Toute grande maison d’édition qui se doit propose sa revue, que ce soit Grasset et la Règle du jeu, les éditions de Minuit et Critique ou encore la récente Année Zéro, dirigée par Yann Moix et publiée par Bouquins. Prestige, tradition, premiers pas des futurs auteurs qui comptent, mais pour la rentabilité, il faudra repasser… La plus célèbre, lancée par Gaston Gallimard en 1908, La Nouvelle Revue française (NRF), respire toujours, mais change du tout au tout : Une nouvelle directrice, Maud Simonnot, deux numéros par an pour remplacer un rythme bimensuel, et un nouvel accent mis sur les thèmes de société.
Le 14/09/2022 à 15:04 par Hocine Bouhadjera
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14/09/2022 à 15:04
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« Je suis aussi heureuse qu’un enfant à Noël », se réjouit, non sans humour, Maud Simonnot, avant de nous raconter comment elle s’est retrouvée à la tête de la revue précédemment menée par des figures comme André Gide ou Jean Paulhan : « Je pense qu’Antoine Gallimard m’a choisie, car je connais bien la maison, ses écrivains et le catalogue pour y être depuis 10 ans. J’ai également une vingtaine d’années d’expérience dans le monde littéraire : Je suis passé par POL, Flammation, Mercure de France… En outre, à la base, j’ai une formation d’historienne de l’édition, spécialisée dans le début du XXe, donc j’ai une bonne connaissance de l’aventure de la NRF. Je vais pouvoir y mettre tous les gens que j’aime. »
Une NRF plusieurs fois renouvelée
Une joie affichée, mais également une responsabilité supplémentaire pour celle qui continuera d’être éditrice à plein temps chez Gallimard et une auteure qui a sorti en août dernier son troisième roman chez l’Observatoire, L’heure des oiseaux. Un emploi du temps chargé qui justifie, en partie, le changement de périodicité de la revue relancée en 2015. Une trentaine de contributeurs seront mobilisés par numéro, sur commandes d’articles thématiques.
Rappelons que la prestigieuse NRF a publié la plupart des écrivains qui ont compté durant tout le XXe siècle. Deux fois elle a dû s’interrompre, d’abord en 1914, alors porté par des figures littéraires comme André Gide, Jacques Copeau, Jacques Rivière ou encore Jean Schlumberger ; puis en 1943 après avoir été dirigée par l’auteur collaborationniste, Pierre Drieu la Rochelle à partir de 1940. Elle sera interdite après-guerre, comme toutes les revues parues pendant l’Occupation.
Elle est finalement relancée en 1953 sous la direction du distingué prix Goncourt 1929, Marcel Arland et de l’historique Jean Paulhan. Les jeunes plumes de cette époque seront Alain Robbe-Grillet, Michel Butor ou Nathalie Sarraute, en parallèle aux vieux Malraux, Chardonne ou encore Jouhandeau. Une déclaration d’intention, bien lointaine, accompagnait le retour de cette « Nouvelle Nouvelle Revue française » (un nom rapidement abandonné) : « Nous nous proposons avant tout de créer et de maintenir contre la mode, contre les jeux d’esprit, contre les ridicules invites des prix, du succès, voir de la radio et du cinéma, le pur climat qui permet la formation d’œuvres authentiques. »
En janvier 2015, Michel Crépu, alors directeur de l’illustre Revue des Deux Mondes, relance avec Antoine Gallimard la revue. La NRF s’était transformée, entre 2011 et 2014, en dossiers thématiques portés par un ou deux écrivains différents, et ce dans un rythme trimestriel.
Faute d’un rythme aussi soutenu, cette « Nouvelle Nouvelle Nouvelle » NRF soignera ses numéros, nous promet Maud Simonnot. Fini le format livre traditionnel, remplacé par le format dit « double couronne » de Gallimard, soit deux fois celui des petits livres de la collection Blanche : « On se rapproche plus de la belle revue. De quoi donner envie d’acheter la version papier en librairie ». Le prix passe certes de 15 à 18 euros, mais s’inscrit, au vu des changements, dans une politique d’accessibilité voulue par la direction. 4 numéros seront proposés en abonnement pour 61 euros. Le nouveau logo est vintage, la titraille sobre. Un bleu acier et des aubépines blanches (en référence à Proust) pour bandeau donnent son caractère au premier opus sauce 2022.
