Avec l’aide de chercheurs spécialistes, ActuaLitté vous propose d’explorer ce que seraient devenues certaines grandes figures littéraires françaises si elles avaient vécu en ce début de XXIème siècle. Qu’aurait fait Voltaire avec un smartphone dans la poche ? Pensé Zola devant les lignes de train automatique ? Ecrit Rimbaud sur Tinder ?
Aujourd'hui on vous propose un Lamartine politique et people, parvenu à rendre ses lettres de noblesses à la Poésie.
Par Aurélie Foglia-Loiseleur Maître de conférences HDR à UniversitéSorbonne Nouvelle auteure de L'Harmonie selon Lamartine, utopie d'un lieu commun.
Alphonse de Lamartine est loin, comme Charles Péguy, d’être un mécontemporain. Au fil de son œuvre touffue d’écrivain aussi bien que dans son engagement politique, il a toujours voulu parler à tous dans la langue du cœur et, idéalement, incarner son époque.
Ce bourguignon de souche a grandi sous De Gaulle et fait ses premières armes sous Mitterrand, qui l’aimait bien. Après un bref passage dans la diplomatie, qui l’aura conduit comme Stendhal en Italie, il est élu député dans le Nord. On a tout lieu de croire qu’en 2022, il se portera candidat à la présidence de la République, tant il progresse dans les strates du pouvoir et les sondages. Lamartine défend un programme novateur. Il ne s’appuie sur aucun parti : là est sa force, et aussi son point faible.
En tous cas, il cultive cette image d’outsider sur l’échiquier politique, refuse toute étiquette et critique avec virulence le vieux jeu parlementaire. Ceux qui le croient très marqué à droite se trompent sur le personnage. Il est à gauche, bien que modérément. Ce n’est pas un révolutionnaire, même s’il lui arrive de dire qu’il faut ranimer l’étincelle de la Révolution française.
ll défendrait sans doute hier comme aujourd'hui la propriété privée ce qui ne l'empecherait pas de militer en faveur des démunis. Il parle du peuple et au peuple, pourtant ce n’est pas un populiste. Il se bat pour la planète, déclarant que l’écologie ne devrait pas être d’une couleur politique mais de la couleur du ciel et de la terre, qu’elle doit être la lutte universelle et qu’il ne serait pas humain de laisser l’humanité se détruire elle-même.
Il a su se faire un nom. Sur les réseaux sociaux on le connaît sous son diminutif, Alph. Il soigne sa ligne et son image, prend des coachs et des conseillers techniques pour être au top. Il se trouve beau, et de l’avis général il l’est. Le fait est qu’il est très grand, mince, passionné d’équitation. Il a fait la une de plusieurs magasines people : quand il s’est marié avec une anglaise, quand son fils est né, quand sa fille est morte. Depuis des controverses houleuses à la Chambre où il a eu le dernier mot, il passe fréquemment à la télévision. Les téléspectateurs ont plébiscité les débats où il affrontait avec brio un représentant d’extrême-droite puis un journaliste marxiste.
Très vite Alph a été connecté, affirmant qu’internet représente la faculté de communiquer avec le monde entier en un éclair, que c’est prodigieux à quel point les médias peuvent multiplier la pensée et les liens entre les hommes. Il voudrait y voir un signe de paix, qu’on puisse se dispenser à jamais des guerres, ces boucheries sans nom : qu’on ait enfin dépassé l’âge de fer, qu’on revienne vers un âge d’or c’est-à-dire de dialogue, d’entente, d’amour pour tous. Certains se moquent de lui en le traitant de poète, c’est-à-dire de rêveur dans les nuages.
Cette image lui colle à la peau et lui a déjà nui sur la scène politique. Il ne se prive pas de commenter l’actualité sur son compte twitter. Il donne des articles à la presse mais il préfère encore quand tout est dématérialisé. Quand on est poète, il ne suffit pas d’être de son temps, il faut le devancer pour l’inventer a-t-il écrit la semaine dernière, et c’est ce qui rapproche le plus le poète de l’homme politique.
On l’a d’abord connu poète, il faut dire. Alors que la poésie était totalement passée de mode, quand on disait poète aussitôt ça faisait ricaner tout le monde, les genres littéraires aussi peuvent mourir. Et puis tout à coup le livre qui fait l’effet d’une bombe : les Méditations poétiques. Un recueil qui réinvente le sentiment vaporeux, l’immersion dans la nature, la langue mélancolique et mélodieuse, la fibre religieuse et le rapport à Dieu.
Sur le coup la presse n’y a pas cru, et lui non plus : il était parti en Italie, où il essayait de devenir ambassadeur pour avoir un gagne-pain après avoir abandonné ses études de droit. Il avait chargé un ami, un érudit des Langues Orientales qui retraduisait la Bible, de publier ces quelques poèmes sur son blog. C’est grâce à lui que la poésie est revenue, il n’a pas fait exprès.
