« Le bonheur est parfois une petite porte ouverte sur l’intranquillité », et qui détermine consciemment ou inconsciemment la nature d’une quête ou tout bonnement d’un cheminement. Alors que s’il existe une science du doute, celle-ci ne s’abreuve qu’aux confins d’un questionnement initialement irrésolu en arguant sur différents principes souvent contradictoires ; entre soudaine apparition et fulgurante disparition. Ainsi le bonheur devient-il presque logiquement et, inévitablement ombrageux quand bien même, il aspirerait en retour à quelques naïfs espoirs. « L’âme reste un poids pour l’homme ».
Le 28/04/2020 à 16:43 par Jean-Luc Favre
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28/04/2020 à 16:43
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Maxence Fermine, qui accède à la reconnaissance grâce à son ouvrage Neige, paru en 1999 chez Arléa et qui obtint à l’époque un vif succès, fait partie de ces romanciers, même s’il préfère le terme de conteur, qui précisément interroge le sens du réel, mais en optant délibérément et intuitivement pour une configuration plus fictionnelle, littéralement sublimée par un imaginaire enclin à l’élévation des éléments distinctifs de la création littéraire, et que l’on retrouve notamment dans L’Apiculteur (Albin Michel, 2000) et Le syndrome du papillon (Michel Lafon, 2016), avec en toile de fond l’idée non dissimulée, que c’est bien l’incessante conquête, celle qui poursuit son chemin, qui permet d’atteindre la lumière, fut-elle parfois indistincte.
Dans son dernier ouvrage, La probabilité mathématique du bonheur, l’auteur interroge tour à tour certains schémas de l’esprit qui conduisent à la prise de conscience, d’être humain, avec l’incidence de la profonde mélancolie et de l’ennui. Ainsi le parcours de Noah, le personnage principal, s’apparente plus « à celui d’un marathonien que d’un sprinteur ». Dans son métier, « il lui faut s’armer de patience, être endurant, tout en ménageant ses forces pour garder l’espoir de franchir la ligne d’arrivée ».
Or cette dernière n’est pas toujours immédiatement perceptible surtout lorsque le terrain semble mouvant. Il faut alors parfois tout reprendre à zéro.
« Avec une immense frustration, un sentiment d’impuissance et d’inutilité », comme les subit une majorité d’individus au quotidien, et plus encore ceux qui précisément perdent pied à un moment donné de leur lourde existence. Noah, lui, respire de plus en plus mal, il étouffe même. Il semble au bord du gouffre. « Le seul moment qu’il pouvait qualifier d’agréable ; de détendu et d’insouciant, c’est le samedi soir ». Marquer la pause, en somme, surseoir au pire, en déjouant les pièges, pour éviter de sombrer dans l’ennui permanent.
« Se sentir résolument vivant », étant la prime condition d’un possible recommencement. « De toute évidence sa place n’était pas ici, prisonnier de cette vie étriquée et insipide ». « Sa vie actuelle a-t-elle un sens ? », interroge alors l’auteur. Maxence Fermine apporte lui-même ses propres réponses au long cheminement de l’angoisse existentielle bercée par le monde de « l’En-deçà ». « Plus rien, restait le souffle », écrit Mallarmé sur la demeure d’Igitur.
ActuaLitté : Depuis la publication de Neige en 1999, qui vous a rendu célèbre, de l’eau a coulé sous les ponts ! Avec de nombreux autres romans, qui souvent interrogent l’homme en premier lieu et qui parfois s’apparentent à des contes avec des sources d’inspiration diverses. Mais qui avant tout instruisent une quête personnelle qui semble irrésolue ?
Maxence Fermine : La quête, c’est ce qui revient de manière inévitable dans chacun de mes livres. J’ai écrit tous ces romans sans penser à elle, mais avec le recul, il est indéniable qu’elle transparaît au travers de chacun d’eux. De Neige à Zen, d’Amazone au Palais des Ombres, le chemin est toujours celui d’une expérimentation. Quant à ma quête personnelle, je crois que je ne la résoudrai jamais. Je serai toute ma vie à la recherche de quelque chose, d’un ailleurs, de nouvelles rencontres, de nouveaux livres à lire ou à écrire, de nouvelles expériences à vivre.
C’est mon caractère, je suis quelqu’un de curieux et de spontané, mais aussi de rebelle et d’indépendant. Je tiens à ma liberté et à celle des miens comme à la prunelle de mes yeux. Je ne peux rester longtemps sans rien faire.
