Si Le Mur invisible, roman d’anticipation écoféministe de Marlen Haushofer (trad.Liselotte Bodo), a toujours connu des ventes stables (Actes Sud en vendait quelque 200 exemplaires par mois), il a soudainement rencontré un succès éclatant en 2019 suite à une chronique littéraire sur Instagram, au point de pousser à la réimpression.
Le 08/04/2020 à 09:29 par Auteur invité
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08/04/2020 à 09:29
Prolonger la durée de vie des livres sur les étagères des librairies, généralement limitée à 6 mois, est un enjeu de taille en édition. Penchons-nous sur le cas de la réimpression du Mur invisible 56 années après sa publication. Diglee est une illustratrice et une autrice féministe qui partage des morceaux de son quotidien sur son blog depuis 2007, puis plus récemment sur son compte Instagram. La lecture a pris une place considérable dans ses publications.
Elle s’attache à mettre en avant des autrices effacées de l’Histoire, en discutant régulièrement de ses lectures sur son compte @diglee_ glittering_bitch. Le 15 janvier 2019, elle fait part de l’émotion vive que lui a procurée sa dernière lecture, en 13 stories vidéos. Il s’agit d’un livre qui l’a attirée « au cours d’une balade à la Fnac je suis tombée sur ce roman dont je ne savais rien : la couverture m’a attirée (et le fait que ce soit une autrice) et j’ai lu une page au hasard. Résultat : quatre jours de lecture avide », écrit-elle dans un post le lendemain.
Pendant plusieurs semaines, Diglee partage les dizaines de posts qui s’accumulent et s’enthousiasment au sujet du roman qu’elle a fait découvrir à ses abonné-e-s (au nombre de 56.700 en octobre 2019). Le Mur invisible provoque un engouement de taille en France. Bibliobs rapporte alors que « sur le site de la Fnac, le titre se classe dans le top des meilleures ventes livres, sur Amazon.com dans les meilleures ventes de littérature de langue allemande. » La maison d’édition a réimprimé 5000 exemplaires au début du mois de février 2019.
Mais prudence, il serait hâtif d’estimer que le remède (entre autres) à la courte durée de vie des livres reposerait sur le recours aux influenceurs sur les réseaux sociaux. Les partages des innombrables stories que Diglee publiait dans sa story se faisaient avant tout le reflet de la confiance qu’elle sait inspirer aux personnes qui la suivent. L’illustratrice a toujours montré un intérêt vif pour la lecture, son billet de blog le plus ancien à ce sujet datant de 2009.
Difficile de douter de sa sincérité, sa passion pour la réhabilitation des écrits d’autrices et la régularité avec laquelle elle aborde la littérature sont un gage de confiance.
Ce phénomène exemplaire pourrait inciter des maisons d’édition à envoyer des exemplaires de leur catalogue à des personnalités qui ont une communauté autour d’eux sur les réseaux sociaux ; à condition d’avoir à cœur de faire des choix pertinents. Dans le cas de Diglee, il serait ainsi malvenu d’envoyer le livre d’un-e politique, bien qu’elle soit une personne pleine de curiosité, cela ne ressemble ni à ses lectures ni à ses centres d’intérêt.
Il est facile d’avoir les dents qui grincent quand le marketing s’empare de phénomènes spontanés pour reproduire superficiellement ce qui ne correspond pas de toute manière à une recette exacte. Le cas du Mur invisible est surtout révélateur du meilleur outil de promotion : le bouche-à-oreille. Les réseaux permettent de regrouper les lecteurs voraces autour d’une communauté. Sur une plateforme interconnectée, ils échangent et se conseillent.
Qu’il ait lieu sur un réseau social l’amplifie, mais cette chronique avait pour unique ambition de conseiller un livre qui a laissé Diglee hébétée : « Je sais déjà que jamais, jamais je n’oublierai cette lecture. Elle m’a meurtrie, elle m’a nourrie, elle m’a marquée au fer. »
Article réalisé et publié dans le cadre des travaux menés avec les élèves du Master 1 Commercialisation du livre Apprentissage de l’université de Villetaneuse — Paris 13, spécialité Commercialisation du livre. Les étudiants sont invités à écrire sur un sujet lié au monde de l'édition, suivant des consignes de rédaction journalistique.
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