie classique allemande " et qu'il formule l'hypothèse, pleinement confirmée par les événements ultérieurs, que la science sur le terrain social ne peut avancer " avec intransigeance et sans préventions " qu'en tant qu'arme révolutionnaire de la classe ouvrière. Pour quelle raison publier ces deux ouvrages ensemble, dans cette collection, consacrée expressément aux jeunes générations ? Le marxisme n'est pas une doctrine académique, mais une arme de lutte. Marx et Engels n'étaient pas à la recherche d'une explication de l'Histoire ou d'une interprétation de la société, mais d'une théorie capable de résoudre un problème pratique, comme cela s'est d'ailleurs souvent vérifié dans le domaine des sciences naturelles. En l'occurrence, il s'agissait de porter le prolétariat au pouvoir et de le mettre en condition d'accomplir sa tâche historique : faire passer l'humanité au communisme. Le marxisme s'est maintenu, transmis et développé pour répondre aux situations changeantes et aux développements de cette lutte. Sa validité et sa force furent prouvées par la révolution d'Octobre, lorsque le prolétariat russe s'empara du pouvoir et imposa à la bourgeoisie les intérêts et la volonté de la classe ouvrière. C'est ainsi que, pour la première fois dans l'histoire, il parvint à arrêter une guerre, la Première Guerre mondiale impérialiste. La validité et la force pratique de la théorie marxiste ne sont pas un hasard. Leurs racines sont profondes, même si, souvent, elles ne sont pas mises en évidence. Le marxisme se base sur la vision du monde la plus moderne élaborée jusqu'à présent : le matérialisme qui reprend de la dialectique hégélienne le concept d'une réalité en transformation perpétuelle. Raison et volonté humaine peuvent orienter cette transformation, dans une certaine mesure qui n'est pas du tout négligeable. La dernière des onze thèses synthétiques sur Feuerbach, formulées par Marx en 1845, proclame justement : " Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières ; mais ce qui importe c'est de le transformer. " Dans l'oeuvre que nous présentons ici, ce rapport entre vision du monde et " socialisme scientifique " est dans l'ordre inverse, mais cela correspond à ce qui s'est réellement produit. Ce n'est qu'en 1888 qu'Engels trouva le temps et l'occasion de revenir sur les fondements philosophiques du marxisme. Comme nous l'avons rappelé ci-dessus, l'ouvrage consacré à leur exposition n'avait pas trouvé d'éditeur (L'Idéologie allemande fut publiée à titre posthume en 1932). Ce n'est donc que depuis la parution du Ludwig Feuerbach que le grand public eut accès à une exposition organique de ces fondements. Aujourd'hui, la compréhension des bases théoriques de la science marxiste, et la conscience qu'elle s'appuie sur la vision du monde la plus moderne élaborée jusqu'à présent par l'humanité, peuvent devenir un élément de force supplémentaire pour les jeunes, à qui cet ouvrage s'adresse en particulier. S'il est vrai, comme le prévoyait Engels, que le mouvement ouvrier est l'héritier naturel de la philosophie classique allemande, les jeunes générations d'internationalistes qui sont aujourd'hui dans la lutte sont les héritières naturelles de ce legs.

11/2014

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Science-fiction

1985

Après le « Meilleur des Mondes », imaginé par Aldous Huxley… Après « 1984 » de George Orwell, Mathias Ollivier produit une œuvre dans la lignée de ses pairs. Dans ce roman, la mérule sert de métaphore et de fil rouge, pour désigner tout ce qui nous envahit et nous bouffe. L’impact que ce type de roman a sur la science-fiction amène à qualifier de dystopie tout texte d’anticipation sociale décrivant un avenir sombre… Plutôt que de présenter un monde parfait, « 1985 » propose le pire qui soit. Sans doute est-ce pour que l’on veuille le rendre meilleur ? C’est l’une des intentions de l’auteur dont le style ne laisse pas indifférent. « 1985 » décrit une société étouffée par la course effrénée à la consommation illusoire. L’action se déroule dans un univers décadent, à une époque comparable à celle de la « chute de l’Empire Romain » ; sous la pression d’un système dictatorial contemporain qui offre toutes les apparences de la démocratie, mais dans lequel les citoyens sont contraints à n’avoir plus qu’un seul amour : celui de leur servitude. Avec ce titre « clin d’œil », Mathias Ollivier, renvoi à la société son image. Il balance sa vision d’un monde en bout de course, qui se dévore lui-même. Un monde absurde, peuplé d’usagers dématérialisés, manipulés, par les détenteurs du pouvoir économique et politique. « 1985 » perturbe un peu et interpelle beaucoup ; en ces temps de crise économico-financière et révolutions technologiques, qui ébranlent les systèmes à l'échelle planétaire. Un certain nombre de faits désormais avérés amènent, en effet, à se demander comment l’on pourrait échapper aux projets du « nouvel ordre mondial » et préserver certaines valeurs. L'argument littéraire développé dans ce roman iconoclaste est proche de notre réalité sociale tout en dénonçant les dérives d’un futur proche ; ce qui lui ajoute une dimension tangible. Demain, c’était hier… Le héros, Marcus, jeune informaticien de haut vol, devient un despérado solitaire, luttant à sa manière contre le rouleau compresseur qu'est le « Centre Capitolain », lieu de pouvoir irradiant tout l’Empire de son attraction mortifère. Le « Centre », quintessence d'un capitalisme devenu « boîte de Pandore pubocratique » que personne n'ose refermer et ne peut encore moins contrôler. Marcus traîne son mal-être, entre Paris et Bruxellanum, dans le « pire des mondes », en réminiscence au récit de Suétone. Le « Centre » haut lieu de la « Pubocratie » offre sécurité, loisirs et plaisirs pour annihiler la conscience des citoyens, les gavant de « fake’s news » et de pubs qui leur font oublier qu’ils sont manipulés. L’agonie des hommes s'opère dans la servitude, l'estime de soi en déliquescence et dans la renonciation aux idéaux humanistes. La mérule, opiniâtre entité dont l'invisibilité met en lumière la désespérance du monde, ronge lentement jusqu'aux joutes amoureuses des citoyens, patiemment mais surement. Marcus, tel un gladiateur anonyme lutte contre les fantasmes qui le vampirisent. Il essaie d'oublier Vera. Il ambitionnait d’appartenir au « Centre » qui offre à ceux qui le rejoignent sans se poser de questions, une existence de choix, pour autant qu’ils abandonnent leurs ultimes principes et acceptent d’être pucés. Peu à peu il en devient dissident. Vera, une étrange "Poster girl" sur le retour, réservée aux plaisirs des patriciens VIP du « Centre », débarque dans la vie de Marcus et lui fait découvrir les tourments d'un amour explosif et destructeur, construit sur des pratiques BDSM poussées à l'extrême. Vera ne peut éprouver de plaisir autrement que dans la douleur, la torture tant physique qu'intellectuelle, déviance outrancière d'une relation exempte d'amour-propre et d'estime de soi... Sans doute a-t-elle quelques fautes à expier ? C’est que l’on va découvrir, entre autres mystères. « 1985 » à pour toile de fond une intrigue glauque bâtie des murs rongés d'une société aveugle, muette et sourde… Dès les premières pages, ce roman intrigue puis dérange ballotant le lecteur entre fascination et horreur. L’auteur traite de sujets graves touchant au bonheur avec une espèce d’humour cynique, au travers d’un langage cru parfois, mais non vulgaire. Certes, le vocabulaire de ce texte met mal à l'aise en pointant du doigt un certain degré de putréfaction dans la société actuelle. On ne peut s'empêcher de faire le parallèle avec la chute de l'Empire Romain et ses empereurs plus fous furieux les uns que les autres, entraînant dans leur folie une civilisation en bout de course. Un vent de luxure glacial et de peur souffle sur ce roman ; celui d'une dictature qui n'a aucun égard pour les libertés fondamentales de l'être humain... Il fut un temps où la dystopie éreintait le communisme triomphant, maintenant, elle fustige un capitalisme qui a depuis longtemps jeté aux orties ce qu'il pouvait avoir de meilleur. 1985 est certainement un de ces romans qui fait bouger les lignes. Un espoir rédemption point néanmoins à travers l’incroyable destinée de héros ordinaires qui prônent la « Révolution du bonheur », un bonheur sans contrepartie que tout être humain est en droit d'exiger… Ultime désir porté par des hommes de bonne volonté qui un jour oseront dire : "NON".

09/2018

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Philosophie du droit

L'Egalité, un courage politique. Dans le monde libre, la Liberté découle de l'Egalité

