Après avoir examiné le coût de la campagne de communication liée au registre ReLIRE, laquelle pourrait s'élever à près d'un million d'euros, simplement pour sa partie publicitaire, il est intéressant d'apprendre comment le financement va s'opérer. Depuis que la loi a été jugée conforme à la Constitution par le Conseil Constitutionnel, les informations circulent un peu mieux entre les partenaires. Mais pour le coup, on apprend que le gros du financement est encore loin d'être acquis.
Le 14/03/2014 à 13:32 par Nicolas Gary
Publié le :
14/03/2014 à 13:32
Pour mémoire, le projet autour du registre ReLIRE porte sur la numérisation d'oeuvres commercialement indisponibles et sous droit, du XXe siècle. Son principe repose sur une « adhésion présumée » des auteurs, dont les oeuvres sont recensées avec leur accord a priori. Il leur est possible de refuser de les voir figurer dans le projet de numérisation, et de recommercialisation, mais encore faut-il qu'ils aient connaissance de l'existence même du projet. Pour ce faire, les acteurs ont dépensé de jolies sommes en publicité, avec un effet… proche du néant. Mais soit.
A ce titre, le directeur de la Sofia nous a précisé que les chiffres que nous avancions « sont de pures extrapolations qui ne correspondent pas aux frais engagés ». Nous avons bien entendu proposé, dans un effort de transparence, que soient communiquées les sommes réelles, et attendons des informations plus précises.
Une fois encore, le projet ReLIRE démontre que la France s'empresse de mettre en place une usine à gaz, avec un sacré passage en force, plutôt que d'envisager une approche qui se serait appuyée sur une adhésion volontaire des auteurs. Ce foncitonnement aurait été nettement plus intelligent, et aurait épargné de nombreuses polémiques. Mais en l'état, ReLIRE permet surtout de ne pas avoir à se préoccuper de la négociation des droits numériques avec les auteurs, et de faire passer des centaines de milliers de livres en force.
Béni soit le Grand Emprunt
Dès ses premiers pas, ReLIRE projetait de profiter du financement apporté par le Grand Emprunt, et s'était rapproché du Commissariat Général à l'Investissement. Le projet de financement a toujours été d'une grandiose opacité : la ministre de la Culture, sollicitée à l'Assemblée nationale, avait assuré que « le ministèreprend part au financement, mais la dimension économique doit demeurer prioritairement portée par l'interprofession, et l'éditeur en premier lieu ». Et d'ajouter : « La question de la participation patrimoniale est réglée, pas celle de la participation commerciale : néanmoins, que l'on ne compte pas sur l'État pour suppléer des partenaires privés réticents. J'ai reçu les éditeurs. J'ai fait une proposition, qui sera examinée par eux comme par le commissaire général à l'investissement. »
Sauf que depuis des mois, les négociations sont en cours, avec le CGI, et que rien, à cette heure, n'est encore débloqué. La possibilité que ce dernier se retire du projet a même été évoquée, dans un rapport sénatorial. Denis Mollat, président du Cercle de la Librairie, société qui s'est vu confier la responsabilité de la Société de projet, assurait à ActuaLitté : « Un accord a pu finalement être trouvé sur le montage financier, qui permet de concrétiser cette entreprise. [...]Le Cercle a pris son engagement à hauteur 1,6 million €, non sans difficulté. » Non sans difficulté, car il n'existe « pas d'immunité particulière du Cercle face à la situation économique » décrite comme morose par Denis Mollat. Dans les faits, le montage n'est peut-être pas si réglé que cela. En tout cas, rien n'est signé.
Argent public, argent public, argent public...
Début décembre, les dernières données que nous avions pu recueillir indiquaient qu'entre 2014 et 2020, ce seraient finalement 230.000 oeuvres qui devraient être numérisées, le tout pour un montant dernièrement estimé à 30 millions € - répartis à 20 millions peu ou prou, venant des éditeurs, et des prêts contractés, et de 10 millions, également peu ou prou, apportés par le Centre national du livre.
Un télégramme envoyé, probablement par erreur, à la rédaction, nous apporte de nouvelles précisions sur les avancées du projet. Aux dernières nouvelles, on parle de 200.000 oeuvres à numériser : les scanners de la BnF commenceront à chauffer à partir de cet été, et à partir du début de l'année prochaine, 15.000 premiers titres devraient être disponibles pour le public et les bibliothèques.
