Plusieurs auteurs ont décidé de lancer une pétition, pour sensibiliser leurs pairs, et l'interprofession, à la question du piratage. « Nous avons soulevé un tapis, et trouvé des milliers d'œuvres, gratuitement téléchargeables. Des livres que nous avons mis plusieurs années à écrire, et qui sont disponibles, comme ça », s'émeut Viviane Moore, auteure jeunesse, co-auteure de la pétition. Et signataire, évidemment.
Le 22/04/2015 à 12:30 par Nicolas Gary
Publié le :
22/04/2015 à 12:30
Hasan Kabalak, CC BY SA 2.0
Les 17 associations liées au Conseil Permanent des écrivains devraient relayer au cours des prochaines semaines la pétition. Pour Valentine Goby, présidente du CPE, « cette prise d'initiative est importante. Elle montre que tout ne vient pas des organisations, et que les auteurs veulent aussi s'impliquer et mener des actions fortes ».
Prise de conscience : TIPIAK, PI-RATE !
La pétition porte avant tout sur la modification de la directive européenne 2000/31/EC, portant sur la responsabilité des hébergeurs. « Il est essentiel que l'on cesse de l'artisanat dans la lutte contre le piratage, et que l'on mène une véritable action », estime Viviane Moore. « Même sur Facebook, on trouve des pages qui proposent des livres gratuitement. On peut demander un ouvrage, s'il n'est pas proposé. »
La présence de PDF qui ressemblent étrangement à des Bons à Tirer laisse même redouter que la contrefaçon frappe directement au sein des maisons, ou chez l'imprimeur. « Le même cas de figure que dans la musique, où des enregistrements pirates se réalisaient en studio... » Ce qui semble frappant, c'est la prise de conscience de certains écrivains. « On n'imaginait pas du tout que cela soit si important, contrairement au disque ou au cinéma. »
Le romancier Fabrice Bourland, l'un des auteurs à l'origine de la pétition, évoque « une réaction instinctive, sans concertations : les écrivains sont solitaires, mais en lors de rencontres dans les salons et foires, on partage des informations ». Et le sentiment de panique grandit : « Voilà encore un an, le nombre de sites avec des offres piratées n'était pas si important. Maintenant, tout le monde se demande comment cela évoluera. »
Faire entendre leur voix, pour interpeller toute la profession. « Les éditeurs semblent eux-mêmes dépassés, et on comprend bien que les outils des plateformes destinés à dénoncer une contrefaçon sont complexes à utiliser », poursuit-il.
« Aujourd'hui, nous assistons à une réaction désabusée des auteurs, qui semblent accepter le piratage, comme inévitable. Je pense qu'il faut refuser ce fatalisme de l'époque, qui hausse les épaules en passant à autre chose », estime Mikael Olivier, auteur jeunesse. « Les auteurs ne peuvent pas se résigner, parce qu'un outil existe, à ce que le droit d'auteur soit mis en danger. »
Constituer une offre légale... depuis 2007
Pour Viviane Moore, l'inquiétude est venue de ce que certains de ses livres, non disponibles en numérique, légalement, se retrouvent sur des plateformes de piratage. Cette absence de commercialisation licite provient évidemment des éditeurs. « La plupart des auteurs ne seraient pas opposés au numérique, mais avec un véritable projet : mettre en place une offre qui sécuriserait les ventes. Quand je vois que tous mes livres sont piratés, c'est très inquiétant. »
Bien entendu, le droit moral intervient : les auteurs ont la possibilité de refuser une certaine forme exploitation. Milan Kundera, par exemple, compte parmi les auteurs de la maison Gallimard qui refusent l'ebook. « Depuis plusieurs années déjà, j'ajoute à tous mes contrats, partout, une clause stipulant que mes romans ne peuvent être publiés que sous la forme traditionnelle du livre. Pour qu'on les lise uniquement sur papier, non sur un écran », expliquait Kundera en juillet 2012.
Moralité, toute l'œuvre de l'écrivain est piratée. La nature a manifestement toujours horreur du vide...
