La BD représente le sixième secteur de l’édition avec 307,3 millions d’euros de chiffre d’affaires, en augmentation de 11,6 % en 2019, selon le SNE. Entre 2000 et 2016, le nombre de publications n’a cessé d’augmenter (+ 340 % dont une majorité de nouveautés, d’après le rapport ACBD). Selon une étude du Centre national du livre, 99 % des enfants et 98 % des adultes lecteurs de BD interrogés préfèrent le format papier. La BD numérique ne représente en effet que 1,5 % du marché de la bande dessinée, mais cette part augmente tous les ans et a été multipliée par trois en quatre ans (Baromètre Sofia 2017). Ainsi, 1/4 des jeunes lecteurs de BD déclarent lire aussi en numérique et 1/3 des adultes. La majorité lit sur tablette tactile ou ordinateur.
Cette bande dessinée digitale se développe ainsi depuis plusieurs années sous différentes formes, à partir d’une œuvre originale papier ou créée directement au format numérique.
De ce fait, il existe deux types de plateformes de vente de BD digitales : celles qui se positionnent comme de simples librairies en proposant des titres à l’origine papier en version numérique et celles qui éditent et auto-publient des ouvrages directement au format numérique. Parmi la première catégorie, les principales sont Sequencity et Izneo.
Créée en 2014, Sequencity s’associe, fin 2017, avec la chaîne E.Leclerc ce qui lui permet d’augmenter considérablement son offre pour proposer aujourd’hui un catalogue de plus de 30 000 BD, mangas et comics numériques et de bénéficier de recommandations des libraires des Espaces Culturels. La plateforme affiche des prix jusqu’à 50 % moins chers que la version papier et son application offre la possibilité de lire sans connexion.
Izneo a été créée, elle, en 2010 par une douzaine de maisons d’édition (Bamboo, Casterman, Dargaud, Dupuis, Futuropolis, Gallimard, Jungle/Steinkis, Rue de Sèvres, Bayard, Kana, Urban Comics et Ankama). En 2016, la Fnac s’inscrit dans le projet et reprend 50 % des parts de la plateforme. Izneo propose aujourd’hui plus de 40 000 BD, mangas et comics en achat à l’unité ou en abonnement mensuel, ce qui permet d’accéder à près de 5000 livres.
En 2019, Izneo a vendu 350.000 volumes, dont seulement 20 % de nouveautés avec trois millions d’albums mis en ligne. Cette même année, son chiffre d’affaires s’est élevé à quatre millions d’euros ce qui représente seulement 1% du marché de la bande dessinée mais néanmoins 60% à 70% du secteur de la BD numérique. En parallèle, un projet d’auto-publication est en cours.
Certaines plateformes ont décidé d’aller au-delà de la simple vente de bandes dessinées déjà existantes en apparaissant comme de véritables maisons d’édition avec un contenu original et des projets d’auto-publication pour les jeunes auteurs. C’est le cas d’iGoMatik, qui n’existe plus aujourd’hui, ou encore du récent BayDay qui a repris le flambeau.
iGoMatik était une plateforme en ligne d’édition et de publication de BD, comics et mangas numériques en activité de 2009 à 2016. En 2009, Laurent Roussel, avec quatre autres informaticiens, entrevoit une opportunité avec les possibilités qu’offrent l’iPhone (sortie depuis à peine un an) et l’iPad qui se profile à l’horizon 2010. « Il n’existait pas alors de liseuses pour la bande dessinée : iGoMatik est née pour combler ce manque. La BD numérique permet d’éviter les frais d’édition papier classique et les coûts élevés d’impression, de transport et de stockage » explique Laurent Roussel.
Dédiée au lancement de jeunes auteurs, l’application proposait de leur reverser la moitié des 70 % du prix de vente (les 30 % restants revenant à Apple). De plus, iGoMatik offrait une traduction des BD dont 50 % des bénéfices leur revenaient. Mais la prospection de nouveaux auteurs à ajouter au catalogue est repoussée par les éditeurs papier qui refusent que leurs auteurs signent un contrat chez iGoMatik. Le parcours dans l’autre sens est aussi compliqué. En effet, les auteurs de la plateforme restaient propriétaires de leurs droits papier, mais les éditeurs, eux, étaient réticents à conclure un accord.
Les ouvrages étaient proposés uniquement via l’AppStore d’Apple, car « c’est le système le mieux développé pour la BD numérique » d’après le créateur de l’application pour éviter sinon un problème de format selon le type d’appareil utilisé. Cependant, le développement de l’application pour s’adapter à la BD a un certain coût. Laurent Roussel dévoile qu’« il aurait fallu des milliers de ventes pour la maintenir et payer tous les frais qui l’accompagnent. iGoMatik se trouvait alors en haut du classement des ventes numériques de BD. Or, si ce top ne bouge pas en plusieurs années c’est que les concurrents ne font pas de meilleures ventes et que le marché n’est pas suffisant ».
