2020 n’aura rien d’une année banale, pour les organisateurs d’événements littéraires. La pandémie a provoqué des annulations en cascade, et seules les manifestations de l’automne tireraient leur épingle du jeu. Pour le Salon du livre de Montréal, les circonstances sont d’autant plus exceptionnelles : après 42 ans à la Place Bonaventure, le SLM déménage…
Le 19/06/2020 à 18:15 par Nicolas Gary
Publié le :
19/06/2020 à 18:15
Prévu pour l’édition 2019, le déménagement fut décalé d’une année, « pour disposer de plus de temps et mieux organiser cette transition », nous assurait Olivier Gougeon, commissaire général de l’événement. Le Palais des Congrès accueillera donc l’édition 2020, enfin. Mais il ne sera pas seul, tant s’en faut.
Or, entrer en pandémie, le lendemain d’une assemblée générale n’a rien d’évident. « Nous avons compris qu’il fallait répondre par un événement qui prendrait en compte la santé publique et l’impact psychologique », indique Olivier Gougeon à ActuaLitté. « Un salon réduit ne fonctionnerait pas, et les incertitudes demeurent. La question s’est posée : comment répondre à notre mission de promotion du livre et de la lecture… »
Pandémie, or not pandémie, certes, mais l’équipe en poste murissait depuis quelque temps l’idée d’un salon qui déborderait des seuls murs de Bonaventure. Et pas besoin de diseur de bonne aventure pour imaginer que ce serait réalité, un jour ou l’autre. « Faire du salon une fête, celle des lecteurs, des livres, de tous ceux qui participent à l’industrie du livre », revendiquait lors de sa première édition le commissaire général.
D’autant que 2020 marque une autre date : celle de l’invitation du Canada à la Foire du livre de Francfort — des années de préparation, et maintenant, le pays envisage de décaler sa venue. Le ministère du patrimoine canadien a ouvertement demandé un report de l’invitation, alors que les grands groupes éditoriaux font défection, les uns après les autres. Même les Français Hachette, Albin Michel ou Bayard confirment… leur absence.
Francfort doit se tenir du 14 au 18 octobre. Montréal devait se dérouler du 25 au 30 novembre, mais les dates pourraient changer, bien que restant en novembre. Et le conseil d’administration « est déterminé à assurer la continuité et la réalisation de la mission du salon cet automne », apprenaient les professionnels dernièrement.
Avec plusieurs points qui font sourciller de contentement : la manifestation se déclinera non sur un, mais trois espaces. Le Palais des Congrès, tant attendu, bien sûr, et une appropriation de la ville de Montréal, littéralement. Enfin, le 3e lieu, le web, qui aura tant aidé et servi durant la pandémie, et vient certainement d’acquérir ses lettres de noblesse en la matière.
Au Palais seront associés présentiel et virtuel. Selon le contexte, les visiteurs seront les bienvenus, pour des animations grand public, qui seront diffusées en ligne. Les activités professionnelles, elles, auront majoritairement lieu en son enceinte.
Cependant, explique-t-on, « l’événement se tiendra sous une autre forme, sans location de kiosques ». Oui, on ne dit toujours pas “stand”, au Québec, parce que c’est un vilain mot anglais.
Dans la ville, le SLM veut se répandre en livres et en littérature : de petits événements et des manifestations artistiques sont prévus, à travers la cité, pour aller à la rencontre des Montréalais.
Enfin, par le web, le public aura accès à un ensemble d’activités, tant gratuites que payantes, à travers les outils du salon et de ses partenaires. « Chose certaine, le SLM sera bel et bien présent à l’automne prochain et plus inventif que jamais pour continuer à faire rayonner le livre et la lecture, les créateur·rice·s et les métiers du livre », continuent les organisateurs.