Cet essai innove un concept de l'Egalitariat. L'analyse et le textes sont puissants, documentés. Par son concept novateur d'"Egalitariat", générateur de progrès sociétal, Marianne Brück touche un point au-delà des clivages sociétaux en démocraties. Cet essai est politique, juridique, pratique, et constitue un outil précieux de réflexion encourageante du " vivre ensemble libres ". Cet essai est à la portée de toutes et tous, dont les politiques et les juristes. Grâce à l'égalité des droits, nos sociétés peuvent surmonter, dans un respect mutuel, les défis de cohabitation cultuelles et culturelles au sujet des signes religieux prosélytes, comme le "voile" islamique mais pas seulement. Nos sociétés démocratiques libérales sont menacées : extrémismes, populisme, islamisme, et déception, face à une société démocratique complexe au regard des valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité entre tous. Il existe des clés pour contribuer à réenchanter l'humanité. L'égalité des droits en est une. Elle implique un courage politique constructif qui rehausse l'Etat de droit, condition de la démocratie, et la liberté, qui en est une autre condition. La laïcité est incluse dans la liberté, ce que démontre l'auteure. L'ouvrage apporte une vision de liberté et de progrès. Il constitue une pierre apportée à l'édifice d'une société équitable, juste et harmonieuse, dans le respect du droit des pays démocratiques et des valeurs des droits humains : ni un matriarcat, ni un patriarcat. Sont fondamentales les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité, entre toutes et tous. Les abus et les débordements de libertés telles qu'exercées, perçues ou subies, peuvent se résoudre. Des outils existent. Des élus politiques promettent la Liberté, comme " Graal " du bonheur. Mais leur crédibilité s'est amenuisée. Il existe des clés pour réenchanter notre humanité et en tous cas pour y contribuer. L'égalité des droits en est une. La laïcité également. Un avenir meilleur postule justice et pragmatisme réaliste. L'auteure propose un projet qui implique un vrai courage politique, et qui constitue un évident progrès sociétal : l'Egalitariat ! De celui-ci découle la Liberté. Il s'agit d'une garantie de vie sociétale harmonieuse, en cette époque qui en manque, et qui voit naître des clivages issus d'inégalités que d'aucuns feignent de ne pas apercevoir. Nous arrivons aux limites du " il est interdit, d'interdire ". Nous ne comprenons pas et nous n'osons plus. Pourquoi ? Améliorer la vie de l'humanité passe par plus de justice égalitaire. Marianne Brück développe un égalitarisme d'un point de vue féministe équilibré, car, comme disait le musulman Bacha Khan, " Si vous souhaitez connaître le degré de civilisation d'une culture, porter attention à la manière dont elle traite les femmes ". Selon l'auteure, l'égalité des droits effective est capable de nous conduire à cette Liberté promise, pour toute l'humanité, y compris donc pour les femmes, c'est évident. Pour elle, c'est essentiel. L'égalité des droits, si elle est inscrite dans les textes fondamentaux des démocraties comme la France ou la Belgique, est loin d'être traduite dans la réalité sociétale au quotidien. Le sujet paraît avoir été déjà traité, mais jamais il ne le fut de cette manière méthodique et claire, à la fois à destination d'un grand public éclairé et de juristes constructifs ou de politiques avisés, sous une lumière destinée à éviter le pire : la privation accrue de certaines libertés, et le renversement des valeurs pour lesquelles nos ancêtre se sont battus et sont morts. " La marche pour l'égalité est un combat qui vient de loin, et qui ne demande qu'à se poursuivre, au 21e siècle, pour que qu'on s'y mette tous et toutes " (Thomas Picketty). Marianne Brück démontre son approche. Elle touche un point sensible et capital de la vie heureuse en société, au-delà des clivages. Cet ouvrage est sociétal, politique, juridique, et surtout, il constitue un outil précieux de réflexion encourageante du " vivre ensemble libres " à la portée de toutes et tous. Grâce à l'égalité des droits, nos sociétés peuvent surmonter, dans un respect mutuel, les défis de cohabitation cultuelles et culturelles qui se posent. Entre autres vertus, l'égalité des droits, exempte de parti pris, permet d'éviter l'écueil des extrémismes et du rejet de l'autre. Ce concept accueille l'autre, dans sa différence, avec des garde-fous, contre des exigences qui s'avèrent liberticides. La laïcité et la neutralité de l'Etat, semblent en peine de contenir, grâce à ses digues indispensables, un individualisme forcené ou des traditions " religieuses " discriminantes pour ne pas dire sexistes. L'égalité des droits peut permettre de renforcer cette liberté de culte que soutient la laïcité grâce à sa liberté de croire ou de ne pas croire, d'adhérer ou pas à une religion, d'en changer, et de soutenir une cohabitation pacifiques des religions et de la non-religion, entre elles. Elle constitue un outil juridique et pratique pour arbitrer, au plus juste, face aux discriminations, aux exclusions et aux questions éthiques ? Le concept d'égalitariat, décrit par l'auteure invite à l' accueil de l'autre, dans sa différence, avec les gardes -fou, contre des exigences liberticides. Marianne Brück plaide donc la cause d'une société égalitaire, libre et respectueuse du droit comme clé d'une harmonie entre toutes et tous, de tous horizons. Partageant sa vie entre France et Belgique, Marianne Brück est titulaire d'un master en droit de l'université de Liège et diplômée de la Haute Ecole de Commerce de Paris (HEC). Passionnée d'art, elle a développé commercialement la carrière d'artistes et de créateurs, au niveau international, a été correspondante presse pour un magazine russe, pour enfin embrasser le service public, avec une haute idée de l'intérêt général. Elle travaille depuis plusieurs années sur les concepts juridiques, philosophiques et sociétaux, de Liberté, d'Egalité et de Fraternité. Cet ouvrage offre un nouvel horizon de paix et de justice au sens large.

