ENTRETIEN - La maire de Strasbourg a profité du premier jour du nouveau Festival de Paris, le 22 avril, pour annoncer la candidature de sa ville au label Capitale du livre de l’UNESCO. À cette occasion, ActuaLitté a pu s’entretenir avec Jeanne Barseghian, afin d'évoquer avec elle les atouts de la ville du Bas-Rhin et tracer les contours du projet porté par la mairie écologiste. Si la préfecture alsacienne est choisie, elle deviendra la première ville française à recevoir ce label.
Le 25/04/2022 à 16:20 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
25/04/2022 à 16:20
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Créé en 2001, ce label est décerné chaque année par l’organisation non-gouvernementale à une ville qui « s’engage à promouvoir les livres et la lecture sous toutes ses formes et à tous les âges de la vie ». Les villes désignées doivent proposer un programme d’actions concrètes durant les deux années qui précèdent l’obtention du label, et durant l’année de labellisation, soit un parcours de trois années de programmation autour du livre et de la lecture.
ActuaLitté : Qu’est ce qui vous a motivé à lancer Strasbourg dans cette aventure ?
Jeanne Barseghian : Nous avons souhaité porter cette candidature dès la campagne des municipales en 2020, comme faisant partie intégrante de notre projet culturel pour la ville. Pourquoi ? Car Strasbourg a une longue et intense histoire avec les livres. C’est ici que Gutenberg a inventé le premier système typographique et que le premier journal a été imprimé… C’est une terre d’humanisme, de philosophie, d’écriture, d’illustration. On a la chance d’avoir un terreau extrêmement riche, et cette profusion ne s’inscrit pas seulement dans notre patrimoine ou l'Histoire : elle est plus vivace que jamais, et ce grâce à des auteurs et autrices, des maisons d'édition, des médiathèques, un réseau de librairies, et des écoles de formation dans tous les domaines de la culture. Tous ces atouts nous ont logiquement portés à cette candidature au Label Capitale du Livre de l’UNESCO. Elle s’est imposée à nous.
Sur quels atouts allez-vous vous appuyer pour la soutenir ?
Jeanne Barseghian : J'ai évoqué l'écosystème foisonnant strasbourgeois, qui est un avantage indéniable, mais ce n'est pas le seul. En effet, cette ambition n’est pas seulement portée par la ville, mais par un réseau de 150 partenaires. Le projet fédère tout un réseau d'acteurs de l'ensemble du monde du livre. Nous avons par exemple à nos côtés l'Université de Strasbourg, des hôpitaux universitaires de la ville, car la lecture contient une dimension santé, ou encore des acteurs du champ social, comme des associations qui luttent contre l'illettrisme. Ce projet révèle la force d'association inhérente à la lecture et au livre.
Strasbourg est aussi une ville où on lit beaucoup et où énormément d'événements sont organisés chaque année autour de la lecture. On peut citer les Bibliothèques idéales, qui est un grand rendez-vous annuel strasbourgeois autour des auteurs et autrices et de la lecture. Ces moments se déploient chaque année en grands entretiens, rencontres croisées, ou encore lectures publiques. Autour des nombreuses manifestations organisées par la ville, nous constatons qu'un public présent, diversifié et qui s'étend année après année, est au rendez-vous.
Enfin, par son statut de capitale européenne, de deuxième ville diplomatique de France, de ville internationale, étudiante et multiculturelle, Strasbourg possède des atouts très forts pour contribuer à créer un réseau de villes engagées autour de la lecture. Deux axes porteront sur ces dimensions : un axe ville carrefour, où les cultures viennent se mélanger et s’enrichir. Pour cet axe en particulier, un volet important concernera notamment les langues, car Strasbourg est au 2e rang national pour la formation aux langues. L'autre axe tournera autour des enjeux de traduction : plusieurs actions importantes seront menées pour valoriser ce métier important.
Cette candidature nécessite-t-elle d’investir, que ce soit en infrastructures ou en équipements ? Un budget précis a-t-il été défini ?
Jeanne Barseghian : La métropole de Strasbourg possède déjà un réseau de 33 médiathèques, nous nous appuierons avant tout sur des moyens déjà existants. Tout de même, deux nouvelles médiathèques seront inaugurées dans les prochaines années : une dans la ville de Schiltigheim, adossée à Strasbourg, la future Médiathèque Nord. Elle sera gérée par l'Eurométropole de Strasbourg. Une autre sortira de terre près de la frontière allemande. Cette dernière pourra d'ailleurs devenir une médiathèque transfrontalière et européenne à terme.
