Si certains ont tendance à penser que l’écriture personnelle tend à s’amenuir, il n’en est rien. Et l’ère du tout numérique n’a fait qu’accroître les registres et les modalités de l’expression de soi. Certes, cette dernière est moins cadrée et plus protéiforme, mais elle n’en est que plus présente dans notre quotidien.
Le 10/12/2022 à 10:36 par Victor De Sepausy
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10/12/2022 à 10:36
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Dans notre esprit, le journal intime est souvent rattaché à l’enfance, et, de façon encore plus clichée, plus féminin que masculin. Pourtant, cantonner cette forme d’écriture à l’étroitesse d’une chambre d’enfant ou d’adolescent, serait bien réducteur, et de nombreux écrivains ont commencé leur voyage dans le monde de l’écriture par la tenue d’un journal intime.
Notre époque incarnerait le règne du développement incessant des réseaux sociaux et du tout numérique, avec des adolescents qui écrivent leur journal intime directement sur leur téléphone, voire dictent leurs pensées sans même prendre la peine de tapoter sur les touches virtuelles d'un clavier riquiqui. Comme dans les jukebox d’antan, il suffirait d’introduire une menue pièce de monnaie dans la fente, voire dans un slot online, pour donner à entendre une mélodie quelque peu mièvre qui serait en parfait accord avec les idées et les réflexions développées par toute une jeunesse avide d’expression de soi.
On se moque d’ailleurs souvent de la simplicité, voire de la trivialité, des informations qui sont délivrées au public sur tous les réseaux sociaux. Mais en va-t-il véritablement autrement dans le cadre du journal intime ? Rien n’est moins sûr. « Le journal intime m'a nui artistiquement et scientifiquement. Il n'est qu'une paresse occupée et un fantôme d'activité intellectuelle. Sans être lui-même une œuvre, il empêche les autres œuvres, dont il a l'apparence de tenir lieu », affirmait, de façon quelque peu provocante Henri-Frédéric Amiel, dans son Journal, en date du 4 juillet 1877.
Pourtant cet écrivain suisse reste dans les annales du genre du journal intime. On lui doit pas moins de 17 000 pages, résultat d’un travail presque unique autour de cette forme d’écriture qui se caractérise par son immédiateté, a contrario de l’autobiographie qui relève, elle, d’un retour beaucoup plus tardif sur des faits passés. Ainsi Rousseau dans les années 1760 se met à écrire l’histoire des premières années de sa vie, fondant en passant l’esthétique de l’autobiographie moderne, avec un texte qui a pour mission de rendre compréhensible l’être qu' il est devenu au fil du temps.
En revanche, dans son principe, le journal intime est une écriture très proche du moment narré. Souvent on va écrire le soir ce qui s’est déroulé pendant la journée, mais aussi ce que l’on a pensé. C’est d’ailleurs un mode d’écrire auquel s’est plus ou moins adonné également Rousseau au soir de sa vie avec Les Rêveries du promeneur solitaire. Il notait ainsi, durant ses promenades ses idées telles qu’elles lui venaient. Une petite mise en forme pouvait intervenir en suite, mais elle restait légère.
Du côté d’Amiel, l’entreprise est beaucoup plus systématique, puisqu’il écrivit son journal de 1839 à 1881, année de sa mort. Mais, ce n’est qu’après sa mort que l’on a découvert cette œuvre aussi originale que gigantesque. De son vivant, il n’était connu que pour l’écriture de poèmes et d’études philosophiques et historiques. Depuis, la clarté de son style et la finesse de son introspection lui ont valu une renommée mondiale.
En France, le journal intime tire ses origines de ce qu’on appelait au Moyen Age les livres de raison. C’est simplement le maître de maison qui inscrivait les événements majeurs de l’année en cours pour sa famille. Montaigne évoque d’ailleurs à plusieurs reprises le livre ainsi tenu par son père, tout en se disant incapable de tenir le même office, bien qu’il fit en réalité, un travail d’introspection très approfondi, mais en élaborant une forme à la fois nouvelle et très personnelle, celle de l'essai, qui se distingue également du journal intime, tout autant que de l’autobiographie.
Il faudra attendre le XVIIIème siècle pour voir en France apparaître les premiers journaux intimes dans ce qu’ils deviendront dans notre époque moderne. La divulgation des principes psychanalytiques élaborés par Freud fera beaucoup aussi pour le développement de cette forme d’écriture. Après la publication posthume du Journal d’Anne Frank, le nom de cette jeune fille juive allemande victime du nazisme reste aujourd’hui intrinsèquement attaché à cette forme d’écriture.
1 Commentaire
Fabienne
14/12/2022 à 15:24
Article très intéressant sur un sujet qui me touche puisque je tiens mon journal depuis le 1er janvier 1987. Cela en fait des cahiers (plus de 50) et des pages...Mon quotidien, ce qui se passe autour de moi (dans ma localité ou sur le plan national/international), mes lectures. Je note des citations qui me touche également...Mon journal est le compagnon de ma vie.