Compréhensif, Fabrice Bourland nuance : « Tous mes livres sont vendus en numérique, cela ne m'empêche pas de les avoir trouvés en offre pirate. S'ils n'existaient pas en ebook, la version pirate pourrait répondre à un besoin, même si cela reste une violation de la loi. Bien entendu, une offre légale, c'est un premier pas, mais il y en a d'autres. » Et de souligner que les lecteurs subissent la contrainte des DRM, toujours pénible. « On se tourne facilement vers les solutions les plus simples. Les livres piratés ont cet avantage, malheureusement, avec une plus grande souplesse. »
Reste que, ActuaLitté a pu le constater, l'offre pirate de livres numériques (incluant BD et livres) approche des 70.000 titres – contre une offre légale qui compte plus de 120.000 titres. Or, sur les 70.000 titres de l'offre pirate, nous avons pu constater qu'une certaine part (près d'un tiers, selon les premiers échantillons que nous avons effectués) ne font pas partie de l'offre légale. Autrement dit, l'ensemble de l'offre légale n'est pas immédiatement accessible à travers les réseaux pirates.
Renforcer l'offre légale compte parmi les nouvelles obligations qui incombent, avec le nouveau contrat d'édition que les éditeurs ont dû adopter, avec notamment :
• L'éditeur doit exploiter pleinement les droits cédés, il ne peut invoquer l'exploitation numérique pour remplir ses obligations relatives à l'exploitation imprimée et vice versa
• L'éditeur doit offrir aux auteurs des garanties sur la rémunération et le respect des obligations de l'éditeur
Autrement dit, proposer un format numérique, dans au moins un format interopérable, relèvera des contraintes de l'exploitation des œuvres. De quoi renforcer la constitution d'un catalogue ebook français.
L'intelligence appliquée au numérique
Constituer, autour de cette pétition, une communauté d'auteurs, c'est montrer dans l'édition que chacun n'est pas perdu dans sa solitude [NdR : par erreur, la pétition avait été atribuée à la SCAM]. Trouver une solution collective est un impératif, souligne Mikael Olivier. « Demander le retrait d'un lien après l'autre, c'est une perte de temps idiote. » Et dans le même temps, chaque profession est concernée. « Prenons les libraires : avec la dématérialisation et l'idéologie du tout gratuit, son rôle n'a plus de sens, lui qui vend justement les livres. De même que ses conseils, si tout est en vrac, librement téléchargeable. »
Drew Coffman, CC BY 2.0
Quant à considérer qu'un téléchargement n'est pas une vente perdue, mais puisse intervenir comme un outil de promotion, il reste sceptique. « Dans une toute petite proportion, évidemment. Cela pourrait avoir du sens, si les pirates le faisaient en plus de l'achat du livre, mais je n'y crois pas trop. »
En revanche, tirer profit d'initiatives d'autres industries culturelles apporterait de nouvelles pistes. « Dans la musique, des maisons organisent des fuites. Pourquoi ne pas envisager qu'un auteur puisse diffuser le premier jet de son manuscrit, avec des ratures, des corrections, quelques semaines avant la mise en vente ? » Une idée qui favoriserait d'abord les relations avec les lecteurs, tout en proposant des contenus inédits. « De quoi créer une attente, et enrichir le soutien à l'offre légale. Pour l'instant, le livre numérique semble ne pas intéresser, mais la demande se développera avec le temps. »
Faire en sorte que, s'il est évident qu'il existera toujours, le piratage devienne moins attractif, voire marginal.
Directives européennes, entre hébergeurs et ecommerce
Hervé Rony, vice-président du CPE, et directeur de la SCAM, rappelle que la responsabilisation des hébergeurs est au cœur des difficultés. « Nous ne demandons pas qu'ils soient tenus pour responsables de tout. Cependant, quand ils agissent comme éditeurs de contenus, plus que comme simples hébergeurs, nous demandons qu'ils soient forcés ou contraints de répondre dans les meilleurs délais. »
Au niveau européen, la modification de la directive trouvera différents obstacles, juridiques, politiques, techniques. « La régulation des contenus devient essentielle. Les hébergeurs jouent aujourd'hui sur un principe de liberté absolue trop flou. » Rappelons, à ce titre, que le CSPLA a demandé à Pierre Sirinelli de réexaminer la directive sur le Commerce électronique. Il serait alors possible de trouver des passerelles pour travailler une plus grande responsabilisation.
« Mon souhait, c'est de travailler aussi bien avec les créateurs qu'avec les gens du commerce électronique, puisqu'il ne s'agit pas de leur imposer des solutions. Il s'agit de voir ce qui est réalisable, techniquement, économiquement et qui produit des effets heureux », affirmait Pierre Sirinelli.
« La Commission a pris conscience que le métier d'hébergeur a considérablement évolué », se réjouit Hervé Rony. Et plus globalement, que l'on évoque le piratage, sujet qui a tendance à être placé... sous le tapis. Pas de chance, les auteurs l'ont trouvé.
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