Chaque homme doit explorer son propre monde, il n’y a pas d’itinéraire tout tracé. En tout cas, je n’en veux pas. La raison pour laquelle je n’appartiens à aucune chapelle, aucun groupuscule, aucune assemblée, fût-elle politique, religieuse ou intellectuelle. Je me considère comme un écrivain conteur, parfois immobile, parfois voyageur, mais plutôt bon vivant. Je n’ai ni dieu ni maître. Je crois en certaines valeurs comme l’amour, l’amitié, les romans, les reportages que j’effectue depuis dix ans pour Alpes magazine, les partages, la nature, les voyages, le sport. J’ai du caractère, mais je ne manque pas de cœur.
Qu’est-ce que Le syndrome du papillon, qui est le titre de l’un de vos ouvrages ?
Maxence Fermine : Le syndrome du papillon, c’est l’histoire d’Hugo Mars, 17 ans, atteint d’un mal étrange qui le conduit à l’incapacité de faire des choix. Interné en hôpital psychiatrique, il va y faire la rencontre d’une jeune fille gothique et lunaire qui ne s’intéresse qu’aux génies. Un livre et une problématique s’adressant aux adolescents, et qui m’a longtemps taraudé étant jeune. Que faire de sa vie ? Quelle voie suivre ? Quels risques prendre ? Doit-on privilégier une carrière professionnelle, être sérieux et écouter ses parents ou choisir de suivre le vent de la liberté ?
Pour ma part, si j’avais écouté mes parents, il me fallait devenir ingénieur ou professeur. Comme je désirais devenir écrivain et reporter, et que j’ai de la suite dans les idées, j’ai donc choisi de suivre mes envies et de vivre une vie d’aventurier. Même si, au final, je passe plus de temps enfermé dans mon bureau à écrire qu’au grand air, en reportage, ou en repérages pour mes romans, je ne regrette rien.
Vous venez de subir une épreuve particulièrement éprouvante, puisque vous avez contracté le Covid 19. Quel enseignement tirez-vous de l’expérience de cette terrible maladie, pour vous et vos proches. Et qu’est-ce que cela va changer dans votre vie ?
Maxence Fermine : J’ai effectivement contracté ce virus qui m’a durement éprouvé, et que je compare au venin d’un cobra ou d’un frelon, un venin qui attaque vos organes un à un, poumons ; cœur, reins et cerveau. Même si, par chance, j’ai échappé à la case réanimation par deux fois, j’ai effectué trois passages à l’hôpital, dont le dernier vendredi 17 pour suspicion d’embolie pulmonaire à la suite d’une soudaine perte des fonctions vitales. Ce n’était pas une embolie, mais une attaque généralisée du virus. Le big one, comme il arrive parfois dans les cas les plus graves, et qui fait tomber les gens comme des mouches, qu’ils soient en réa, au fond de leur lit ou debout dans la rue.
Je me rends compte désormais que je reviens de loin. Par quatre fois, au terme de deux étouffements consécutifs à des lésions pulmonaires qui m’ont laissé quelques trop longs instants sans oxygène, et de deux malaises, le premier dû à l’épuisement consécutif au combat que j’ai mené contre la maladie, et enfin par cette terrible attaque (finale je l’espère) à la fois cérébrale et générale, j’ai dû être hospitalisé. Je tiens à préciser que le covid-19, pour ma part, outre cette sensation de venin, ce sont les symptômes d’une grippe, d’une gastroentérite et de lésions pulmonaires conjuguées.
Covid-19, mon premier 8000. Plusieurs fois, tant j’étais épuisé ou que je manquais d’oxygène, je me suis cru en train de gravir l’Everest. Je suis désormais sur la bonne voie, mais toujours en observation, suivi par un médecin de l’hôpital qui m’appelle chaque matin pour contrôler mon état. Je serai sûr d’être sorti d’affaire à la fin du mois d’avril. Je suis sportif et combattif, mais mon passé de fumeur, pourtant sevré depuis 6 ans, et ma propension à attraper facilement la grippe et autres virus, ne plaident pas ma cause et a un peu compliqué les choses.