Ensuite, ce seront des moyens spécifiques qui seront déployés autour de cette candidature. 4,5 millions € seront consacrés au projet, donc c'est un gros budget. En détail, ce sont 1 million € qui seront investis cette année, la même somme en 2023 et ensuite 2,5 millions € pour l'année de labellisation, avec un programme très riche de 25 programmes et 200 actions.
Ces investissements viennent s’ajouter au budget culturel de Strasbourg, qui représente plus d’un quart du budget municipal. Ces efforts supplémentaires, dans le cadre de cette ambition, sont possibles grâce à des partenariats publics et privés qui apportent une partie de l’investissement nécessaire au succès de notre projet.
La Médiathèque André Malraux, équipement incontournable du réseau de lecture publique de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg.
Concrètement, au cas où la ville est choisie pour le label Capitale du Livre 2024, qu’est ce que cela changera pour la vie culturelle strasbourgeoise, et plus globalement, la vie de ses habitants ?
Jeanne Barseghian : Si l'on porte cette ambition, ce n’est pas seulement pour une question de prestige, ou l'idée d'avoir une médaille de plus, mais afin d'agir et de profiter de cette occasion pour injecter du financement dans le tissu culturel strasbourgeois. Ce label servira également à capter de l’activité supplémentaire pour toute la chaîne du livre de la ville. En clair : redynamiser toute la filière du livre et tous les métiers qui la composent.
À travers cette candidature, c’est également un meilleur accès à la lecture que l’on sait porter. Les chiffres montrent qu'énormément d'enfants n’ont pas de livres chez eux, et ce projet est aussi porté pour lutter contre l'illettrisme et favoriser la lecture, notamment pour les plus jeunes ou des publics qui ont des difficultés sociales.
Justement, l’UNESCO semble privilégier la dimension d’intégration et de dialogue interculturel dans le choix des villes labellisées.
Jeanne Barseghian : À Strasbourg, on s’engage fortement comme ville hospitalière et ville refuge. On est fier d’être une ville multiculturelle. Pour donner un exemple, l’année dernière, quand il y a eu la crise en Afghanistan, les acteurs culturels de la ville se sont mobilisés pour pouvoir accueillir des artistes afghans. Aujourd’hui, ils viennent enrichir notre ville grâce à leurs parcours et leurs qualités particulières. Cette richesse nous intéresse particulièrement, alors j'espère que ce label, si nous sommes choisis, permettra de susciter encore plus d'échanges multiculturels.
En outre, la question du meilleur accès à la lecture, précédemment évoquée, englobe également les personnes migrantes, qui ont logiquement des difficultés liées à l’accueil. D’autres combats nous sont chers, comme la question de l’égalité femme-homme dans le monde de l’édition, ou la question du statut de l’auteur, puisque l’on sait qu’ils sont souvent dans des situations de précarité. En résumé, on souhaite que cette candidature, au-delà de Strasbourg, puisse aider à faire bouger les lignes. Notre projet répond donc aux critères de l'UNESCO dans le choix des villes labellisées.
Je profite également de votre question pour passer un message à la veille des présidentielles [l'entretien a été réalisé ce vendredi 22 avril, NdR], celui d’une ouverture sur le monde. Une ouverture à l’autre, qui passe par la lutte contre le repli, les extrémismes. Ces principes, qui sont une manière d’apprendre et de lutter contre les idées reçues, me tiennent à cœur, et le livre est un outil pour porter ces idées. Le livre favorise le questionnement, l’esprit critique, comme permet de libérer les imaginaires. On entend souvent l’idée que l’on ne peut rien changer, que c’est trop compliqué d’amorcer la transition… Je pense que la lecture porte en elle la possibilité de mondes meilleurs.
La dimension environnementale du livre semble tenir une place importante dans ce projet. Est-ce votre engagement écologiste qui explique cette importance ?
Jeanne Barseghian : Effectivement, ça ne vous a pas étonné, la question de l'éco-responsabilité de toute la chaîne du livre est également un axe important de notre projet. En tant que maire écologiste, j’ai souhaité que notre projet pousse assez loin la réflexion sur la problématique de la surproduction. Cette question, plus actuelle que jamais, de la consommation de ressources, et par extension de l'optimisation de la chaîne du livre, me tient particulièrement à coeur. Nous souhaitons porter une volonté affirmée d'accompagner, au niveau de nos moyens, toute la filière du livre à être davantage éco-responsable.
C'est pourquoi nous avons décidé de dédier un axe entier à l'éco responsabilité, et à la lutte contre le réchauffement climatique. Il y aura notamment un colloque européen sur l’impact environnemental de la filière du livre. Notre volonté n'est pas de faire oeuvre de blocage à la fabrication de livres, mais bien au contraire de rationaliser cette fabrication, et ainsi de faire des filières du livre, des domaines bien plus éco-responsables et plus en phase avec les enjeux de notre époque.