02/2024

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Généralités

La Méditerranée occidentale : Histoire, enjeux et perspectives

Cet ouvrage consacré au Maghreb et au partenariat avec les pays de l'arc latin de la Méditerranée est publié au plus fort d'une actualité marquée, d'une part, par l'existence d'une crise aiguë du couple algéro-marocain qui était envisagé comme le moteur d'une construction maghrébine, et d'autre part, d'une marginalisation de la Méditerranée occidentale dans la géopolitique mondiale que traduit ce conflit majeur opposant l'Europe et les Etats-Unis à la Russie. Ce paradoxe qui incite au désenchantement, n'est-il pas aussi le moment privilégié pour repenser et agir afin de réaliser un regroupement régional et promouvoir des formes de partenariat et de coopération entre les pays méditerranéens. Autrement dit, la crise géopolitique ne donnerait-elle pas l'opportunité aux pays du Maghreb de repenser leurs alliances, de mieux défendre leurs intérêts communs, et contribuer ainsi à mettre en oeuvre un nouvel ordre politique et économique plus propice au progrès et au développement de leurs peuples. Il s'agira pour eux de se hisser à la hauteur des nouveaux enjeux provoqués par les recompositions géopolitiques en cours et de dépasser des situations jugées aujourd'hui indépassables. Ce livre posthume de Noureddine ABDI qui est l'aboutissement de longues années de travail offre des matériaux précieux dans l'édification de ce projet maghrébin " sans cesse recommencéA " et/ou contrarié, car soumis aux aléas politique, à des conjonctures économiques internes et à des alliances économiques ou politiques contraires à la vocation unitaire du Maghreb. Avant d'entrer dans le coeur d'un sujet -le Maghreb et subsidiairement ses rapports avec la Méditerranée occidentale- qui fut dès les années 1980 au centre de sa réflexion et de ses recherches, un mot pour évoquer une dette personnelle qui nous avons contractée auprès de N. Abdi. Engageant au milieu des années 1970, une carrière de chercheur en économie agricole et rurale, parmi mes premières lectures figuraient en bonne place les articles que N. Abdi avait publié dans des revues (la Revue Algérienne ou d'autres revue étrangères). Il fut pour moi, l'un des premiers chercheur algérien (aux côtés de nos aînés que furent Tami Tidafi, Hamid Aït-Amara ou Claudine Chaulet) qui ont contribué à nourrir nos connaissances, et à nous initier aux questions agraires et paysannes. Celles-ci avaient occupé son activité intellectuelle tout au long de la période qui va du milieu des années 1950 à la fin des années 1970. L'autobiographie qui figure à la fin de l'ouvrage apporte des éclairages intéressants et nouveaux sur les contextes politiques et économiques de cette époque. Elle nous livre un témoignage inédit sur les conditions concrètes d'émergence de l'autogestion agricole en Algérie, les obstacles rencontrés et les luttes d'influence exercées au sein de l'appareil d'Etat, les motifs de son engagement auprès des ouvriers de l'autogestion ou les attributaires d'une réforme agraire qu'il avait appelé de tous ses voeux. Si le récit autobiographique, rédigé avec une modestie qui impressionnait les personnes qui l'ont côtoyé, évoque assez clairement l'engagement politique et syndical de l'auteur dans la lutte de libération nationale, elle témoigne aussi de son attachement émouvant à sa terre - et de ses lieux- d'origine, décrit les premiers pas de l'Etat algérien dès l'indépendance en mettant l'accent sur difficultés dans la construction de ses institutions nationales. Au cours de la période qui va suivre, celle qui commence dans les années 1980, N. Abdi va élargir la perspective en traitant essentiellement de la construction maghrébine, et focalise sa pensée sur " les perspectives d'un avenir régional communA ". Appartenant dorénavant aux deux rives de la Méditerranée (un entre-deux dont il faisait l'expérience), il fonde son engagement personnel à penser également le rapprochement des pays du Maghreb avec les pays méditerranéens de l'arc latin. Les processus de renforcement des unions régionales face à une mondialisation en marche, l'essor d'une coopération adaptée à leur échelle font aussi l'objet de ses préoccupations intellectuelles. Ces formes de coopération et de regroupement régional sont pensées comme " le meilleur moyen de peser dans les relations internationalesA ". Ces nouvelles recherches que l'auteur engage baliseront un parcours personnel et professionnel au sein d'institutions tels l'Institut d'Etudes du Développement Economique et Social (IEDES), le CNRS français, la Maison des Sciences de l'Homme ou de laboratoires de recherche de l'Université Paris VII. Abdi se dépensera avec énergie pour animer des forums, des débats ou des rencontres scientifiques réunissant des dizaines de chercheurs appartenant aux deux rives. Tous les travaux et toutes les contributions que N. Abdi signale dans cet ouvrage, sont les produits intellectuels de ces multiples activités ; elles ont fait l'objet de publications thématiques dans des revues, des compte-rendu de séminaires ou des ouvrages collectifs. Les sources d'inspiration les plus marquantes de ce parcours professionnel sont évoquées. Il y a en premier lieu l'auteur maghrébin par excellence que fut Ibn Khaldoun dont il est fait souvent référence dans ses travaux, mais aussi d'autres auteursA ; le marocain A. Khatibi, et le tunisien A. Meddeb- passeurs et penseurs comme lui de l'altérité- qui partageaient avec lui, une confiance dans la construction de ce " lieu de symbiose " qu'est selon lui le Maghreb. Il n'a cessé d'entretenir un dialogue ininterrompu, et jusqu'à leur disparition prématurée, avec ces deux auteurs qui cultivaient, selon son expression, une " maghrébinité commune ". Cet " entre-deuxA ", position qu'il assumait pleinement, et les liens socioculturels qui le rattachait aux deux rives de la Méditerranée, l'ont naturellement conduit à plaider pour un rapprochementA ; celui-ci qui se nourrissait d'échanges intellectuels avec d'autres auteurs (J. Berque ou P. Vieille) à la sensibilité méditerranéenne tout aussi affirmée que la sienne. Ce n'est, écrit-il " qu'en restituant parmi les autres dimensions du Maghreb, celle qu'il partage avec l'Europe latine, qu'on parviendra à saisir les réalités maghrébines telles qu'elles sont perçues par les Maghrébins eux-mêmes et plus particulièrement la société civile, de façon à que ce Maghreb réel puisse constituer notre véritable horizon de pensée ". Cette vision généreuse d'ouverture vers la méditerranée occidentale l'empêchera d'examiner les distances prises avec la rive sud, l'Europe méridionale préférant de fait coopérer avec les nouveaux pays (ex PECO) admis dans l'Union européenne. Elle est également silencieuse sur les approches nationales que chacun des pays du Maghreb engage avec les pays de l'Union européenne Aucune coordination n'est réalisée dans la mise en oeuvre des rapports politiques et économiques et politiques. A titre d'exemple, les accords d'association sont signés séparément et leurs évaluations -qui font ressortir des tendances à l'accentuation des asymétries économiques défavorables aux 3 pays du Maghreb- n'ont pas permis les rapprochements concertations pourtant nécessaires. L'engagement politique de l'auteur pour " féconder un Maghreb des citoyensA " est un engagement actif résolument orienté vers des processus de création et de production de richesses " au plan intérieurA ", et impulsé " au plan extérieurA " par " un esprit d'ouverture et de partenariatA ". Il s'agit, nous dit-il, " de dégager les perspectives d'un avenir régional commun pour qu'il soit davantage maîtrisé que subi, c'est-à-dire qu'il prenne la forme d'un essor autonome plutôt que celle d'un moindre développement et d'une dépendance accrue ". Empruntant à l'auteur des " AndalousiesA ", la formule de J. Berque, N. Abdi appelle lui également à des " Andalousies toujours recommencées, dont nous portons en nous les décombres amoncelés et l'inlassable espérance ". L'approche généreuse et profondément universaliste que N. Abdi adopte, reprend une idée empreinte d'humanisme, de cet autre penseur de la Méditerranée, Paul Valéry, qui concevait la Méditerranée comme un " dispositif à faire de la civilisationA ". La méditerranéïté, écrit-il, est ainsi intimement liée au processus de construction maghrébine, elle en est l'un des principes fondateurs, tout comme à l'inverse, " la maghrébinité en est tributaire ". Ces affirmations s'appuient sur une réflexion critique qui intègre l'analyse de la longue durée, et où N. Abdi expose avec lucidité le cheminement du projet politique de construction d'un Maghreb " lequel est en permanence fait et défait par les pouvoirs en place ", ce qui témoigne d'un clivage -qu'il subissait lui-même sur le plan politique nous dit-il-, et " qui se creusait entre le Maroc et l'Algérie proches l'un de l'autre ". Sa réflexion sur la vocation unitaire dans le Maghreb s'appuie sur l'examen minutieux desA critères à la fois socio-historiques et politiques, et en particulier la dimension ethno-culturelle de la région. Le Maghreb écrit-il " constitue un sujet historique ", en particulier dans les phases conflictuelles et de résistances. Il rappelle que l'Etoile Nord-Africaine qui fut créée à Paris en 1927, et qui traduira les premiers pas du nationalisme algérien, " vise à construire l'unité du MaghrebA ", " à ressusciter une unité ancienne que l'histoire a enregistrée et dont elle a témoignéA ". Il s'attache avec obstination à retracer le cheminement de l'idée maghrébine dans un passé plus proche de nous, en examinant les faits qui participent au développement de ce " sujet historique " dans les phases conflictuellesA ; ceux des années 1930 (de la création de l'Etoile Nord-Africaine à l'Association des Etudiants Musulmans Nord-Africains (AEMNA), ceux de la deuxième guerre mondiale, avec le mouvement syndical animé par le tunisien F. Hachad). Il traque enfin cette solidarité maghrébine partagée par les mouvements de libération nationale dans les années 1950. Il remarque bien que la proclamation de la construction du Maghreb à Tanger, en août 1959, et sa relance le 17 février 1989, n'empêche pas cet ensemble d'être toujours aussi divisé, notamment par une frontière algéro-marocaine fermée. Ce constat établi, l'incite naturellement à analyser, au-delà de la question du Sahara occidental, les raisons socio-politiques et économiques qui font ce Maghreb " écarteléA ". Ces discordes sont à rechercher, nous dit-il, dans la nature de régimes peu disposés à " concéder la moindre parcelle de leurA pouvoir dansA le cadre d'une unification du MaghrebA ", mais aussi dans l'état de sociétés politiques ou de sociétés civiles peu mobilisées par l'idée maghrébine. Ces questionnements de l'auteur ne le détournent pas de l'exercice de recension des éléments qui peuvent constituer les moyens de dépassement de ces situations de fait. Cette dernière posture illustre assez parfaitement l'optimisme raisonné de N. Abdi dans l'affirmation d'une maghrébinité possible et souhaitable pour l'avenir des peuples de la région. Elle le conduit à analyse avec rigueur les facteurs favorables à une intégration maghrébine, ou de ce que les prospectivistes appelleraient " les signaux faiblesA " favorables à une construction maghrébine. Les facteurs religieux et culturels d'abord, où N. Abdi qui, tout en attirant l'attention sur le recours vain à une " retraditionnalisationA " du fonds culturel et religieux de la région, invite, à mobiliser et/ou revivifier un fonds religieux et culturel maghrébin " avec ses institutions et ses références ancestrales propresA ". Il y a ensuite des facteurs sociaux avec " les passerellesA " que représentent les diasporas du Maghreb. C'est, nous dit-il, au sein de l'immigration que l'on rencontre " cette maghrébinité radicale ". Cette dernière ressource, facteur puissant d'intégration, est représentée par les populations originaires du Maghreb. Ces dernières font la découverte dans les sociétés d'accueil " de leur sentiment d'une appartenance commune ", de cette " identité partagée " et qui prennent " conscience de ce qui les unitA ". Après tout, s'interroge-t-il, " si nous considérons le fait que l'affirmation de l'indépendance du Maghreb a commencé à l'extérieur pendant l'entre-deux-guerres, pourquoi n'en serait-il pas de même du mouvement de reconstruction du MaghrebA "A ? Et Abdi d'explorer enfin les conditions économiques propices à l'intégration. L'existence d'un large marché fort de millions de consommateurs " qui aurait pour effet d'augmenter de 2 points le taux de croissance de la régionA ", le développement des infrastructures de transport (autoroute Trans maghrébine dont l'essentiel des tronçons sont déjà réalisés à l'intérieur de chacun des pays), l'énergie (électricité et gaz), de même que l'irruption dans l'espace économique, souvent appuyée par le développement des technologies de l'information et de la communication (TIC), de " nouveaux acteurs de l'intégration socio-économique du MaghrebA ", que sont les entrepreneurs et chefs de PME. Les facteurs d'intégration sont à cultiver au sein des communautés universitaires où " l'intelligentsia maghrébine devrait, où qu'elle se trouve, jouer un rôle moteur dans le cadre d'échanges et de collaborationsA "A ; dans les milieux d'affaires ensuite où la promotion d'une intégration peut être entreprise par des agents qui se situent au sommet de l'économie maghrébine. Le futur du Maghreb ne peut être toutefois pensé sans ce couple algéro-marocain qui est appelé à jouer un rôle décisif dans une construction maghrébine fondée sur " une réelle émancipation et un vrai progrès pour toutes ses populationsA ". " Ce qui importe le plus, nous dit-il, c'est avant tout de cultiver et de développer la maghrébinité au travers de relations maghrébines les plus favorables à l'épanouissement de l'homme ". Reprenant l'une desA premières propositions de KHATIBI formulé sur les relations de voisinage, il nous invite " à se regarder en face ", A à " construire un espace vie qui soit communA ", et à " aller vers le risque partagé avec l'autre, les autresA ". Une pensée généreusement humaine, anti bureaucratique par nature, s'appuyant sur une mobilisation citoyenne constitue le fil conducteur de ses analyses du Maghreb. C'est la même pensée que l'on retrouve dans ses travaux de jeunesse portant sur la construction du Maghreb conduites par le syndicaliste tunisien F. Hached, où dans le rôle joué par l'UGTA et la Fédération des travailleurs de la terre dans l'autogestion agricole algérienne. Les " constructions bureaucratiquesA " et les " approches technocratiquesA " seront en permanence vigoureusement dénoncées par N. Abdi. Ces approches dessaisissent, affirme-t-il, les acteurs sociaux, les producteurs ou les créateurs de richesses de leurs pouvoirs et freinent, nous dit-il le mouvement d'émancipation sociale, soit de la paysannerie du temps de l'autogestion agricole, soit les sociétés civiles et politiques dans la construction du Maghreb. Nous le répétons, la vision du Maghreb que propose N. Abdi est inséparable de son itinéraire de vie et de la fidélité à ses engagements politiques et syndicaux qu'il évoque. L'exil qu'il a choisi dès 1973, va le conforter dans un statut de chercheur qu'il n'aura jamais abandonnéA ; ce statut l'autorisait à exercer ses activités avec une liberté d'esprit à laquelle il était profondément attaché. S'il a inauguré un champs d'étude dans les années 1960-70 passionnant pour ma génération (celui des questions agraire et paysannes), il nous offre avec cet ouvrage posthume, un chantier de travail que l'on découvre avec un réel plaisir intellectuel et où l'érudition de l'auteur laisse aussi place à l'émotion suscitée par cette quête absolu d'un idéal de progrès et d'émancipation pour les peuples du Maghreb, cette quête de méditerranéïté faite de paix et de coopération à laquelle il rêvait. La lecture de ce livre nous laisse toutefois un grand regret. Celui de n'avoir pas croisé l'homme, celui de n'avoir pas échangé sur son expérience dans un domaine qui nous est cher à tous les deux, celui de la paysannerie qui fut son premier domaine de recherche ; mais au-delà, de cet intérêt tout personnel, la frustration de n'avoir pas eu l'occasion de dialoguer sur cette passion qu'il entretenait et cette cause qu'il défendait avec déterminationA A : celle du "Maghreb des peuples et des citoyensA ", dont il portait l'idée avec une conviction admirable. Omar Bessaoud, économiste agricole, professeur associé au CIHEAM-Montpellier. Montpellier, le 2 juin 2022.

10/2022

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Sociologie

Le Petit Livre Rose. Nous, le Peuple, On veut la Paix !