À gauche : la "Nouvelle" NRF, dirigée par Maud Simonnot. Sortie le 29 septembre. / À droite : le dernier numéro de la NRF menée par Michel Crépu.
Celle qui a côtoyé Jacques Reda et Michel Braudeau, deux autres anciens directeurs emblématiques de la revue, pose sa patte dès ce numéro de septembre : « Antoine Gallimard, en me désignant, a décidé de marquer les esprits, d’afficher un changement », constate-t-elle. Une annonce qui n’a pas été sans de petits remous, mais elle confesse : « Quand je suis arrivée comme éditrice chez Gallimard, c’était déjà comme ça. »
Première femme a diriger le titre séculaire, elle choisit de faire un pas vers la modernité, sans sacrifier à l’héritage du médium : « A présent, nous proposerons deux thématiques par numéro : un thème de société et un littéraire. Ce premier numéro traitera de la nature, le prochain des femmes. Quant à la partie littéraire, on se concentrera sur Marcel Proust, centenaire oblige, avant Louis Ferdinand Céline en mars prochain. »
Cette partie « sociétale » sera le miroir des thématiques qui défraient les chroniques et secouent les gazettes. En clair, Maud Simonnot l’affirme : elle souhaitera aborder des sujets « qui nous préoccupent dans nos vies de citoyen et pas seulement des thématiques détachées du réel ». L’ambition sera notamment, à travers ces choix forts, d’attirer les jeunes lecteurs. En revanche, cette NRF à l’âge Simonnot n’annonce pas l’entrée des journalistes et autres « experts » médiatiques dans la revue.
Elle restera bien, dans une continuité cette fois-ci, la chasse gardée des écrivains et de leur vision particulière sur leurs semblables et le monde. En parallèle, l’auteure de L’Enfant céleste entend valoriser la partie critique de la NRF : « C’était une volonté d’Antoine Gallimard, car c’est l’ADN de la revue depuis le début. J’ai d’ailleurs remis le sous-titre historique : “Revue de littérature et de critique”. Les auteurs-critiques littéraire qui participeront aux numéros auront autant de place qu’ils voudront pour leur papier, avec le ton et la forme qu’ils souhaitent, alors qu’ils sont souvent cantonnés à 2000-3000 signes ailleurs. » Les lecteurs pourront en effet découvrir dans le premier opus, des articles qui se déploient entre 3000 et 25.000 signes, de plumes comme Camille Laurens, Claire Berest, ou Philippe Bordas, qui s’est attelé à la relecture de l’œuvre complète d’un certain François Rabelais.
“Un contexte extrêmement défavorable”
Parmi les auteurs, beaucoup de nouveaux : « Je désire mettre en avant ma génération, des écrivains que j’admire, soit que j’édite, soit d’autres maisons. J’ai d’ailleurs constaté que c’est une revue qui fait encore rêver les jeunes écrivains. » Une ambition qui sied parfaitement au profil de Maud Simonnot, elle qui déniche, dans son rôle d’éditrice, les nouvelles voix en publiant beaucoup de premiers textes. A côté, elle s’occupe de romanciers plus confirmés, comme Aurélien Bellanger, présent dans le premier numéro.
Elle ne s’en cache pas, se transformer « est une nécessité pour toutes les revues ». Et d’ajouter : « Certains prétendent que c’est aujourd’hui un média en déshérence. Or, nous pensons ici qu’elles peuvent encore trouver une grande place dans la société », qu’elles sont des « laboratoires des idées de demain. » Un coup de pied dans la fourmilière qui pourrait effrayer les lecteurs fidèles de la NRF ancienne mouture, ce que réfute la nouvelle directrice en rappelant les apports, tout aussi « disruptifs » d’autres directeurs, comme Jacques Reda, sans que cela fasse fuir les abonnés : « L’idée est de redonner de la vie et des couleurs à la NRF, de la réancrer dans l’époque, face à un contexte extrêmement défavorable pour les revues littéraires en 2022 », résume-t-elle.
