Manie épistolaire. Lettres choisies (1930-1991) de Cioran

Cioran

Gallimard publie une sélection de lettres d'Émile Cioran. L'écrivain, autant roumain que parisien, déploie sa « manie épistolaire ». En préface de ce livre, un de ses textes montre son amour pour les lettres dont il parlait déjà comme d'une pratique menacée, et qui a aujourd'hui pratiquement disparu. 

Pourtant, à en croire l'écrivain, les lettres sont un genre littéraire majeur. « Cherchez la vérité sur un auteur plutôt dans sa correspondance que dans son œuvre », écrit-il. « Les livres sont des accidents ; les lettres, des événements : d'où leur souveraineté », ajoute-t-il encore. Et le constat s'applique aux écrivains autant qu'au commun des mortels : à en croire Cioran, ce sont les lettres qu'on a écrites à telle période de notre vie qui racontent, mieux que tout autre chose, la personne qu'on y était.

Bien évidemment, lorsqu'on lit la correspondance d'un auteur comme lui, on tombe sur quelques pépites qui lui sont propres. Chaque mot étant pesé avec la précision et l'intensité d'une balance d'aéroport, seul lui peut dire écrire des choses comme : « S'ennuyer c'est enregistrer la nullité de chaque instant avec la certitude que le suivant sera plus nul encore. »

Dans ces lettres, on trouve un Cioran souvent démoralisé : « Je crois n'avoir jamais été aussi inutile, au cours de toute mon inutile existence. » Ou accablé par un Paris qui le maltraite avec amour : « Paris est triste parce que l'on y sent confusément que la vie n'en partira jamais. On participe à regret à une agonie dont la signification explicite se refuse à la conscience. »

Parfois, le Cioran homme fait le point avec le Cioran écrivain : « J'ai manqué ma carrière littéraire en Roumanie ; je la manquerai certainement en France. »

Enfin, c'est à hauteur d'homme qu'on découvre ses échanges intellectuels avec Ernst Jünger, ses rapports avec Yves Bonnefoy ou Samuel Beckett, son admiration pour Carl Schmitt ou Henry Miller, et les relations fortes qu'il entretenait avec toute une galerie de personnes, lui qui affirmait pourtant vivre « complètement au dehors du monde, dans la ville la plus extraterrestre ». Cioran, ce « fou sans folie », on ne s'en lasse jamais.

Une michronique de
Ugo Loumé

Publiée le
08/03/2024 à 15:48

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Manie épistolaire. Lettres choisies (1930-1991)

Cioran

Paru le 15/02/2024

320 pages

Editions Gallimard

21,00 €