PORTRAIT – Son éditeur se dit schizophrène de métier, puisqu’il est également libraire. Elle rit de bon cœur : avoir travaillé avec Dominique Gaultier, le despote éclairé du Dilettante, « représente une chance inouïe. Lui, c’est le Faiseur ». L’intéressé balaye le compliment avec modestie. « Mathilde ne pouvait venir qu’au Dilettante. » Assurément.
Le 17/09/2018 à 09:36 par Nicolas Gary
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17/09/2018 à 09:36
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crédit Mathilde-Marie de Malfilâtre
Avec Babylone Express, son premier roman, Mathilde-Marie de Malfilâtre bouscule la rentrée littéraire. Faire l’unanimité de Beigbeder à Assouline, en passant par ActuaLitté, n’a rien de banal. Luna, son héroïne, partage avec sa créatrice un parcours explosif.
Le texte a été commencé en 2012 — sur la couverture, la photo prise est celle du premier jour de l’écriture. Un premier matériel brut, « écrit en ECM — état de conscience modifié. Cela peut impliquer des drogues, de la méditation, le sentiment amoureux, la prière. L’important était d’être totalement fly».
Tout réside dans un principe de vibration : l’ECM, c’est une fréquence modifiée, située entre 8 et 10 hertz, cf. l’échelle de Bovis. « C’est probablement propice, dans mon cas, à la création. Quand le taux vibratoire de l’organisme est modifié, on aboutit à des sensations différentes. Mais qu’on soit clairs : je n’incite pas à la consommation de drogue. L’ECM, ce n’est pas que des psychotropes. » Non, mais il faut bien introduire une rupture…
Mathilde revendique la dimension autofictive, autant qu’un flot de références littéraires — le déclic, c’est Kerouac, qu’elle découvre a Tanger. « Un tournant dans ma vie. Un mois après, je commençait à écrire. » Mais les idoles littéraires ne manquent pas : « Henry Miller, avec Nexus, ce fut la lecture subversive qui a tout changé. Lire ça à 14 ans, c’est radical. » Bien sûr, il y a « le divin marquis », découvert deux ans plus tard, et ses 120 Journées de Sodome.
Pour parachever le tableau, William Burroughs et Aldous Huxley vers vingt ans. Et évidemment, certains de leurs héritiers, comme Hakim Bey avec TAZ — Zone Autonome Temporaire : « J’ai décidé de créer ma propre TAZ, cette faille, dans toute société, qui s'apparente à un espace de liberté. » Enfin, Sasha Gray, une ex-porn star qui publie La Juliette Society, « du libertinage de très haut niveau. Elle est DJ aujourd’hui ».
Son éditeur le reconnaît, « nous n’avons eu que peu de travail entre le texte que Mathilde nous a envoyé, et celui qui a été publié. Le rythme était déjà là. Et le style, comme avec Ravalec, ce sont des phrases qu’il est périlleux de modifier, sans briser le rythme et l’ensemble ». Mathilde relativise, souriante : « Depuis mon matériau brut, j’avais mis en chantier une grande réécriture, une harmonisation du texte, pour lui donner une cohérence. » Et tout marche si bien.
Style ravageur, « cela devait sortir, comme une catharsis pour moi [NdR : autant que pour le lecteur !], plus qu’une expiation. Je me suis engouffrée dans la mystique de l’écriture, cette sensation d'immortaliser un texte. Ça m’a fait un bien fou. »
Et la maison toute entière a travaillé sans filet : aucune relecture d’avocat — « je ne l’ai pas souhaité », lâche Dominique Gaultier. Et ce, alors que Mathilde, ancienne d'une unité de renseignements de la gendarmerie, est toujours soumise au secret défense. « Je n’accepte pas de mutiler les livres de la sorte. Oui à l’autofiction, non à l’autocensure! »
Aucun filtre, tout est sorti d’un flux. « Je me sens épicurienne, c’est toute la TAZ que j’ai voulu bâtir : l’humain, c’est un corps subtil et un corps incarné. J’aime les deux, je cherche à les satisfaire chacun. »
Si « Luna joue à la roulette russe avec l’existence », sa créatrice a longtemps partagé cette aspiration à l’absolu. « Un matin, alors que j’étais super keuf, je me suis réveillée en comprenant que je n’avais pas ma place. Elle aussi. » Pour trouver 22.000 €, le coût de sa formation de naturopathe, Luna met sa rage débordante d’existence au service d'un trafic de drogues paneuropéen. « Pas moi », nuance Mathilde.
La naturopathie, « c’est cette médecine naturelle en Europe », explique-t-elle, très pédagogue. Au point que l’on espère avoir bien compris, pour ne pas décevoir. « Le médecin de famille, auparavant, avait un savoir qui s’est perdu à mesure que l’industrie pharmaceutique s’est développée. » Pour la formation, « nous avons 800 heures d’anatomie et de physiologie. Et d’ici une dizaine d’années, on aboutira probablement à une reconnaissance pleine du métier ».