"Le Petit Livre Rose - Nous le peuple, on veut la paix ! " de Nathalie Kesler : avancer vers l'ingénierie de la paix pour annihiler toute barbarie. Tous les jours, sous nos yeux, le spectacle que nous livre le monde est d'une désespérante tristesse. Nous pouvons tous observer l'extrême pauvreté qui côtoie l'extrême richesse... Pourtant, alors que des politiques mondiales se sont rapidement mises en place pour la vaccination, il n'existe aucune volonté commune pour en finir avec la misère. L'erreur serait-elle d'attendre que la paix vienne des hautes sphères ? Avec "Le Petit Livre Rose", la Présidente fondatrice de l'ONG Pangée Nathalie Kesler veut faire évoluer rapidement les consciences car, tous, à notre échelle, nous avons le pouvoir de devenir des diplomates citoyens oeuvrant pour la paix. Il ne s'agit plus d'intervenir après les conflits et de se contenter de commémorer la paix. Désormais, les mesures et les moyens doivent porter sur la prévention. Ce mouvement commence à mobiliser partout dans le monde, où des projets éducatifs voient le jour (ex : Université de la Paix au Costa Rica), mais la France est encore très en retard dans ce domaine. Le Petit Livre Rose, à la fois court et dense, est une invitation à oser mettre en place une véritable ingénierie de la paix, cette nouvelle approche de la citoyenneté qui lutte contre la fatalité en s'attaquant aux racines du "Mal Radical". Il est actuellement disponible en pré-commande sur Amazon, et bientôt pour tous les habitants du monde, puisqu'il va être traduit dans de nombreuses langues (la traduction espagnole a par exemple déjà débuté). Il existe actuellement plein de livres de toutes les couleurs, mais tous avec la même finalité guerrière : le livre blanc de la défense, le livre vert de Mouammar Khafadi, le livre rouge de Karl Marx... Avec ce nouveau livre rose, je veux donner une tonalité radicalement à contre-courant, puisqu'évolutionnaire et pacifiste. Nathalie Kesler 51jprZq5MjL L'ingénierie de paix, un concept fort et riche de sens Pourquoi le thème de la paix est-il associé à des connotations utopistes ou "new age" ? Ce sujet n'est pourtant pas une notion floue, fruit d'une rêverie de quelques bobos rêveurs... La paix se construit et suppose donc une approche rigoureuse. "Le Petit Livre Rose" est ainsi structuré en 3 parties. Log PG 2 La première partie présente l'Ingénierie de Paix L'auteure tente d'en édifier une réalité augmentée par de l'intelligence conceptuelle, afin de densifier l'aura déjà acquise par les termes de "culture de paix", actuellement en usage au sein de l'UNESCO, l'organe international qui déploie le plus l'attention sur ce thème. Par un rapide historique de son évolution, la fusion des termes invite le lecteur à croire davantage au caractère rationnel et possible d'une future paix mondiale. Certaines propositions sont émises, dans le but d'éradiquer le maximum de conflits meurtriers, ainsi que de violences. La seconde partie propose un nouveau système dénommé " La Nouvelle Pangée", en référence au terme géographique de continent originel. Du découpage Aristotélicien de la monnaie en unités de mesure, vers un monde d'unités de valeur qui espère dans l'idéal kantien de paix perpétuelle, le nouveau système s'emploie à mettre en valeur les talents de chacun (terme autrefois utilisé pour de la monnaie), et se détourne de l'obscure "gouvernance mondiale" occulte qui se déploie de nos jours. Et ce, afin de faire éclore un système de participation des individus, qui soit transparent, et où chaque personne sur la planète peut faire éclore sa créativité et son aptitude au bonheur collectif. Nathalie Kesler pose par conséquent la première pierre au futur système d'échanges de biens et de services adossé à des valeurs éthiques : Ce programme politique, découpé en PARTS de ressources et en PANS d'activités, serait notamment basé sur l'égalité des temps de vie des individus citoyens, de plus en plus responsabilisés, et d'autres valeurs à haut potentiel (ex : pénibilité des tâches, mérite de générosité ou efforts concrets déployés pour la construction de la paix). La dernière partie concerne l'élaboration de termes nouveaux pour repenser l'impensé et les non-dits de ce monde. Il s'agit de conscientiser nos échecs à construire la paix du fait d'une vacuité conceptuelle béante autour de ces thématiques. Comment remédier à des maux dont le champ notionnel est pauvre ? Mettre l'accent sur la nécessité d'élaborer des néologismes pour désigner une réalité, ou élaborer une réflexion sur l'éradication de la misère dans le monde, qui oeuvre sur ses causes profondes, et non pas seulement sur ses conséquences, où le processus de résilience est parfois difficile, voire désespéré, une fois les traumatismes perpétrés. Nathalie Kesler : Je suis une preuve aberrante d'un des tabous de ce monde : le vol des enfants, un acte de fragilisation volontaire politique. On a beaucoup parlé des enfants volés de la RDA ou de ceux de La Réunion, mais cette situation est beaucoup plus fréquente qu'on ne le croit, et elle se déroule le plus souvent avec la coopération directe ou indirecte des Etats. La troisième partie s'achève donc par l'élaboration embryonnaire d'un lexique et de termes nouveaux élaborés pour la "Nouvelle Pangée". Ce livret, enfin, est un condensé de références incontournables pour penser un monde sans argent. Possibilité de remporter une version papier du Petit Livre Rose La version papier du livre est en effet offerte à celles et ceux qui auront acheté la version numérique (offre limitée aux 50 premiers participants) et laissé des commentaires intéressants de propositions pour la paix sur les espaces commentaires des livres sur internet. Une fois cela effectué, il faudra simplement envoyer la preuve du commentaire, ainsi que ses coordonnées de livraison, à l'adresse suivante : cadeaux@parapacem. com De plus, pour 3 ebooks commandés, il sera également possible de demander sa version brochée offerte en cadeau. Sommaire Citations célèbres Sommaire Introduction La Nouvelle Pangée Nommer la paix, au-delà du verbe UNESCO et culture de paix Au-delà des religions Un système alternatif à l'argent Quels outils créer ?? Ingénierie de l'éducation à la paix Opération Pang-Or Basculer vers un monde sans argent et Constat du monde de l'argent Opération "Pang-Or" Objectif n°1 : créer une application universelle pour un monde fraternel et solidaire sans Argent. Objectif n°2 : oeuvrer à notre déconditionnement culturel : l'éducation à l'attrait du bien commun. Objectif n°3 : sortir de notre expectative et prendre le destin du Monde en main pour mettre en oeuvre notre réflexion en commun. Plafond Zéro : décompter les parts de ressources mondiales Acquérir un cadre de vie serein et de qualité Redéfinir le "travail" en Ressources d'activités humaines Rééquilibrage des PARTS de ressources en fonction des PANS d'activités en vue d'un rééquilibrage des inégalités Créer un institut de formation pour la Paix (Ingénierie de paix) Créer une université ou une première école Mettre au point l'EMA Système de défense mondiale commune Système optimise des savoirs mondiaux Ingénierie de paix planétaire et interplanétaires En Résumé Webographie Bibliographie Lexique IMG-20210728-WA0007 © Grégoire de Gaulle ADAGP Extrait Souvent, lorsque les gens me disent : "? la paix, c'est pas pour demain ? ", ou "? c'est une belle utopie ? "? ; "? les guerres ont toujours existé, il y en aura encore toujours ? ", etc. , alors je m'étonne que des Occidentaux, qui ont vécu comme norme quotidienne, un monde sans guerres, dans la plupart des pays européens, notamment ceux qui sont nés après-guerre, ou qui ne s'en souviennent pas ? ; ce qui constitue actuellement, en 2021, une majorité, ceux nés en 1940 ont déjà 80 ans, pour ainsi dire, la mémoire des guerres s'estompe, et si les commémorations sont nécessaires, il vaut mieux éviter de créer de nouvelles guerres pour convaincre de s'en passer plutôt que de tenter de nouvelles formes de guerres insidieuses, non armées, mais tout aussi dangereuses, qu'elles soient bactériologiques ou économiques... ... En bref, pourquoi ceux qui justement jouissent de la paix au quotidien (ici dans le sens de paix sans conflits armés) s'obstinent à plaider qu'elle n'existe pas, puisqu'ils expriment un paradoxe quasiment en flagrant délit d'imposture dans le sens où ils ont vécu dans un havre de paix toute leur existence, sans JAMAIS expérimenter de conflits armés de leur vie ! A ce titre, il faut remettre les pendules à l'heure, peut-être préciser que les guerres semblent nécessaires aux pays vainqueurs afin de maintenir l'équilibre des pouvoirs d'après-guerre, et maintenir des guerres afin de continuer à asservir certains pays au service des intérêts des pays en paix. C'est ici que la leçon est apprise de nos actes de colloque où l'on apprend que le Président de la troisième assemblée générale de 1948, Herbert Vere Evatt, ayant participé aux actes fondateurs de la charte de San Francisco, à l'origine des Nations Unies, avait bien écrit en réponse au courrier de Garry Davis que "? la mission des Nations Unies n'était pas de faire la paix, mais de la maintenir ? "... Dans cette lettre de Evatt : il rappelle que l'ONU a voté une résolution "qui demande aux grandes puissances de faire la paix" et ajoute : "Cette résolution illustre le fait indubitable que l'Organisation des Nations Unies, et en particulier l'Assemblée générale, n'a pas le pouvoir général ou la prérogative de faire la paix" . (article 107.) Les Nations Unies ont comme fonction primordiale "le maintien de la paix internationale, une fois que la paix sera établie" . Et appelle les peuples à participer "à son activité pratique de tous les jours" . Albert Camus avait bien mis en évidence cette supercherie dans son texte de défense de Garry Davis, lors de son incarcération : "L'Organisation des Nations Unies s'est engagée dans une attitude dont la logique mène à l'arrestation d'hommes