Après deux années assez compliquées, la plateforme est finalement arrêtée.
Bayday est une plateforme d’auto-publication créée fin 2019 par Thomas Astruc et Sébastien Ruchet qui propose des BD nativement numériques gratuites (accompagnées de publicités) ou payantes avec une monnaie virtuelle (« des perles »). Elle permet aux auteurs de publier leurs créations digitales et de percevoir 70 % du prix de vente.
« BayDay a été conçu pour proposer de nouveaux modèles, des choses qui ne sont possibles que grâce au numérique. La plateforme permet à des auteurs du monde entier de s’inscrire et de publier entièrement en ligne, d’avoir une rémunération beaucoup plus avantageuse ou encore de publier facilement une bande dessinée en plusieurs langues », racontent les deux créateurs.
Il y a ainsi sur le site internet plus de 180 auteurs et près de 250 volumes. La majorité de la production est d’origine française, mais une partie provient également des États-Unis, du Canada ou encore du Mexique. « Nous avons même ajouté à l’automne un média BD à la plateforme, avec notamment un grand succès pour les interviews d’auteurs que nous mettons en avant. » Un an après son lancement, la plateforme se renouvelle en effet en ajoutant du contenu : des actualités sur le monde de la bande dessinée et un programme de créations originales.
« Nous avons reçu beaucoup de dossiers et cette année va être assez incroyable, avec des séries de créateurs français, puis prochainement américains et japonais. Le numérique nous permet de rebattre les cartes et de lancer des publications de chapitres mensuelles ou même hebdomadaires. Et ces bandes dessinées vont utiliser le plein potentiel de BayDay en étant disponibles dans le monde entier et en cinq langues. C’est un mouvement qui va grandir au fur et à mesure à l’avenir, mais les premières BD originales arrivent dans quelques semaines sur la plateforme. »
Ce programme promet une rémunération plus juste pour les auteurs : 1600 € minimum par mois pour la publication mensuelle d’un chapitre ainsi que 50 % des ventes dès le premier exemplaire vendu. Thomas Astruc et Sébastien Ruchet ont aussi passé un accord avec des maisons d’édition afin de publier la version numérique de certaines BD sorties au format papier. L’avenir semble donc assurer pour la plateforme bien loin de la triste issue de son homologue iGoMatik en 2016. « Nous avons bien vu que les attentes de mise à disposition numérique ont explosé sur toute l’année 2020, et c’est clairement une transformation qui marquera le secteur » se réjouissent les deux créateurs.
Laurent Roussel, l’un des créateurs de la plateforme iGoMatik, reste mitigé après son expérience. « Pour que la BD numérique se développe réellement, il faudrait que les éditeurs papier s’organisent ensemble, mais ces derniers s’inquiètent du piratage de fichiers numériques. Tant que ces réticences demeureront, on peut logiquement penser que le marché de la bande dessinée numérique représentera toujours un faible pourcentage par rapport à la version papier. »
La version numérique rend effectivement impossibles deux aspects appréciés des lecteurs de BD : l’acquisition d’un objet-livre et l’effet de rareté et de collection. Selon Thomas Astruc et Sébastien Ruchet, les créateurs de la plateforme Bayday, « la bande dessinée numérique fait partie du quotidien en Asie, est connue en Amérique et commence à peine à percer en Europe. Les Français, notamment, sont encore très attachés au papier, car la BD reste un objet social, d’échange ou de cadeau. Mais les habitudes évoluent, et comme pour le livre, le numérique convainc petit à petit, de par ses avantages financiers ou pratiques » !
On voit apparaître, en parallèle de la bande dessinée numérique classique, des formats de créations digitales originales. Le plus répandu, en particulier en Asie, est le webtoon. Il s’agit d’une BD classique avec des pages, des cases et des bulles (pour le moment principalement des mangas) mais composée d’un seul bloc que l’on scrolle à la verticale. Certaines plateformes uniquement consacrées à ce format se développent de plus en plus en France actuellement. Basée sur le même procédé, on retrouve la BD en application à télécharger sur smartphone ou tablette.
Elle se présente sous la forme d’une seule bande que l’on fait défiler cette fois à l’horizontale, mais il n’y a plus de pages ou de cases. Ce format est souvent accompagné par du son et des effets 3D, ce qui le place à la frontière de la bande dessinée et du cinéma d’animation. Enfin, avec les réseaux sociaux et plus particulièrement Instagram, une nouvelle forme de BD numérique apparaît.
Celle-ci est publiée case par case en publication ou en story avec possibilité d’interactions grâce à des jeux-questionnaires, de la musique ou des animations. La bande dessinée numérique, quelle que soit sa forme, n’a ainsi pas fini de se réinventer.
Par Marine Ganne
Article publié dans le cadre des travaux du master de Villetaneuse, Métiers du livre
crédit illustration : JenDigitalArt CC 0 ; OpenClipart-Vectors CC 0 ; tunechick83 CC 0 ; cocoparisienne CC 0
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