Jugez-vous que le secteur du livre est en retard dans l'éco-responsabilité ?
Jeanne Barseghian : D’une manière générale, c'est un sujet qui était assez peu abordé dans le monde culturel, ou alors majoritairement par la seule médiation des créations artistiques, donc des artistes. Pour une maison d’édition par exemple, les questions relatives à l'impact sur l'environnement sont encore bien trop peu posées. Assez peu de réflexions sont menées sur toutes ces questions.
Quelle est votre approche du livre en tant que Maire de Strasbourg, et lectrice ?
Jeanne Barseghian : Je suis une lectrice passionnée. Je peux aussi bien lire des bandes dessinées que des romans historiques, ou, du fait de ma position, beaucoup d’articles de presse et de dossiers. En tant qu'élue, lire pour mes différentes tâches fait partie de mon quotidien, mais j’essaye de maintenir une lecture plus ludique. C'était un peu difficile au début du mandat, mais j’ai réussi à reprendre. C’est important de se nourrir de lectures diversifiées.
En tant que maire de Strasbourg, je vois que la lecture et l'écriture sont présentes un peu partout dans notre ville. En tant que ville européenne, des citoyens strasbourgeois se sont par exemple réunis récemment pour écrire ce qu’on a appelé l’Appel de Strasbourg, autour de la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Ce texte est maintenant disponible et tout un chacun peut le signer. On souhaite ainsi montrer que les mots ne sont pas juste des mots, mais des moyens de poser des jalons pour participer à l'évolution nécessaire de notre société.
La micro-édition et l’édition à Strasbourg lors des Rencontres internationales de l’Illustration.
Souhaitez-vous faire participer activement les maisons d’édition, librairies et bibliothèques à ce projet ? Si oui, comment ?
Jeanne Barseghian : Je reviens au rendez-vous annuel des Bibliothèques idéales, porté actuellement par une librairie engagée dans ce beau projet. Notre objectif est à présent d’élargir cet événement a tout un réseau de structures. Aujourd'hui, on compte 25 librairies à Strasbourg, c’est un maillage très important. Il y en a vraiment pour tous les goûts. Les 44 bibliothèques de la métropole, les bibliothèques universitaires, mais également 40 éditeurs implantés sur l’Eurométropole participeront également aux 200 actions. C’est une diversité d’acteurs assez exceptionnels sur lesquels on va évidemment s’appuyer.
Pour évoquer les maisons d'éditions de l’écosystème, on peut citer les éditions 2024 qui ont été récompensées au dernier festival d'Angoulême. On prend ça comme un signe du destin, puisqu’on espère que 2024 deviendra l’année qui verra Strasbourg devenir capitale du Livre de l’UNESCO !
Le réseau de lecture publique, porté par les bibliothèques et médiathèques de Strasbourg, sera-t-il intégré aux différentes actions organisées ? Si oui, de quelle manière ?
Jeanne Barseghian : Les agents et agentes de nos médiathèques sont déjà extrêmement mobilisés autour de cette candidature. Pour eux, c’est une formidable occasion de valoriser tous leurs fonds documentaires et les lieux. Ce sera également l’occasion de développer des actions innovantes, notamment autour d’un public jeunesse, et de nouveaux publics plus globalement.
C’est donc très motivant pour nos équipes, car on oublie que toutes ces bibliothèques, qui font partie du paysage depuis tant d’années, mènent des actions de terrain très importantes. Notamment dans des quartiers populaires de Strasbourg, plus éloignés de la culture, et par extension des livres. Je me réjouis donc que cette ambition puisse mettre en lumière ce très beau réseau de bibliothèques, comme nos professionnels du secteur et leur important travail au quotidien.
Strasbourg a d'ailleurs réussi à fédérer la plupart des structures qui font le monde du livre au niveau national.
Jeanne Barseghian : La candidature strasbourgeoise, c’est aussi celle de la France. Si nous sommes retenues par l'UNESCO, nous serons la première ville française à recevoir ce label. Ainsi, se sont forgés naturellement des partenariats très forts au niveau national. Nous avons le soutien du ministère de la Culture ou du Syndicat national des éditeurs (SNE) qui organise le festival [le Festival du Livre de Paris, NdR] qui nous accueille aujourd'hui.
Tous ces soutiens renforcent notre projet, mais nous donnent également une plus grande responsabilité.
Crédits : J.F. Badias
1 Commentaire
ELMALI
29/04/2022 à 10:21
...excellent..!