09/2021

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Fantasy

Recueils de nouvelles saisonnières Tome 3 : Cueille l'automne

Le vent se lève. D'abord inaudible, il forcit et me balaie le visage, me projetant huit ou neuf feuilles mortes éparses. Quelques clochettes pendues parmi les branches sont bousculées par ses caresses amères, et susurrent leur chatoiement métallique aux Palarbres qui conversent à voix basse. Je me tiens à l'orée du bois, sur les rives de la Clepsydrale qui le bordent. La lune se mire déjà dans ses eaux calmes, si noires qu'on dirait les flots d'encre du Mélanflot. La nuit n'est pas si avancée, et le soleil hésite à disparaître vraiment, à laisser sa place. Drakôn lui a demandé de rester encore un peu, pour magnifier la scène et offrir aux Soeurcières de la Troisième Voie l'intensité dramatique qui leur sied si bien. La lumière est d'or, et les tons sont rouges. Les feuillages brasillants rivalisent de couleurs, veulent afficher du mieux qu'ils le peuvent leur déclaration d'amour à l'automne. C'est bien pour cela que nous sommes toustes ici en cette fin d'après-midi. Pour les célébrations de la Moisson des Mots, comme chaque année dans notre douce Vallée. Aujourd'hui, je tremble de fierté dans tout mon coeur draconique. Les Soeurcières approchent, une à une, menées par maon collègue LAncoLibre, qui tient entre ses bras le produit de la Moisson. Notre assemblée doit communier ensemble autour de ces nouveaux mots. Parmi les silhouettes qui me rejoignent, enveloppées de brumes qui floutent leurs contours et dont elles s'arrachent à chaque pas, dans des volutes enfumées, se trouvent quatre autrices que je connais, et une nouvelle venue. Enfin, pas vraiment. LAncoLibre s'immobilise à mon niveau, me confie son fardeau. J'accueille les Soeurcières. Elles ont la tête baissée, comme l'exige notre rituel. Nous rejoignons une table de pierre emmoussée, au-dessus de laquelle se tendent les premières branches d'ors et de grenats des Palarbres enluminés d'automne. Notre cercle s'étend tout autour de la boîte que j'ai posée sur la pierre. Alors que je prends place en son coeur, la Vallée des Mots m'accompagne de sa grâce, et un rayon de lune s'attache à ma personne draconique, faisant miroiter mes écailles de mille réfractions opalines. J'admire un temps ces cinquante nuances de parme qui me nimbent d'un halo mystique, puis je prends la parole pour performer l'ouverture de la cérémonie. - Nous voici réuni·e·s pour accueillir de nouveaux mots, et glorifier la créativité de la mousse, des champignons et des sporules, des vrilles de cucurbitacées et des feuilles rousses. Ami·e·s, qu'apportez-vous à notre congrégation ?? Qui s'avancera dans la lumière de Drakôn ?? Je me retire, cédant la place à une première ombre, féliforme au demeurant. Lorsqu'elle entre dans la lumière de lune, qui a cessé de me suivre, un flash se produit, et elle paraît dans toute sa vérité. - Je me présente à vous, je suis Qat2kx. Je n'ai du chat que l'apparence, les iris verts et le miaulement déterminé même si faussement plaintif. Je vous emmène... Jodai Tokushu Kanazukai. Elle se tourne vers la table, se penche sur le coffret-aux-mots, qui frémit alors qu'elle s'apprête à l'ouvrir prudemment. Une sombre clarté en jaillit, aux couleurs de l'âme humaine torturée, qui nous parle d'une école, lointaine, perdue dans le bassin lémanique. Le ciel de l'automne se couvre d'images ? : des fuites d'eau, un chat, une directrice manipulatrice qui se délecte continuellement de mets psychiques savoureux, des conversations un rien absurdes... et Salomon, dont j'identifie aisément la pensée machinique. - Merci, Qat2kx, pour ces ... hum ... saveurs incongrues, j'argue. Qui poursuivra la ronde des mots ?? Ah, voilà. Avant même que la lumière de Drakôn ne se saisisse de son ombre, je la reconnais : elle arbore sur sa longue cape brune des motifs de feuilles dorées. Nous avons beaucoup travaillé ensemble récemment. J'apprécie beaucoup Ema, qui vient me rendre visite de temps en temps, quand elle n'a rien à faire à Vilaltierre. - Mais qui êtes-vous ?? Elle marque un temps d'arrêt théâtral, puis se place dans le cercle de lumière que sa consoeur a laissé vide. La lune la révèle toute sourire. - Je me présente à vous à mon tour, je suis Lordesfeuilles. Après ma Deuxième Quête, je me suis donné l'objectif d'une quête troisième. Et voici ma contribution ? : La Préférée. Le coffret-aux-mots crache son texte sans se faire prier, et les images envahissent de nouveau le ciel qui s'assombrit de minute en minute. La première chose que nous découvrons est un carosse. Noir. Des citrouilles énormes. Une bibliothèque pleine de secrets. Un lit à baldaquin. Nous lisons dans ces scènes disparates une sorte d'inquiétude rampante, nous y devinons une situation de sorcellerie ? ; pas de celle que nous pratiquons actuellement, marquée par de bonnes intentions et un rêve commun. - Merci, Lordesfeuilles, pour cette tempête et ces vents d'espoirs. Qui poursuivra la ronde des mots ?? Une ombre leste louvoie parmi nous, et son manteau est de nuit constellée d'écailles rouge passion. Il y a autant du loup que du dragon dans sa démarche, qui me rappelle mon lointain cousin Manidriss. Je ne me suis pas trompé. - Je me présente à vous, je suis Cécilia Perrot Gilbert. Je laisse Aurélie & Yanis se débrouiller seul·e·s un moment, le temps de vous présenter Le Rituel de la Voix. Elle enclenche le mécanisme. Effets son et lumière dans le ciel de la Vallée. Nous voyons une forteresse, des dragons (coucou Mani ? ! ), une guerre qui menace, des animaux parqués comme des marchandises. Puis la nuit éclate et se répand. Nous croyons à la fin du film, mais une tête de louvetelle s'étale devant nos yeux, tout en finesse, tout en sourire, parmi les étoiles. - Merci, Cécilia, pour la vibrante défense de celles et ceux qui ne peuvent dire, merci de porter leur parole. Qui poursuivra la ronde des mots ?? Des particules sablonneuses, comme autant de grains rêveurs, s'agrègent en une forme difficile à définir. Mais je ne suis pas dupe. Je sais qui elle est ? : comment la confondre avec qui que ce soit ?? C'est ma première stagiaire, avec qui nous avons partagé l'encre et les mots de la préface du précédent recueil. Et je ne partage pas l'encre avec n'importe qui ? ! La voilà grandie, maintenant. Autrice parmi nous. - Je me présente à vous, je suis The Dreaminoux. Je dois encore soutenir un rapport de stage, Ed ?? (Elle rit, et son rire a la saveur des embruns.) Trêve de bavardages, voici Depuis les Nuits de Sable. Le coffret-aux-mots s'est enhardi, et les images viennent alors qu'elle ne s'est même pas encore tournée vers lui. Des diapositives. Une fille en regarde une autre dans les yeux. Un bel échange de sourires d'amour. Diapo suivante. La fille est seule et contemple le souvenir enfumé de sa compagne envolée dans les sables du temps. Diapo suivante. Elle rêve. Il y a quelqu'un d'autre avec elle. Que font-iels ?? Diapo suivante. Un temple aux boiseries rouges, qui me rappelle l'ambassade d'Akage. Des reflets dans l'eau. Une prise de conscience. Diapo suivante. Des illusions perdues. La grandeur. La révolte. Des phonèmes volètent dans le ciel, comme la persistance d'un murmure. /amaja ? / - Merci, Dreamy, pour ton combat dans l'arène. Tes pensées sont magnifiques et laisseront leur empreinte dans un sable qui ne s'envolera plus. Porte haut le flambeau ? ! Qui poursuivra la ronde des mots ?? Je reconnais l'odeur de sa prose puissante alors que la dernière ombre s'avance. J'en suis persuadé. Il y a ce petit quelque chose, ces détails ? : une cape qui évoque une forêt printanière, hiatus certain et assumé de sa part. Comme une parcelle de Farasie qui hésiterait encore à hiverner. La lumière de la lune me donne raison. - Je me présente à vous, je suis Emeline Di Sopra. Il y a ici quelque chose qui me pousse à y revenir. Serait-ce la forêt ?? Ces anciens Palarbres, qui me rappellent mon Ariège, ou les Ardennes ?? Je souhaite vous offrir ce soir une Pure Merveille. Ce n'est pas une blague ? ! Elle fait un petit pas de côté, touche le boîtier, qui s'entrouvre pour laisser passer une flopée d'invectives. Puis s'estampe la mer. Déchaînée. Une falaise. Un port bruissant d'émeutes. Des luttes et des femmes qui se soulèvent contre un pouvoir oppressant. On y gueule, on y raconte la Croisée des Chemins et la Sorcière. On y assiste à l'émergence de tout un courant revendicatif. La brume est collante, un peu comme celle qui enveloppe les Palarbres ce soir. Puis le ciel s'embrase ? : une autre révolte, pleine de rage et d'espoirs. - Merci, Line. Puissent tes mots toucher les coeurs endormis afin qu'ils combattent ensemble et rythment de plus beaux avenirs. Il ne reste plus que LAncoLibre. Iel n'est pas silhouette, mais dessin bleu et flou, enfantin, comme une envolée de pieds et de cheveux dans une grande pièce parquetée et jonchée de jouets en bois. Iel entre dans la lumière de Drakôn. Les yeux d'(Hydr@cène) ; s'attachent sur les jeux de la lune sur ses écailles, plus fines que les miennes, qui se moirent de vermeil et de turquoise. - Je vais conclure le rituel, si tu me le permets, Ed. J'acquiesce gravement. C'est ainsi que tout doit se terminer ce soir. - Je me présente à vous, je suis LAncoLibre. Je me joindrai à vos voix avec Comme l'arôme de framboise perdu dans un café noir. La Vallée prête volontiers sa magie à l'instant et répond à LAnco. La mystique boîte s'ouvre pour ne plus jamais se refermer et disparaît de la table de pierre. Les cieux frémissent, sont balayés de tremblements. Une soeur et un frère. La Sagrada Familia. L'avenue Diagonale. Barcelone la belle. Des tanks, de la fumée, du bruit. Des fusils. Du métal. Des espoirs brisés, re-brisés, cassés. Un élan. Des promesses. Du café qui n'est jamais bu. De douces lanternes. Du thé et des framboises. Et Edran et Malek qui naissent sous nos yeux. Axone Zéro qui s'esquisse déjà dans les volutes d'un café oublié. - Merci, LAnco. Concluons toustes ensemble, voulez-vous ?? Suite de la préface sur https : //lezarddesmots. fr/cueille-automne/