À l’époque ça avait fait le buzz, un succès phénoménal, planétaire. Du jour au lendemain Alph Lamartine était devenu une star, traduit en vingt langues. Il avait eu les paparazzi à ses trousses, des interviews dans les journaux, on avait tourné des vidéos sur sa vie à Mâcon, sur le collège jésuite qu’il avait fréquenté ; ça ne le dérangeait pas, au contraire. C’est ce qui lui avait donné l’idée de faire des sortes de concerts de poésie, de véritables shows avec des bougies, la sono à fond et des effets de brume sur scène.
Il avait voulu pousser jusqu’aux petites villes du fin fond de la province, certains avaient prétendu qu’il mélangeait les genres et qu’il en profitait pour faire sa tournée politique, en tous cas toute publicité était bonne à prendre. On l’avait vu aussi en Orient, au Liban et en Palestine, serrer la main des autorités locales et chevaucher un dromadaire dans le désert, il avait été jusqu’à noter dans son journal de voyage qu’il trouvait la religion musulmane supérieure au christianisme. De telles affirmations n’avaient pas manqué de susciter la polémique.
Il mène la grande vie. On le voit dans sa Ferrari blanche, ou bien il pose avec ses lévriers sur le perron de Saint-Point, le château familial qu’il a restauré à grands frais. Il dépense sans compter, il a même un jet privé. Alors que ce n’est pas un héritier, il ne peut pas se le permettre. Il mise sur ses best-sellers pour se refaire, si bien qu’il a débité en récits les principaux épisodes sentimentaux de sa vie, dans ses Confidences. Il a raconté comment, au sortir de l’adolescence, il était parti à Naples pour se distraire d’un chagrin d’amour. Là, il avait eu un flirt sans lendemain avec une jeune ouvrière italienne. Il a enjolivé ces premiers émois dans Graziella, de sorte que c’est lui qui a lancé la vogue de l’autofiction.
Dans l’épisode suivant, son héros tombe comme lui amoureux d’une femme mariée atteinte d’un cancer incurable, on compte déjà plusieurs adaptations de cette romance, Raphaël, au cinéma. On se souviendra surtout de cette scène-culte où il l’attend au bord du lac alors qu’elle est déjà trop malade pour le rejoindre. Résistant à la foule hystérique de ses admiratrices, Alph n’a jamais divorcé. Bien que le couple fasse ménage à trois avec Valentine, sa jeune nièce, on ne lui connaît pas de frasques ni de scandales, contrairement à son alter ego Victor Hugo qui les accumule.
Lamartine va vendre les propriétés familiales, la nouvelle fait les gros titres des journaux. Il doit bientôt se lancer dans la littérature alimentaire et croule sous les dettes. Il a demandé des aides à l’Etat et lancé une souscription, si ses fans pouvaient se cotiser pour qu’il puisse garder au moins son domaine et son écurie de Formule 1, il y tient tellement.
Ses méthodes sentent la mendicité mais il ne peut plus faire autrement, il est aux abois. Toujours est-il qu’il est de moins en moins romantique. Il a fait valoir ses droits sur le lac du Bourget en réclamant un pourcentage sur les recettes touristiques du site, mais une commission spéciale vient de rejeter sa requête. Depuis plusieurs mois il vend tout ce qu’il peut, la veste qu’il portait quand il a rencontré Julie Charles, le Bourgogne bradé de ses vignobles et jusqu’aux droits des livres qu’il n’a pas encore écrits.
Dossier - Uchronie biographique : les figures littéraires du passé plongées dans un monde moderne
illustration : François Gerard, Baron 1831
3 Commentaires
Marrant
26/09/2020 à 06:41
Je n'avais pas compris cette partie :
« Ceux qui le croient très marqué à droite se trompent sur le personnage. Il est à gauche, bien que modérément. »
Et puis, j'ai lu cette partie :
« Il mène la grande vie. On le voit dans sa Ferrari blanche, ou bien il pose avec ses lévriers sur le perron de Saint-Point, le château familial qu’il a restauré à grands frais. Il dépense sans compter, il a même un jet privé. »
Alors, j'ai compris : il a inventé la gauche caviar :-P
Mais eu égard à à l'uchronie, c'est juste un fils spirituel de Mitterrand !
Christine Belcikowski
26/09/2020 à 06:59
Délicieusement piquant ! D'autant que le portrait se déploie sous l'auspice de quelques grands transparents dont le nom, quoique sous-entendu, demeure tu.
Grandiose cachetier
04/11/2020 à 23:54
Bonjour.
Lamartine n'a jamais donné de commentaire sur le poème L'Automne. Est-il vraiment le créateur où il cache la clé de sa vie dans ce poème.
http://automne-alphonse-de-lamartine.blogspot.com/2013/12/lautomne-voici-une-brevehistorique.html?m=1
SALUT!!!!!!