Je crois que cela va bien entendu changer ma vision du monde. Pour ne pas être passé loin de la catastrophe, je vais désormais prendre plus de temps pour vivre, et consacrer davantage d’écoute et d’attention à mes proches, ou à mes lecteurs. C’est d’ailleurs ce que j’ai déjà entrepris en contactant certains d’entre eux, les plus fidèles au cours de cette épreuve, par téléphone via messenger.
On vous sait également très sensible à la nature, que vous décrivez parfois comme un enfant béat et sans dénaturation. Cette pandémie planétaire change-t-elle aujourd’hui votre regard sur l’environnement ?
Maxence Fermine : Il est clair que ce virus est un appel de la nature, destiné à l’homme, pour lui dire d’arrêter sa course folle vers une expansion toujours plus galopante. Il est temps de changer certaines choses. La canicule de février, puis celle d’avril, ce n’est quand même pas normal. Quelque chose est déréglé dans le climat. Je sais bien que ça fait un peu ancien combattant, mais quand j’étais jeune c’était un mètre de neige l’hiver et la canicule du 15 juillet au 15 août.
De nos jours on ne sait plus à quel saint se vouer, et pendant que l’Australie flambe, les ours polaires voient la banquise se réduire à une peau de chagrin, ils poussent des fleurs sur les sommets de l’Himalaya et bientôt le Mont Blanc s’appellera le Mont gris. Les deux derniers étés ont été étouffants même dans une maison en pierres, je n’ai pas sorti la pelle à neige de l’hiver, et j’aurais pu tout aussi bien me mettre en maillot de bain dans mon jardin en février.
Il est temps de réagir. Pour ma part, dès que j’en aurais retrouvé la force, j’essaierai de délaisser ma voiture et de pratiquer davantage la marche à pied. Mais je ne vis pas en ville, ce qui rend la tâche plus difficile. Et j’ai bien peur que, à l’exception de quelques-uns, plus avertis du danger que les autres, qui eux continueront à produire leurs efforts vers un monde plus pur, la plupart des gens ne reprennent leur vie d’avant. Dès qu’une menace disparaît, tout le monde oublie l’essentiel. Et ce n’est pas le discours de nos politiques qui m’a rassuré.
Chacun pense à l’économie avant de se soucier de la santé de l’humanité et de la planète. L’économie, c’est primordial, mais pas à n’importe quel prix. Et si on consommait local, au lieu d’aller acheter des produits, certes peu chers, mais de basse qualité en Chine ou à Hong-Kong ? À part Boris Johnson qui a essuyé les foudres de la maladie, personne ne comprendra vraiment ce qu’est de passer près de la mort à cause d’un virus qui bloque la respiration.
La planète étouffe, et à son tour elle se venge en tentant d’étouffer l’homme, cet étonnant parasite, l’espèce la plus nuisible de tous les temps. J’avais confiance en l’humanité, en l’homme, mais je la perds peu à peu depuis quelque temps. Lorsque je suis né, il y a un peu plus d’un demi-siècle, nous étions 4 milliards sur terre. Aujourd’hui, nous en sommes pratiquement à 8. Il y a un problème. Il faut changer la donne. Mais je doute que Boris Johnson ne parvienne à convaincre les autres dirigeants. Les plus sages, peut-être, je ne veux pas citer de noms, ils se reconnaîtront si d’aventure ils lisent ces lignes, mais qui peut penser décemment que Trump, Bolsonaro, Erdogan et Poutine changeront de politique ?
De votre point de vue l’homme doit-il prendre conscience maintenant des risques liés à son mode de vie consumériste et souvent peu soucieux de la nature qui l’entoure ? Ou est-ce trop tard ? On ressent d’ailleurs cette interrogation dans L’Apiculteur dont l’imaginaire merveilleux renvoie aussi à la fragilité humaine ? Avec un très fort espoir cependant ?
Maxence Fermine : Il n’est jamais trop tard pour rien. On peut apprendre à jouer du piano, une langue étrangère ou pratiquer une course en déambulateur à cent ans si on s’en sent le courage. Je ne suis pas du genre à baisser les bras, je suis plutôt combattif et résistant. Je crois à l’espoir, la vie de chacun est précieuse. Personne n’est indispensable sur cette terre, mais chacun est unique. C’est ce qui fait la richesse de l’humanité.