Une situation qui s’additionne avec la crise du papier qui frappe lourdement tout le monde de l’édition. Maud Simonnot parle d’un « terrible et réel surcoût » pour Gallimard, mais qui ne pouvait pas être répercuté sur le prix au moment où la revue cherche un second souffle et à atteindre la jeune génération. Pour cette rentrée, Antoine Gallimard a dévoilé fin août chez Livres Hebdo, des augmentations de prix d’environ 5 % pour les titres en général, avec des écarts entre les 3,5 % supplémentaires pour les livres de poche, et les +25 % dans l’illustré ou la production jeunesse. Cette année écoulée a vu le prix du papier de presse et à usage graphique bondir de près de 75 %, en moyenne européenne, rapporte Jean-Yves Mollier.
En cause, l’explosion des coûts de l’énergie liée à la guerre en Ukraine, les tensions sur les matières premières nécessaires à la fabrication, et à la réduction des investissements et des acteurs dans le secteur du fait du rétrécissement constant de la demande de papier graphique. Le géant finlandais, Stora Enso, a notamment annoncé la fermeture de 4 de ces 5 usines, et la restructuration de la dernière, installée à Gand en Belgique. Depuis 2007, c’est environ 50 % de capacité de production qui a été perdue, alors que le tirage des éditeurs français reste élevé, à 550 millions de titres en 2021.
Il faudrait donc populariser la NRF ? Maud Simonnot répond par la négative, et parle plutôt d’éclectisme. Si, elle est ouverte à une grande variété de propositions, elle met en avant une exigence : « Qu’il y ait une écriture. »
Maud Simonnot, nouvelle directrice de la NRF. Francesca Mantovani / éditions Gallimard
Les revues ont longtemps tenu une place symbolique importante dans le monde littéraire français, lui-même majeur dans une société bien plus imprégnée par l’écrit. En revanche, elles ont également toujours eu des tirages limités à destination d’une certaine élite, constituant une sorte de danseuse pour les éditeurs prestigieux, pas si éloigné de l’acte d’amour aux lettres, l’édition n’ayant jamais été seulement un commerce.
Une noblesse qui cachait une autre ambition, notamment du côté des créateurs de la NRF, Gaston Gallimard et Jean Paulhan : faire entrer, par la bande, un auteur apprécié dans la maison, afin de les attirer chez eux à terme. Une idée que balaye Maud Simonnot : « J’ai travaillé avec quasiment tous et je les connais, certains sont des amis. Ils savent que ce ne sera que ponctuel. Ça donne aussi de la visibilité à de jeunes écrivains, donc c’est gagnant-gagnant. »
La nature vue par les écrivains
Des écrivains, entre 25 et 90 ans, comme Richard Powers, Erri de Luca, Fabienne Raphoz, Anton Beraber ou Katrina Kalda ont chacun réalisé un article autour des multiples dimensions de cette notion de nature. Maud Simonnot développe : « Par mes origines, mon histoire, ma culture, j’ai un grand attachement pour ce fameux genre du Nature writing, comme pour les écrivains voyageurs. Je suis une fille de la campagne. » Elle continue : « J’avais des auteurs en tête pour ce sujet qui s’est imposé d'emblé dès que l’idée de s’appuyer sur un thème de société a été actée. Mais avant tous, il y avait Jean-Marie Gustave Le Clézio, un pionnier dans l’écologie en littérature. »
Le prix Nobel de littérature 2008 et auteur du Désert, qui écrivit ses premiers articles dans la NRF dans les années 60, a accepté d’inaugurer la rubrique, « Dans la bibliothèque de… ». A chaque parution, une plume emblématique, liée à la thématique, se pliera à l’exercice.