12/2023

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Critique littéraire

Études germaniques - N°1/2015. Friedrich Heinrich Jacobi

Pierre Jean BRUNEL : Oti et dioti. Les enjeux métaphysiques de l'éthique aristotélicienne dans Woldemar de Friedrich Heinrich Jacobi While Aristotle's authority is being challenged by modern philosophy, Jacobi quotes from his Nicomachean Ethics in Woldemar. Daniel Jenisch's edition of the Aristotle Ethics proves to be a major source for the understanding of the novel's "philosophical intent" . What is the significance of such a philosophical revival of Aristotle as the result of the novel ?? To what extent does the variance between the "commercial society" and the ancient doctrine of virtue throw light upon ethical and metaphysical stakes ?? How does the novel handle the philosophical question of immediate knowledge ?? The reading of Nicomachean Ethics does provide us with a model of conversion for the crisis of the modern subject. Während die Autorität des Aristoteles von der modernen Philosophie in Frage gestellt wird, bezieht sich Jacobi in Woldemar auf die Nikomachische Ethik. Daniel Jenischs Übersetzung (1791) stellt eine wichtige Quelle dar, um die "philosophische Absicht" dieses Romanes zu verstehen. Was bedeutet diese Rückkehr des Aristoteles dank des Romans ?? Inwieweit hat der Konflikt zwischen der modernen commercial society und der alten Tugendlehre eine ethische und metaphysische Tragweite ?? Wie wird die philosophische Frage nach der unmittelbaren Erkenntnis im Roman behandelt ?? Bedeutet die Lektüre der Ethik ein Bekehrungsmodell für die Krise des modernen Subjektes ?? Ives Radrizzani : La Destination de l'homme - la réponse de Fichte à la Lettre ouverte de Jacobi ?? The Vocation of Man is Fichte's response to Jacobi. Fichte follows a double strategy : he provides us with his system of defense against the accusations made to the Doctrine of Science in the Letter to Fichte (subjectivism, solipsism, nihilism), on the other part, he tries to build a link to the non-knowledge of Jacobi. With the ternary structure of the work, Fichte shows its commitment to the position that was already his at the time of the Quarrel of pantheism : he still holds necessary a mediation of Knowledge between Doubt and Faith and doesn't agree the Jacobian salto mortale. But the Knowledge and the Faith staged in the last two books of the work are precisely calibrated to demonstrate to Jacobi their agreement in these two areas. The reaction of Jacobi shows the discrepancy between the expectations of Fichte and the result. Die Bestimmung des Menschen bringt Fichtes Antwort auf Jacobi. Fichte verfolgt zwei Ziele : es gilt auf der einen Seite für ihn, sein Verteidigungssystem gegen die im Brief an Fichte entgegen der Wissenschaftslehre geäußerten Anschuldigungen (Subjektivismus, Solipsismus, Nihilismus) darzustellen, auf der anderen Seite einen Übergang zum jacobischen Nichtwissen zu ermitteln. Mit der dreiteiligen Struktur der Schrift zeigt Fichte, daß er der Position, die er schon beim Pantheismusstreit vertrat, treu bleibt : er hält eine Vermittlung durch das Wissen zwischen dem Zweifel und dem Glauben für notwendig und setzt sich dem jacobischen salto mortale entgegen. Aber die in den zwei letzten Büchern der Schrift inszenierten Wissen und Glaube sind genau darauf abgezielt, um Jacobi ihre Übereinstimmung in jenen zwei Bereichen unter Beweis zu stellen. Jacobis Reaktion zeigt die ganze Diskrepanz zwischen Fichtes Erwartungen und dem Ergebnis. Patrick Cerutti : Naître à l'existence "Je me souviens de cet instant plein de joie et de trouble, où je sentis pour la première fois ma singulière existence" . This paper traces the historical evolution of a metaphor, the one of awakening or birth to being, as it appears in Buffon's, then Rousseau's, Jean Paul's and Jacobi's works. Jacobi, after many modifications of meaning, bases his whole conception of a feeling of existence on it, since it depends on the spirit rather than the senses. "Je me souviens de cet instant plein de joie et de trouble, où je sentis pour la première fois ma singulière existence" . Der vorliegende Artikel gibt die Geschichte der Metapher des Erweckens oder der Geburt zur Existenz wieder, wie sie in Werken Buffons, dann Rousseaus, Jean Pauls und Jacobis erscheint. Durch manche Bedeutungsveränderungen baut Jacobi auf diesem Bild seine ganze Konzeption des Gefühls der Existenz auf, insofern als sie eher von einem Gefühl des Geistes als von der Empfindung abhängt. Alain muzelle : Friedrich Schlegel lecteur critique de Jacobi Jacobis Woldemar is a review Friedrich Schlegel wrote in 1796 from the final version of the novel. With this work, the young writer inaugurates the series of his "Charakteristiken" . Under the influence of Fichte's philosophy, he develops a new form of criticism, a genetic method that explains the poetic works from the point of view of their progressive construction, on the basis that "one can understand a book or a mind only through reconstructing its internal dynamics" . After having showed the weakness of the plot and portrayed Woldemar as a vulgar and selfish immoralist, he refuses to acknowledge the work any specifically philosophical value, arguing that he cannot succeed in finding any consistency in the course of the argument. Finally, the profound unity of the book is to be found, for Schlegel, in the individuality of its creator, whom he defines as a "mystical sophist" . Mit Jacobis Woldemar, einer Rezension, die Friedrich Schlegel 1796 über die endgültige Fassung dieses Romans verfasst, entsteht die erste seiner Charakteristiken. Unter dem Einfluß von Fichtes Philosophie entwickelt Schlegel eine neue Art von Kritik, eine genetische Methode, welche die poetischen Werke aus ihrem Werden erklärt, da man erst "ein Werk, einen Geist [versteht], wenn man den Gang und Gliederbau nachkonstruieren kann". Nachdem er auf die innere Brüchigkeit der Romanhandlung hingewiesen und von der Titelgestalt das Porträt eines immoralistischen groben Egoisten entworfen hat, was ihn dazu führt, Jacobis ethische Lehre in Frage zu stellen, spricht er dem Werk jegliche echt philosophische Dimension ab, da es ihm an einer Kontinuität der philosophischen Gedankenführung fehle. Schlegel erkennt schließlich die eigentliche Grundeinheit des Romans in der Persönlichkeit des Schriftstellers selbst, den er als einen mystischen Sophisten definiert. Sylvie LE MOËL : La traduction française de Woldemar, "roman philosophique et sentimental" - une médiation avortée ?? This study proposes to reassess the only translation in French of the novel Woldemar, published soon after it appeared in Germany but which quickly sank into oblivion. As the first attempt of Franco-German mediation by the publicist Charles Vandenbourg, who, at the time, had emigrated to Germany, it represents an enlightening example of the philological and philosophical stakes specific to the Franco-German intellectual transfer around the 1800s. The current article analyses the initial conditions and the publishing modes of the transfer, the translation strategy of Charles Vandenbourg as well as the revealing role played by the text in resetting the intellectual fields under the Directoire. Although it was a failure, this translation lead up to the penetration of Jacobi's philosophy in France, in a context of the philosophical debates opposing the Idealists and the Ideologists, later echoed by Madame de Staël. Vorliegender Beitrag untersucht die einzige französische Übersetzung von Jacobis Roman Woldemar, die zwar kurz nach der deutschen Originalfassung erschien, dafür aber schnell in Vergessenheit geriet. Als erster Versuch deutsch-französischer Vermittlung durch den nach Deutschland emigrierten französischen Publizisten Charles Vanderbourg stellt sie ein einleuchtendes Beispiel für den philologischen und philosophischen deutsch-französischen Transfer um 1800 dar. Die Studie befasst sich mit den Ausgangsbedingungen und den verlegerischen Modi des Transfers sowie mit Vanderbourgs Übersetzungsstrategien, wobei der französische Text die Neugestaltung des französischen intellektuellen Feldes zur Zeit des Direktoriums erkennen lässt. Dieser scheinbar gescheiterte Transfer nimmt also doch die Einführung von Jacobis Philosophie in Frankreich vorweg, und zwar im Kontext von Debatten zwischen Idealisten und Ideologen, an die Madame de Staël kurz darauf anknüpft. Norbert WASZEK : La référence à Adam Ferguson dans Woldemar de Friedrich Heinrich Jacobi At the centre of this article is an analysis of the presence of Adam Ferguson, a leading member of the Scottish Enlightenment, in Jacobi's philosophical "novel" Woldemar. Although often neglected by Jacobi scholarship, Ferguson is mentioned and quoted approvingly on several occasions in Woldemar, and his implicit impact might reach even further. Initially, the ground for such an analysis is prepared by recalling the empirical evidence for Jacobi's reading of Ferguson as is to be found in the catalogue of his personal library and in his voluminous correspondence. Then, standing back from details of the reception, the wider question is opened, whether an appropriate appreciation of Jacobi's indebtedness to Ferguson might contribute to a correction of certain older images and clichés of Jacobi's thought. Der Beitrag geht einem noch zu wenig beachteten Bezugspunkt von Jacobis Woldemar nach, dem schottischen Philosophen Adam Ferguson, welcher in Jacobis Buch mehrfach ausdrücklich und zustimmend erwähnt und zitiert wird und dessen Einfluss implizit vermutlich noch weiter reicht. Vor dieser zentralen Analyse werden einleitend noch weitere Belege für Jacobis Beschäftigung mit Ferguson aus seinem Briefwechsel und seinen Bibliotheksbeständen vorgestellt und eine kurze Charakterisierung von Fergusons Werk geboten. Ein Ausblick nimmt ein wenig Abstand von den Einzelheiten der Rezeption und eröffnet die weiterführende Frage, ob eine angemessene Würdigung seiner Lektüre von Ferguson dazu beitragen kann, noch immer verbreitete Klischees über Jacobis Denken zu korrigieren. Niall Bond : Ferdinand Tönnies und seine Wechselwirkungen mit der französischsprachigen Welt Research on the institutional establishment of sociology in Europe has for the most part ignored exchanges between the earliest leading French and German sociologists. Yet our research in Ferdinand Tönnies' estate in Kiel has shown us that there were fruitful exchanges and mutual effects between Tönnies and Emile Durkheim, René Worms, Gabriel Tarde and other French-speaking sociologists and philosophers. At the same time, constructions and representations of national traits were obstacles to the fluid transfer of scientific interests and knowledge even across the borders of Europe. This becomes particularly clear when we read Tönnies' and Durkheim's writings during the Great War. Nevertheless, the transposing of Tönnies, who had resisted National Socialism, to other cultural contexts such as the French-speaking world made it possible to deal with his thought in a more neutral and objective fashion than was possible in post-war Germany, which had been traumatised by the recuperation of the term "Volksgemeinschaft" by the Nazis. Dans une grande mesure, la recherche sur la mise en place institutionnelle de la sociologie en Europe a fait jusqu'alors abstraction des échanges entre les premiers sociologues français et allemands. En puisant dans les archives de Ferdinand Tönnies à Kiel, nous constatons toutefois des échanges fructueux et des actions réciproques entre Tönnies et Emile Durkheim, René Worms, Gabriel Tarde et d'autres sociologues et philosophes de langue française. En même temps, les constructions et les représentations de traits nationaux représentaient autant d'obstacles à un passage fluide d'interrogations scientifiques et de savoirs même à travers les frontières de l'Europe. Cela devient surtout clair à la lumière des écrits de Tönnies et de Durkheim sous l'influence de la Grande Guerre. Cependant la transposition de Tönnies, résistant au nazisme, à d'autres aires culturelles comme l'aire francophone a permis un traitement davantage neutre et objectif que celui qui a été possible dans une culture allemande de l'après-guerre traumatisée par l'exploitation du terme de "Volksgemeinschaft" par les nazis. Sonja VANDERLINDEN : Journal fictif, vie romancée, roman, mémoires, confession. Le cas de Tine of de dalen waar het leven woont (1987) de Nelleke Noordervliet The central theme of this contribution is the interaction between fiction and reality in Noordervliet's novel about Multatuli's wife. Speaking is Everdine van Wijnbergen during the last months of her life ?; in a fictional diary she looks back on episodes out of her whole life, with or without Douwes Dekker at her side. This fictional (auto)biography of a historical person is also a confession, an introspection, a self-examination. In this novel three "Tines" appear side by side : the real Everdine, Multatuli's and Max Havelaar's idealized Tine, and Noordervliet's Tine. Nelleke Noordervliet gives a voice to this writer's wife ?; she brings her out of the shadows and offers a nuanced and complex image of her personality. De rode draad in deze bijdrage is het spel met fictie en realiteit in Noordervliets roman over de vrouw van Multatuli. De auteur laat Everdine van Wijnbergen aan het woord tijdens haar laatste levensmaanden ?; in een fictief dagboek kijkt zij terug op episodes uit haar gehele leven, met of zonder Douwes Dekker aan haar zij. Deze fictieve (auto)biografie van een historisch personage is tegelijkertijd ook een biecht, een introspectie, een gewetensonderzoek. In deze roman komen drie "Tines" naast elkaar te staan : de werkelijke Everdine, de geïdealiseerde Tine van Multatuli en van Max Havelaar, en de Tine van Noordervliet. Nelleke Noordervliet geeft een stem aan deze schrijversvrouw, haalt haar uit de schaduw en biedt een genuanceerd en complex beeld van haar persoonlijkheid.