« L’abandon des kiosques représente une révision totale de notre modèle d’affaires : 80 % de notre chiffre provient de ces revenus autonomes que sont les locations d’espaces et la billetterie », reconnaît le commissaire général. Pour 2020, il faudra donc de nouveaux commanditaires, de nouveaux partenaires, plus de structures engagées. « 2020 sera une année pilote et unique : nous devons susciter une réaction positive, et pas seulement pour garantir la survie de la marque Salon de Montréal. »
Travailler avec les librairies revient « à festivaliser un peu l’événement. Mais nous restons un Salon, conçu pour favoriser l’économie du livre. Chaque vente est une victoire sur l’appauvrissement culturel, quel qu’il soit ». Avec un vœu pieux : une édition 2020 où les ventes seraient équivalentes, à travers les librairies, « où acheter un livre deviendrait un acte citoyen ».
Le web aura, là encore, son rôle à jouer : « Dans une perspective virtualisée, associer à une rencontre captée et diffusée, des recommandations de lectures, des possibilités de ventes en ligne, cela fait sens. » Et pourquoi pas des dédicaces virtuelles, avec un système d’envoi des livres ultérieurs ? Les librairies Payot en Suisse maîtrisent cette solution depuis quelque temps déjà, avec un certain succès.
Cette année, le maître-mot sera « évolutif », parce que « tant les animations que les différentes formules sont posées, mais susceptibles de changer ». Pour les animations, par exemple : les auteurs vivant à Montréal, envisager tout aussi bien des rencontres présentielles qu’en duplex, évidemment. Capter un maximum, et rediffuser sur la toile. Et tant qu’à faire, imaginer une programmation off, qui précéderait le Salon comme temps fort.
Côté éditeurs, on attend les détails avec circonspection. D’abord, parce qu’il y a la question de Francfort 2020 et de la mise à l’honneur du Canada toujours en suspens. Nous l’évoquions, depuis le début de la pandémie, un véritable ballet diplomatique se danse entre l’invité et l’Allemagne, pour obtenir un report de l’invitation à 2021.
À cinq mois de l’événement, la communication du SLM intrigue, d’autant que son bon déroulement peut être garant d’un intérêt accru pour les achats de livres, à quelques encablures de Noël. Si le salon en ville est définitivement considéré comme une bonne idée, il se doublerait d’une collaboration avec les librairies québécoises, dont les modalités tant physiques que numériques se dessinent actuellement.
« Ce sur quoi on ne peut avoir aucun doute, c’est qu’en l’absence de salon, les gens n’auront pas forcément le livre à l’esprit pour leurs cadeaux », assure une maison. « Montréal incarne un succès populaire, indéniablement, un rendez-vous pour les auteurs et les lecteurs. C’est ce qu’il faut préserver impérativement. »
Reste le volet professionnel : l’ANEL n’organisera pas de fellowship cette année, de même que la foire des droits de traduction, hébergée par le Salon, ne se tiendra certainement pas. « La dimension B2B des salons, comme on l’a vu encore à Bruxelles, devient pesante : développer ce pan n’est pas toujours une heureuse initiative, et elle mobilise beaucoup de nos ressources. »
Olivier Gougeon nuance : « La foire de traduction, je souhaite la maintenir au mieux. Et s’il faut créer des conditions d’échanges pour ceux qui ne peuvent pas, ou ne veulent pas, se déplacer, nous aurons des outils numériques pour ce faire. » De même, pour les petits éditeurs, qui trouvent difficilement place dans les librairies. « Les formules sur lesquelles nous réfléchissons leur apporteront une visibilité, moins onéreuse qu’une location de kiosque. »
Quant à la question des ventes par les éditeurs, il s’agit là d’un équilibre : pas de kiosques, pas d’investissement donc. Et certes, pas de ventes, mais une répercussion dans les librairies, où l’ensemble de la filière pourra s’y retrouver. Une forme de plan de relance, auquel le Salon prend part — à la manière du colibri de Pierre Rabhi : chacun apporte sa pierre.
« La manifestation n’a pas pour vocation de soutenir la librairie, mais toute l’économie du livre. Un prolongement dans la ville, nous le voulions. Dans le contexte que nous connaissons, c’est l’impulsion d’un mouvement de solidarité qui nous réunit tous. »
L’attrait du grand public pour Montréal, incontestable l’année passée, doit redevenir une priorité, estime-t-on dans l’édition. « Un grand rendez-vous commercial, et une vitrine de grande ampleur pour les livres et les auteurs, avant tout. » Qu’ensuite, le numérique et le présentiel fassent la job…
photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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