Parenthèse : Il est intéressant de noter que si les bibliothèques sont impliquées, ce sera donc au travers de l'argent public qu'elles effectueront les achats. Numérisation avec de l'argent public, en très grande partie, et achats de bouquets d'ouvrages avec de l'argent public. Si cela ne rappelle pas le mode de fonctionnement de l'éditeur Elsevier, avec les bibliothèques universitaires, alors il est grand temps de commencer à faire le rapprochement.
La société Elsevier n'est plus l'éditeur soucieux de diffusion des produits de la science. C'est devenu une grande société, cotée en Bourse, qui fait de l'argent sur les productions scientifiques sorties des laboratoires. L'argent public sert donc deux fois, une première fois à payer la recherche et les chercheurs (normal), une seconde fois à diffuser ce que cette recherche et ces chercheurs produisent, au travers des abonnements. De quoi s'interroger
Fin de la parenthèse.
Des millions d'euros, comme s'il en pleuvait...
Dans le cas de ReLIRE, ce sont 9 millions € venant du CNL, que la BnF va recevoir durant au mois cinq années. Le CNL sera une seconde fois sollicité pour un montant compris entre 400 et 900.000 € - fameuse fourchette. Il s'agira bien d'une subvention, prise sur les sommes allouées à la numérisation des catalogues d'éditeurs. Notons que, pour mieux faire passer la pilule, Le CNL a expliqué qu'il s'agissait là d'anticiper le fait que les oeuvres entreront dans le domaine public - et que cette numérisation, une fois les droits liés aux livres parvenus à leur terme, serait intégrée au catalogue de Gallica.
Images_of_money, CC BY 2.0
Poursuivons : le Cercle de la librairie, au travers de la Société de projet, contractera un prêt participatif à la hauteur de 7 millions €, que va lui accorder la Caisse des Dépôts et Consignations. Un financement de près de 6 millions € apporté par la filiale du Cercle complétera l'ensemble. Ce qui porte le total à 22 millions €, avec un possible supplément de 400 à 800.000 €. Disons 22,5 millions € pour faire plus simple. Dont près des trois quarts qui proviennent d'argent public, donc...
Sauf que, si un accord a été trouvé fin décembre entre la CDC et le CGI, rien n'est à ce jour signé, et l'on espère y parvenir « avant la fin du deuxième trimestre », nous assure-t-on. « Ce délai sera mis à profit, pour que l'on puisse finaliser différents éléments logistiques ». En effet, pour l'heure, seules les conditions d'exploitations - les licences que la Sofia a déjà présentées - sont concrétisées. Rappelons que la Société de projet est toujours en cours de création, et que, selon nos informations, aucun prestataire n'a encore été désigné pour assurer la numérisation des oeuvres.
En cas de coquille, veuillez ne pas vous plaindre
Les exigences de qualité liées à cette numérisation sont par ailleurs intenables, nous assurait un spécialiste. Celui-ci se réjouissait que « la Sofia adopte une magnifique promesse de qualité dans la numérisation. Certains prestataires garantissent en effet un pareil résultat… mais sans pour autant le livrer au client. En réalité, 99,99 % de qualité éditoriale ne sera jamais atteint ». Surtout que le président de la Sofia, Alain Absire avait été clair : « Il n'y a pas de relecture, puisqu'il n'y a pas d'épreuves. » En effet, pour la numérisation des ouvrages, et suite à l'OCR, « la relecture humaine a un coût, qui aujourd'hui n'est pas prévu », dans le cadre du financement…
C'est peut-être là, que les parties impliquées se rendront compte, quand des fichiers truffés d'erreurs sortiront, qu'il aurait mieux valu proposer, plutôt qu'une « adhésion présumée », un modèle d'adhésion volontaire - opt-in contre opt-out. Et ce, simplement pour respecter le droit moral des auteurs. La Sofia avait en effet avancé que l'on retrouverait au maximum une erreur par page. Un commentaire qui avait fait bondir un éditeur : « Une erreur par page, sur un livre numérisé qui a déjà été édité, et qui a donc déjà été corrigé a priori (au XXe siècle, il y avait encore des correcteurs chez les éditeurs) ! Donc en fait, leur numérisation ne va pas laisser un mot erroné par page, mais va ajouter un mot erroné par page depuis un livre qui n'en contenait pas a priori. »
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