La partie autour du « plus Nrfiste de tous les écrivains », Marcel Proust, proposera elle des articles des spécialistes reconnus de l’auteur Du côté de chez Swann : Jean-Yves Tadié, Antoine Compagnon ou encore Anne Simon. En parallèle, des contributions moins attendues, comme celles des jeunes Julien Syrac ou Violaine Huisman, avec un regard « qui n’a pas peur de l’irrévérence », entre admiration pour le grand auteur et jugement à l’aune des réflexions actuelles, notamment sur le féminisme. En prime, un Proust « hyper sensuel » par Yannick Haenel. En outre, la nouvelle directrice organisera des dialogues à chaque nouvelle thématique.
Ce premier numéro a été tiré à 4000 exemplaires, contre 3000 pour le format précédent. L’idée sera de regagner à la fois un public en librairie et par abonnement, important dans l’économie des revues. Pour ce faire, des campagnes seront lancées, afin de mettre en valeur cette « Nouvelle Nouvelle Nouvelle » Revue française. Du côté numérique, les articles seront toujours proposés à l’unité ou au numéro, mais également en bibliothèque par l’entremise de la plateforme Cairn, dans laquelle le groupe Madrigall est récemment monté au capital auprès d’autres éditeurs.
À LIRE:Lancement de La Nouve, revue dédiée à la nouvelle
Le second titre qui sortira en mars s’appuiera sur les plumes de l’auteur de l’Inventeur, Miguel Bonnefoy, mais aussi de Julia Kerninon, Hélène Gestern, Abel Quentin, ou encore un certain Mohammed M’Bougar Sarr. Après Le Clézio, c’est Annie Ernaux qui révélera sa bibliothèque idéale. « On va essayer de faire en sorte que la revue redevienne quelque chose d’incontournable. C’est un pari, mais pas totalement fou », conclut Maud Simonnot.
© Francesca Mantovani / éditions Gallimard
Paru le 29/09/2022
144 pages
Editions Gallimard
18,00 €
Paru le 24/08/2022
158 pages
Editions de l'Observatoire
17,00 €
Paru le 26/08/2022
216 pages
Points
7,30 €
4 Commentaires
Lucien
15/09/2022 à 13:33
Pour les auteurs de la Nouvelle NRF de 1953, vous classez Nathalie Sarraute parmi les "jeunes plumes" et André Malraux parmi les "vieux". Or l'autrice de Tropismes était née en 1900 et l'auteur de L'Espoir en 1901.
Sexisme ?
Cripure
28/07/2023 à 14:46
Vous semblez oublier que la carrière de Sarraute commence avec la publication de 'Tropismes', chez Denoël, en 1939. Celle d'André Malraux avec 'La tentation de l'occident', débute en 1926, alors qu'il a 25 ans à peine. On peut donc classer sans se tromper Nathalie Sarraute dans les "jeunes plumes" de 1953, tandis que Malraux, qui a le même âge, fait déjà figure de "vieux", dont les oeuvres majeures, 'La voie royale', 'L'espoir' ou 'La condition humaine', ont toutes été publiées avant-guerre. Le sexisme n'a pas grand-chose à voir là-dedans.
Serge
15/09/2022 à 14:53
Je regrette que Georges Lambrichs ne soit pas cité dans les anciens directeurs de la NRF - il me semble que tous l'ont été dans l'article sauf lui ! Pour mémoire, il a aussi dirigé, avant la NRF, une excellente revue publiée aux éditions Gallimard, Les Cahiers du Chemin. Par ailleurs c'est lui qui a "découvert" le Clézio... Un livre à propos de Lambrichs et Les Cahiers du Chemin où l'on retrouve aussi Le Clézio : https://www.honorechampion.com/fr/editions-honore-champion/8200-book-08532632-9782745326324.html.
Ceci dit : belle vie à la nouvelle NRF !
Carl Lejeune
18/09/2022 à 15:45
La NRF ça fait un bail qu'on ne la lit plus... Gallimard à force de rester sur ses acquis ressemble de plus en plus à un musée provincial qu'on visite par charité plus que par conviction. Regardez le catalogue... passer les plats bourratifs dans une NEW NEW NRF avec de l'aubépine ou pourquoi pas un un marque-page parfumé ? on attend tous le Nobel de Aurélien Bellanger avec impatience... (rires dans la salle)