09/2015

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Sociologie du travail

Revue Salariat n° 1. Droit à l'emploi, droit au salaire ?

Pourquoi la revue SalariatA ? Nicolas Castel Mathieu Grégoire Jean-Pascal Higelé Maud Simonet Le salariat a longtemps eu mauvaise presse. Au milieu des années 1860, dans un chapitre inédit du Capital, Karl Marx écritA : " Dès que les individus se font face comme des personnes libres, sans salariat pas de production de survaleur, sans production de survaleur pas de production capitaliste, donc pas de capital et pas de capitaliste ! Capital et travail salarié (c'est ainsi que nous appelons le travail du travailleur qui vend sa propre capacité de travail) n'expriment que les deux facteurs d'un seul et même rapportA ". Qui dit salariat dit capitalisme et inversement. Marx invite ainsi les travailleurs et les travailleuses réuni·es dans la Première internationale, à substituer au slogan " un salaire équitable pour une journée de travail équitable ", le mot d'ordre : " Abolition du salariatA ! A ". Près d'un siècle et demi plus tard non seulement le salariat n'a pas été aboli, mais il est devenu désirable pour nombre d'individus et d'organisations syndicales. Cela ne fait guère mystère : le salariat observé par Marx et ses contemporains n'est plus celui que nous observons aujourd'hui. En tant que rapport social, le salariat a été un champ de bataille. Il a donné lieu à des stratégies d'émancipation qui se sont parfois - souventA ! - traduites en victoires et en conquêtes. Les institutions du salariat que nous connaissons aujourd'hui sont les buttes témoins de ces batailles passées. La revue Salariat nait d'un questionnementA : les sciences sociales ont-elles pris la mesure d'une telle transformationA ? Certes, l'idée d'une bascule dans l'appréciation du salariat - de condition honnie à statut désiré - est largement partagée : l'inscription puis le retrait de la revendication " d'abolition du salariatA " dans les statuts de la Confédération générale du travail sont souvent mobilisés comme manifestation de ce mouvement historique. Mais on peut se demander si la façon dont les sciences sociales conçoivent le salariat a, parallèlement, évolué en prenant toute la mesure de ses transformations historiques qui, précisément, expliquent ce basculement radical d'appréciation. C'est en partant de l'explicitation de ce paradoxe que nous souhaitons introduire le projet intellectuel de la revue Salariat. Pourquoi questionner le " salariatA "A ? Le salariat du xixe siècle n'est pas le salariat du xxe siècle et ne sera pas, on peut en faire l'hypothèse, celui du xxie siècle. Si au premier abord, il s'agit d'un rapport social consubstantiel au capitalisme, on aurait tort d'arrêter là l'analyse : le salariat s'est transformé en devenant, par certains aspects, plus complexe et, par d'autres, plus simple. Le salariat est d'abord devenu plus complexe car le rapport social salariés/employeurs ne s'exprime plus à la seule échelle de la fabrique ou de l'entreprise, ni à celle d'un face à face entre un ou des travailleurs et un capitaliste. Ce rapport se joue à plusieurs échelles comme par exemple la branche et l'échelon interprofessionnel. Il s'est par ailleurs cristallisé dans des institutions et dans le droit. Mais le salariat est aussi devenu plus simple car dans la première partie du xxe siècle, il est encore possible d'associer le rapport salarial à une classe sociale parmi d'autres, la classe ouvrière, dont les luttes, les représentations syndicales, les institutions et le droit, n'engagent pas nécessairement ou pas directement les autres classes sociales. Les paysans, les employés, les professions intellectuelles par exemple peuvent ainsi encore s'imaginer un futur dans lequel - à l'instar des ouvriers mais à côté d'eux - ils pourront construire un droit spécifique, des protections sociales spécifiques et ce, grâce à des organisations syndicales spécifiques. Près d'un siècle plus tard, le salariat s'est généralisé numériquement et la catégorie de salariat a solidarisé des segments de travailleurs et de travailleusesA : au groupe social " ouvrierA " sont venus s'ajouter le groupe social " employéA " ainsi que les " cadresA " dont il faut noter que leur intégration au salariat fut un retournement de l'histoire particulièrement significatif. Qui plus est, ces segments de travailleurs et de travailleuses ont été solidarisés dans un même rapport social qui les oppose à des employeurs de façon plus universelle, plus simple et plus claire que par le passé. Ironie de l'histoire ou diversion, c'est précisément au moment où cette confrontation entre deux classes prend sa forme la plus évidente que la lutte des classes est déclarée obsolète. Il nous semble donc qu'au lieu de prendre toute la mesure de ces profondes transformations sociohistoriques du salariat, l'usage de cette notion par les sciences sociales s'est singulièrement appauvri. Pour Marx et ses contemporains - quelle que soit par ailleurs leur sensibilité -, le salariat est d'abord une notion forgée pour identifier, décrire et expliquer une relation économique, un rapport social très androcentré qui apparaît central dans la société du xixe siècle. Pour le dire dans un vocabulaire anachronique, c'est donc avant tout un concept des sciences sociales qui donne lieu à des controverses, des interrogations. Philosophes, économistes, sociologues s'en saisissent comme d'un outil pour décrire le réel qu'ils ont sous les yeux. Un siècle et demi plus tard, force est de constater que le terme salariat n'est plus questionné. Il est très souvent, pour les sciences sociales, une simple réalité juridico-administrative, une " donnée " ne posant pas question et au mieux une catégorie mais rarement un concept. Chacun ou chacune est ou n'est pas juridiquement " salariéA " tandis que, statistiquement, l'Insee comptabilise un nombre de " salariésA " et un nombre d'" indépendantsA " puis mesure l'évolution de leur part respective. Que les sciences sociales prennent en considération le fait d'être ou non juridiquement " salariéA ", par exemple lorsqu'on étudie la condition des travailleurs et des travailleuses des plateformes, est certes important et utile. Mais, à l'instar de ce que pratiquent paradoxalement de nombreux juristes, c'est à un usage plus réflexif de la notion de salariat - qui ne se réduit pas à une catégorie molle - que nous appelons. Cette approche réductrice du salariat comme " donnée " non interrogée s'explique certainement par un mécanisme assez paradoxalA : cette forme juridique, salariale donc, est le fruit d'une histoire qui a vu un concept et des théories s'incarner dans le droit9. En effet, ce concept analytique a infusé le droit jusqu'à structurer une grande part des réalités du travail et de ses " régulationsA " dans une bonne partie de l'Europe continentale, au Japon, aux Etats-Unis et ailleurs. Cependant, cette cristallisation dans le droit s'est accompagnée d'une baisse du pouvoir analytique du concept, voire d'une neutralisation scientifique d'un concept qui n'est qu'à de rares exceptions10 interrogé. La cristallisation dans le droit s'est ainsi accompagnée d'une vitrification conceptuelle. Dans quels termes a-t-on arrêté de penser la question salariale ? Dans une définition-essentialisationA : le salariat c'est la subordination. Et cette définition-essentialisation est sous-tendue par une théorie implicite : celle de l'échange d'une subordination contre une protection. Ce " compromisA " - fordien ou autre -, est devenu un cela va de soi ou un implicite théorique, presque un récit mythique des sciences sociales. Les analyses de Robert Castel dans Les métamorphoses de la question sociale sont à ce titre souvent mobilisées pour opposer diamétralement deux périodes historiques. Dans la première, le salariat de la révolution industrielle serait profondément asymétrique, l'égalité formelle des parties donnant lieu à une inégalité de fait et au paupérisme. Dans la seconde, un droit du travail et des droits sociaux octroyés par l'Etat seraient venus compenser cette asymétrie initiale et rééquilibrer l'échange salarial11A : subordination contre protection, " compromis fordiste ", " Trente glorieusesA " et " plein-emploiA " comme nouvelle étape d'un rapport salarial enfin rééquilibré. L'état de " compromisA " peut alors plus ou moins implicitement être conçu comme un climax, un optimum indépassable. Dans un tel cadre d'analyse, on sera tendantiellement conduit à ne penser que des reculs - l'" effritement de la A société salariale " - et ce, dans la nostalgie d'un passé glorieux mais malheureusement révolu. Droits octroyés et équilibre de l'échange retrouvéA : dans une telle perspective théorique, on le voit, l'univers des possibles du salariat est relativement bien borné par cet état d'harmonie sociale et d'intégration de la classe ouvrière que l'on prête à la période d'après-guerre. Or, pleine de conflits, de conquêtes, d'émancipations, la réalité sociohistorique sur plus d'un siècle dépasse les termes de l'échange et du compromis. Penser ainsi non pas en termes de compromis mais en termes de luttes et d'émancipation, évite de présumer des définitions et limites du salariat. La réalité du salariat a changé parce que des batailles relatives au travail et/ou à la citoyenneté économique et politique ont été gagnées. Oui, le salariat est consubstantiel au capitalisme mais il est traversé en permanence, par des formes de subversion de la logique capitaliste. Le rapport salarial, en ses contradictions et ses puissances, est le point nodal de la lutte des classes et, en la matière, la messe n'est pas dite tant au point de vue des structures objectives que des structures subjectivesA : rien ne permet de conclure que ce rapport social n'est qu'enrôlement au désir-maître capitaliste12. Si le régime de désir est bien celui de désirer selon l'ordre des choses capitalistes (i. A e. une épithumè capitaliste13), il n'en demeure pas moins que depuis la théorisation produite par Marx, tout un maillage institutionnel de droits salariaux subversifs du capitalisme a pris forme au coeur du rapport salarial (sécurité sociale, cotisations sociales, conventions collectives, minima salariaux, droit du travail, statuts de la fonction publique et des entreprises publiques, etc.). En matière de salariat, on ne peut donc en rester à la théorie implicite du xixe siècle et son acquis d'une protection contre une subordination. Ce n'est pas une simple donnée juridique incontestable (être ou ne pas être " salariéA ") mais un concept qui doit être discuté, débattu, interrogé, mis en question, caractérisé et caractérisé à nouveau, au fil du temps et des luttes sociales qui s'y rattachent. Si domination, exploitation, aliénation, invisibilisation il y a, il s'agit aussi de comprendre ce qui se joue dans le salariat en termes d'émancipation des femmes et des hommes. Certes, le salariat n'est pas qu'émancipation. Et on peut songer à d'autres possibles pour les travailleurs et les travailleuses que ceux qui s'organisent à l'échelle du salariat. Mais cette dimension émancipatrice ne doit pas faire l'objet d'une occultation. Il nous parait donc nécessaire de saisir le salariat dans son épaisseur sociohistorique, dans les contradictions qui le traversent, les luttes qui le définissent et le redéfinissent, pour éclairer la question du travail aussi bien dans sa dimension abstraite que concrète. On l'aura compris, il s'agit donc ici d'interroger le salariat en lui redonnant toute sa force historique, heuristique et polémique. Le salariat, nous l'avons dit, est devenu un rapport social qui s'exprime à de multiples échelles et qui dépassent de beaucoup le simple face à face évoqué dans la deuxième section du Capital dans laquelle un employeur, " l'homme aux écusA ", se tient devant un salarié ne pouvant s'attendre " qu'à être tannéA "14. Chacune de ces échelles constitue un champ de bataille, avec ses contraintes et ses stratégies d'émancipation spécifiques. A chacune de ces échelles, le rapport social salarial s'exprime dans des collectifs, dans des solidarités et des conflictualités articulées les unes aux autres. A l'échelle de l'entreprise se jouent par exemple de nombreuses luttes pour l'emploi. A celui de la branche, par le biais des conventions collectives, se joue notamment le contrôle de la concurrence sur les salaires entre entreprises d'un même secteur. A l'échelon interprofessionnel et national se jouent l'essentiel du droit du travail et des mécanismes de socialisation du salaire propres à la sécurité sociale ou à l'assurance chômage. Le salariat est donc bien loin de la rémunération marchande de la force de travail du xixe siècle. Les champs de bataille se sont démultipliés tout en s'articulant les uns aux autres. Qu'on pense à l'importance des conventions collectives en termes de salaire et de conditions de travail pour articuler les combats dans l'entreprise et dans la branche. Qu'on pense au rôle d'activation ou au contraire d'éradication des logiques d'armée de réserve que peut jouer un mécanisme d'assurance chômage sur le marché du travail. Qu'on pense également aux mécanismes de sécurité sociale en matière de santé et de retraites en France. Ces derniers se sont constitués en salaire socialisé engageant dans une relation l'ensemble des employeurs et l'ensemble des salarié·es à l'échelle interprofessionnelle là où, dans un pays comme les Etats-Unis, la protection contre ces " risquesA " est demeurée liée à la politique salariale d'un employeur à travers des benefits par un salaire indirect mais non socialisé15. Qu'on pense également au salaire à la qualification personnelle qui émancipe largement les fonctionnaires des logiques de marché du travail. Comprendre ce que vit individuellement un salarié ou une salariée hic et nunc, suppose de prendre en considération l'ensemble de ces dimensions collectives articulées, les dynamiques historiques, les luttes, les stratégies et la façon dont l'état des rapports de force sur chacun de ces champs de bataille s'est cristallisé dans des institutions. S'il est un objet qui nous rappelle tous les mois que ce rapport social se joue à plusieurs échelles, c'est bien la fiche de paye. Elle est une symbolisation d'un salaire dit " individuelA " ou " directA " en même temps que le lieu d'un " salaire collectifA " et ce, à plusieurs égards. En effet, quant à sa détermination, le salaire est particulièrement redevable au collectif. Les forfaits salariaux négociés dans les grilles de classification des conventions collectives de branches et au niveau de l'entreprise ou encore les grades et échelons de la fonction publique sont des éléments structurants du salaire. A cet " individuelA " s'ajoute une autre dimension collective dont la fiche de paye fait état, c'est la part directement socialisée du salaire à une échelle nationale et interprofessionnelle via des cotisations ou des impôts. Ces échelles et institutions plurielles ne sont pas réductibles à une fonction de protection légitimée par une subordination mais sont beaucoup plus largement le produit des dimensions collectives et conflictuelles du salaire. Et l'on voit là, pour le dire en passant, ce qu'a d'inepte la lecture marchande et purement calculatoire du salaire, économicisme malheureusement dominant. Derrière la plus ou moins grande socialisation des salaires, c'est la question des modes de valorisation du travail qui se pose : à travers la qualification et la cotisation, le salaire n'a plus grand-chose à voir avec la fiction du prix du travail (cf. infra). Enfin, derrière la maîtrise ou non de cette socialisation, c'est aussi la bataille pour la maîtrise du travail concret qui se joue : c'est-à-dire maîtriser ses finalités, maîtriser la définition de ce qui doit être produit ou pas, maîtriser les moyens et les conditions de la production. Voilà tout ce qu'une lecture en termes de conflictualité et d'émancipation, et non seulement de protection/subordination, s'autorise à penser. Pourquoi une revue ? La revue Salariat est la poursuite du projet intellectuel et éditorial que l'Institut Européen du Salariat (IES) porte depuis sa création en 2008. La revue vise donc à accueillir des contributions qui prendront au sérieux les enjeux du salariat de façon ouverte et contradictoire. Il s'agit de promouvoir des analyses du salariat issues des sciences sociales au sens large (sociologie, science politique, histoire, économie, droit...) mais aussi des débats ou des controverses qui ne s'interdisent pas de tirer des conclusions politiques de ces analyses scientifiques16. La revue est ainsi largement ouverte à diverses disciplines et à une pluralité de registres de scientificité. Les travaux empiriques pourront ainsi côtoyer des réflexions théoriques. Des textes fondés sur un registre très descriptif pourront dialoguer avec des approches plus politiques défendant telle ou telle stratégie d'émancipation. Grâce à ce dialogue qu'on espère fécond, nous entendons mettre la production intellectuelle de la recherche au service du débat public et des luttes politiques et sociales qui se déploient dans les domaines du travail concret et de sa valorisation. Notre revue souhaite ainsi faire vivre le débat intellectuel, le dialogue interdisciplinaire et constituer un espace de liberté scientifique en autorisant des approches diverses et non formatées, ce qui suppose en particulier que le débat puisse s'épanouir le plus possible à l'abri - voire même en dehors - des enjeux relatifs au " marché du travailA " académique. Si la revue entend publier des articles d'auteurs et d'autrices dont on apprécie les qualités de chercheurs et de chercheuses, elle dénonce avec d'autres17 la fonction d'évaluation et in fine de classement des recherches et des chercheurs et chercheuses que les politiques de l'enseignement supérieur et de la recherche tendent de plus en plus à assigner aux revues. Nous souhaiterions - autant que possible - ne pas constituer un outil de légitimation supplémentaire d'un " marché du travailA " académique dans lequel de jeunes chercheurs et chercheuses - de moins en moins jeunes en réalité... - font face à une pénurie extrême de postes et sont soumis à la loi du " publish or perishA " ainsi qu'à l'inflation bibliométrique qui, paradoxalement, nuit à la qualité de la production scientifique. Cela signifie en pratique et entre autres, que nous voudrions rester en dehors de cette logique de " classementA " des revues et donc ne pas figurer dans les listes officielles des revues dans lesquelles il conviendrait pour les candidats et les candidates à la carrière académique de publier, les critères bibliométriques permettant aux évaluateurs et aux évaluatrices de se passer d'un travail de discussion sur le fond. Cela signifie également que la composition du comité de rédaction de la revue n'est pas dépendante du statut sous lequel les membres exercent leur qualité de chercheur·se : doctorant·e, titulaire ou non titulaire, chercheur·se dans ou hors des institutions de l'enseignement supérieur et de la recherche. Nous nous concevons ainsi comme un groupe ouvert à toutes celles et tous ceux qui souhaitent travailler à un projet intellectuel et proposer aux lecteurs et aux lectrices un contenu de qualité, intéressant à la fois d'un point de vue scientifique et d'un point de vue politique. En ce sens, nous proposons plusieurs rubriques pour apporter divers éclairages ou points d'entrée d'un même questionnement puisque nous avons l'objectif de structurer chaque numéro annuel autour d'une problématique commune. La rubrique Arrêt sur image invite à décrypter les enjeux derrière une image choisie, la rubrique Lectures et débats ouvre à la discussion avec des publications académiques ou littéraires et la rubrique Brut est un espace de mise en valeur de données empiriques diverses. Ces manières d'aborder la problématique générale du numéro sont complétées par des articles dans une rubrique plus généraliste, Notes et analyses. Mais ces rubriques, plus largement présentées sur le site web de la revue18, ne doivent pas constituer des carcans et elles sont elles-mêmes susceptibles d'évoluer. Droit à l'emploi ou droit au salaire ? Ce premier numéro est ainsi l'occasion de tester l'intérêt ou la validité de notre parti-pris analytique consistant à penser le salariat comme un concept de sciences sociales à vocation heuristique en dévoilant ses contradictions et ce faisant, des chemins possibles d'émancipation. La question générale que nous posons dans ce numéro est la suivante : qu'est-il préférable de garantir, un droit à l'emploi ou un droit au salaire ? Pour celles et ceux qui restent indifférent·es à une réflexion de fond sur les institutions salariales, cette question n'a pas lieu d'être car " qui dit emploi dit salaire et qui dit salaire dit emploi, garantir l'un, revient donc à garantir l'autre ". Une telle remarque passerait pourtant à côté d'un enjeu essentiel car il y a là - en première analyse et pour la période qui nous occupe, à savoir fin du xxe siècle et début du xxie siècle - deux voies d'émancipation salariale structurées autour de deux grandes familles de stratégies possiblesA : celles qui concourent à promouvoir l'emploi et notamment le plein-emploi et celles qui s'en départissent et promeuvent un droit au salaire ou font du droit au salaire un préalable. Ce débat, s'il est contemporain, n'est pas totalement nouveau et deux grandes organisations syndicales, la CGT et la CFDT s'en sont emparé avec leurs projets respectifs de sécurité sociale professionnelle ou de sécurisation des parcours professionnels. Il s'agit bien de projets différents dans lesquels l'emploi et le salaire ne recouvrent pas une même réalité. " EmploiA ", voire même " plein-emploiA " peuvent prendre des sens différents et leur éventuelle garantie ne dit rien de la nécessité du salaire ou de ressources au-delà de l'emploi précisément. La question posée dans le présent numéro est donc loin d'être anodine et c'est pourquoi nous y réfléchissons depuis une dizaine d'années19 et la remettons aujourd'hui sur le métier. Et de ce point de vue, l'expérience du confinement a été particulièrement révélatrice de ce que les différentes formes d'institutions du travail produisent en termes de droits salariaux, comme le met en lumière Jean-Pascal Higelé dans une note - révisée - de l'IES que nous publions ici.

10/2022