Pour ma part, tout en continuant à écrire, je vais faire comme mon personnage principal dans L’Apiculteur. Je vais poursuivre mes rêves et parcourir le monde, rencontrer de belles personnes, découvrir de beaux lieux le plus possible dorénavant. Mais peut-être en privilégiant d’autres moyens de transport plus verts. Je l’ai déjà fait auparavant, mais sans doute ai-je oublié l’essentiel. Ceux qui m’entourent et me lient au vivant. Je vais arrêter de courir et me poser un peu pour profiter simplement de ce que j’ai autour de moi.
Dans La probabilité mathématique du bonheur, vous semblez conforter encore plus ce besoin de quête. Mais qu’est-ce que le bonheur au juste ? Et quelles sont ses limites ?
Maxence Fermine : Le bonheur, c’est surtout apprendre à se contenter de ce que l’on possède déjà. Et de cultiver ses propres richesses. Pour cela, il faut avoir traversé certaines épreuves. Je suis désormais bien placé pour le savoir. Alors je vais me contenter de me trouver heureux d’être encore en vie. Depuis que j’ai appris la mort de Luis Sepulveda, l’illustre écrivain chilien dont j’avais croisé la route au début des années 2000 au salon du livre de Paris, j’ai été dévasté, comme de nombreuses personnes, par l’ampleur des dommages causés par ce virus parfois létal. Puis j’ai compris que je devais m’estimer heureux. Si j’avais eu 20 ans de plus, nul doute que j’aurais suivi le même chemin que lui.
Votre prochain ouvrage sera-t-il lié au coronavirus ? Avec quel message éventuel pour l’humanité ?
Maxence Fermine : Le prochain roman, très court, est déjà écrit et devait sortir à la fin de l’année. Mais avec ce coronavirus, tout est chamboulé. Il n’est pas impossible que sa publication soit repoussée au printemps 2021. Sans compter qu’avec l’épreuve que je viens de vivre, les idées se bousculent dans ma tête. J’ai déjà un titre, deux personnages et une trame, mais tout n’est pas encore en ordre.
Quant au message, je n’en sais encore rien. Je songe déjà à dire à chacun de profiter de la vie, tant qu’il reste un souffle, c’est déjà ça. Mais je n’ai pas encore la force, hélas, de rester très longtemps assis devant mon clavier.
D’écrivain debout, tel Camus, je suis devenu au fil du temps un écrivain assis, comme Boris Vian. Désormais porteur de stigmates pulmonaires, je me rapproche davantage de Proust, non pour le style, je n’en ai pas la prétention, je suis plutôt aux antipodes, mais pour la faiblesse physique, que j’espère provisoire, et la position. Allongé dans un lit ou une chaise longue, on ne travaille pas si mal que ça.
Le plus difficile va être de convaincre mon rédacteur en chef et mon éditeur, si d’aventure ils me surprennent en mode farniente lors d’un appel vidéo, que je suis réellement au labeur.
Dernier ouvrage paru :
La probabilité mathématique du bonheur - Michel Lafon – 9782749941189 – 16,95 €
Paru le 07/11/2019
237 pages
Michel Lafon
16,95 €
Paru le 13/10/2016
256 pages
Michel Lafon
16,95 €
Paru le 14/06/2006
220 pages
LGF/Le Livre de Poche
7,70 €
Paru le 06/09/2018
136 pages
Michel Lafon Poche
5,95 €
Paru le 10/09/2002
222 pages
LGF/Le Livre de Poche
7,40 €
3 Commentaires
Willy Lefèvre
29/04/2020 à 20:51
Une belle et touchante interview. À question précise, répit touchante d'émotion. Nous qui avons suivi journellement cette pénible convalescence, ce fut aussi une épreuve. La peur du lendemain. Ouf, cela est derrière nous à présent. Longue vie à vous. Amitiés. Willy.
Villard Michel
29/04/2020 à 21:38
Bravo, super combattant !!!
J'espère que se fichu covid a terminé sa salle besogne.
Nous espérons des jours meilleurs autour d'une table pour déguster de bonnes choses simples avec un bon millésime , ça va de soi !!!
Alors courage , je sais que tu n'en manques pas .
Nous vous embrassons.
Michel et Annie
Florence
17/05/2020 à 21:08
Bonjour Maxence Fermine
Savoir que vous avez été si malade me touche profondément
Et pendant ce temps, vous lire et relire été pour moi un vrai ressourcement au quotidien.
J'ose croire que pour vous le meilleur de la santé est à venir et pour nous lecteurs aussi en vous lisant.
Un grand merci