En acceptant d’étendre les conditions d’admissibilité, le jury du Booker Prize avait essuyé les prédictions de Cassandre et autres oiseaux de mauvais augure. Le plus prestigieux prix littéraire britannique allait-il perdre son âme en acceptant que des romanciers de langue anglaise puissent figurer dans les listes ? Manifestement, tous les sinistres prophètes avaient raison. Plutôt raison.
Le 01/08/2015 à 12:03 par Nicolas Gary
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01/08/2015 à 12:03
En 2013, les grincheux avaient grinché : comment ça, ouvrir le Booker Prize à d’autres pays que l’Irlande, le Zimbabwe et le Commonwealth ? Avec un petit chèque de 50.000 £, tout de même, on n’allait pas récompenser les Américains, si ? Eh bien la liste présentée pour l’édition 2015 laisse envisager le pire, s’alarme la presse britannique.
Avec cinq auteurs américains sur 13 auteurs, et quatre Irlandais – moitié moins, donc – David Godwin, agent d’Arundhati Roy, entre autres, se lamente : « Nos pires craintes se sont réalisées. Le Booker Prize a été créé pour célébrer les écrivains britanniques du Commonwealth, mais ils sont vraiment victimes désormais. Ils sont littéralement surpassés. » Une situation « absolument tragique », ajoute-t-il.
La nature du prix, avec la sélection de 2015, a totalement changé : « Il n’y avait absolument aucune nécessité à changer les règles. [Surtout qu’] aucun des grands prix américains n’est ouvert aux Britanniques. C’est une bien triste situation. » Le risque, souligne Jim Crace, lauréat 2013, est que la surpuissante industrie américaine du livre ne débarque avec ses dollars et ses auteurs par milliers, et finisse « par exercer ses propres goûts littéraires », et les imposer.
Le Commonwealth, souligne-t-il, c’est une fédération de pays comptant 54 États membres, anciennes colonies ou protectorats britanniques. « Ce ne fut pas toujours une histoire heureuse, mais il y a une solidarité et une entente entre nous, l’Angleterre, l’Irlande, le Zimbabwe, la Nouvelle-Zélande, le Canada, l’Inde, et tous les pays qui composent le Commonwealth. C’est ma peur. Je m’inquiète de perdre cela », notait déjà Jim Crace l’année passée.
Parce qu’en fin de compte, le Booker Prize était, en dépit de ses défauts, l’expression d’une culture et d’une approche britannique ouverte sur un monde propre. L’angoisse qui pointe, est de voir l’Amérique dominer culturellement la récompense, et chasser, année après année, les auteurs d’autres pays, pour accaparer l’espace. À une nuance près : cette année, on compte 7 femmes sur 13 auteurs, contre seulement 3 en 2014...
Kathy Lette, l’année passée, avait livré sa pensée assez abruptement sur ce point : « Les femmes écrivains ont été dédaignées par les juges du Booker. Avec seulement trois femmes dans la liste, peut-être que les auteures devraient recommencer à utiliser des pseudonymes masculins. Les femmes sont clairement les secondes de la race humaine. »
Au menu de l'édition 2015 donc, cinq Américains, trois Britanniques, un Irlandais, un Nigerian, un Indien, un Néo-Zélandais et un Jamaïcain. Le déséquilibre semble flagrant. Michael Wood, président du jury, tente de calmer les esprits : selon lui, la présence d’auteurs américains ne leur confère pas plus de chance de remporter le prix. Il s’agit d’écriture et de talent, qui seront jugés. Sauf que statistiquement, les autres pays du Commonwealth sont donc bien moins représentés... (via Telegraph)
Mais n’oublions jamais qu’en matière de funestes prédictions, quand on a raison trop tôt, on a tort. Voici la liste des auteurs retenus. Rendez-vous le 13 octobre à Londres pour savoir qui sera l’élu(e) :
Bill Clegg — Did You Ever Have a Family
Anne Enright — The Green Road
Marlon James — A Brief History of Seven Killings
Laila Lalami — The Moor's Account
Tom McCarthy — Satin Island
Chigozie Obioma — The Fishermen
Andrew O'Hagan — The Illuminations
Marilynne Robinson — Lila
Anuradha Roy — Sleeping on Jupiter
Sunjeev Sahota — The Year of the Runaways
Anna Smaill — The Chimes
Anne Tyler — A Spool of Blue Thread
Hanya Yanagihara — A Little Life
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