Dans la famille Malafilâtre, la tradition militaire est héritée de son grand-père, détenteur d’une Légion d’honneur. Le volet littéraire vient de son père. « Je suis née Rue de la combattante, avec la conviction que ma vie serait de protéger et servir le pays. C’est comme ça dans la famille. » Elle manque Saint-Cyr de peu, mais finit par intégrer les renseignements. « J’aspirais à des missions sur Al-Qaïda », explique cette jeune trentenaire, « et j’ai abouti dans la cellule écoterrorisme ». Un choc.
« Passer de la protection du pays à ça : j’ignorais même que ça puisse exister de donner la chasse à des types qui libèrent des lapins sur lesquels on fait des expériences pour tester des médicaments ou des produits de beauté. Une putain de crise de conscience! Là, je servais les intérêts de l’État, pas mes concitoyens. Je te le demande : ce qui est légal, c’est légitime? » Joker, Mathilde, Joker.
Lors d’une permission, elle part alors à Mogador. « J’ai trouvé l’amour, et rencontré le LSD. » Un bus suffit, un joint démoniaque partagé avec un type — militant du FLA, Front de libération des animaux — et « soudain, j’avais atterri à Zion ». Dans un ryad de pêcheur, voici qu’elle va prendre un buvard, avec la Rolls Royce du LSD. « Ma vie a changé. Durant toute la nuit, j’avais le cerveau en puzzle, je recomposais les pièces. Et dans le même temps, confrontée à mes propres peurs, j’ai accordé ma vie avec l’enfant intérieur. »
crédit MVZ
Une lame de fond qui bouleverse la tranquillité d’une fonctionnaire et son confort de vie. « Tout change quand les perceptions se modifient après l’expérience du LSD : je ne serai plus jamais la même. » Avec un regard bienveillant sur ses frères humains, elle ajoute que « les amplificateurs de conscience, comme l’acide, faut pas y toucher si l’on est fragile ».
Inspirée de ce que sa propre mère avait fait de la naturopathie sa profession, Mathilde basculera vers un revirement total. « Et Luna avec moi. » Le LSD lui avait, assure-t-elle, « permis de toucher un peu de l’univers, d’entrer en contact avec quelque chose de plus grand. On mesure l’unicité de tout et la synchronicité du monde : tout est effets, causes et conséquences. Le taoïsme nous apprend à ne rien désirer ni vouloir : seulement aborder le monde avec confiance ».
Cette méthode de soins, outre à travers un volet médical, elle la pratique quotidiennement, que ce soit à travers des exercices respiratoires, de la réflexologie, « toute une hygiène qui a permis de passer d’un côté à l’autre du Tao. Rien n’est tout noir ni tout blanc : l’équilibre se façonne d’ailleurs par le corps et l’esprit ». Lire, s’informer — comme le livre de Georges Stoleru, Un cerveau nommé désir, sur la neurochimie de l’amour (2016, Odile Jacob). Ou encore L’homme superlumineux, de Brigitte Dutheil et Régis Dutheil (1990, Sand), pour explorer la physique quantique et le monde des tachyons.
Depuis son premier joint, à Amsterdam, quand elle avait 14 ans avec 2Pac et un petit copain de 15 ans, vendeur de cocaïne, Mathilde a dessiné le personnage de Luna, inspirée de rencontres, de découvertes, de raves, de marginalité regardant toujours vers les étoiles, en embrassant les forces chtoniennes les plus troublantes.
Un jour, peut-être, elle retournera au désert, ce lieu où le temps est figé : « Mon grand-père et ma grand-mère se sont rencontrés dans une oasis, alors que lui était baroudeur. » Bien sûr, le désert, ce sont les étoiles, la mystique ou l'héritage littéraire d’Edmond Jabbès — midbar et dabar, désert et parole, intrinsèquement liés (dans Le livre des questions). Pour Mathilde, c’est « l’osmose, les éléments que l’on peut saisir et qui nous offrent une douceur de vie infinie ».
Il fallait brûler l’essence d’une vie avant de trouver sa voie. Son premier livre, « mon bébé », c’est affronter l’invraisemblable, alors que Luna nous prend par la main. Une guide qui ferait rougir Dante et son Virgile, emportés à travers la Divine Comédie. Avec Luna, on irait au bout du monde, comme disait Baudelaire :
Et puis, il a la musique. Là, le journaliste s’efface, et laisse toute place à l’auteure : play-list choisie.
« Je suis obsédée par DJ Solomun, en ce moment. So sexy la minimale » :
Et comme on aime partager dans la rédaction, on lui soumet une récente découverte : Coez, rappeur italien. Et ça fait mouche : « J’adore. Cette chanson tout spécialement. Ça m’a replongée dans mes années underground, berlinoises et italiennes. C’est vraiment l'atmosphère. » Ravi que ça te plaise, Mathilde. Ravi.
4 Commentaires
sebastien
17/09/2018 à 10:44
*Henry Miller, pas Arthur
Team ActuaLitté
17/09/2018 à 10:47
Oui, on se demande ce qui s'est passé dans la tête du rédacteur à ce moment...
Merci.
sebastien
17/09/2018 à 11:00
Ou bien la citation est correcte ; après tout, ce n'est pas toujours la faute des rédacteurs :-)
Team ActuaLitté
17/09/2018 à 11:02
:zip: no comment :lol: