L'ouverture de la librairie L'impromptu, au 48 rue Sedaine, en décembre 2018, a participé à faire du 11e arrondissement le plus doté de Paris en termes de commerces de livres. Une présence soutenue de librairies qui n'effraie pas Jérémy Derny, bien au contraire : face à la désertion des centres-villes et au recul des habitudes de lecture, il répond avec un lieu convivial, chaleureux, ouvert à tous les livres et tous les lecteurs.
Le 16/07/2019 à 14:54 par Antoine Oury
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Publié le :
16/07/2019 à 14:54
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Croisé aux Rencontres nationales de la librairie, à Marseille, Jérémy Derny ne cachait pas son enthousiasme à l'idée de faire découvrir sa librairie, L'impromptu, située du côté du boulevard Voltaire, dans le 11e arrondissement de Paris, 48 rue Sedaine. Un chemin pas vraiment connu des lecteurs, pour le moment : longtemps, la rue fut celle des grossistes en textile, qui s'exilent désormais, petit à petit, vers Aubervilliers. La librairie elle-même s'est installée dans un local auparavant occupé par l'un d'entre eux.
« Nous regagnons du terrain, petit à petit, en commerces de proximité », se réjouit le libraire, qui s'engage activement dans une association locale pour valoriser les commerçants du quartier. « Avec la SEMAEST [Société d'économie mixte de la Ville de Paris, NdR], nous faisions partie d'une action prioritaire pour recréer un tissu commercial, une sorte de vie de village à l'échelle de l'arrondissement. »
Un village du livre, au cœur de Paris : le 11e arrondissement est jalonné par des librairies, toutes plus différentes les unes que les autres, entre Les Guetteurs de Vent, À Livr'ouvert, La Manœuvre, ou encore La Friche... Jérémy Derny, qui négocie avec l'ouverture de la librairie une reconversion professionnelle, a choisi une offre généraliste, considérant que « la littérature n'arrête pas de communiquer avec différents domaines : Annie Ernaux répond à Édouard Louis, qui peuvent renvoyer sur Bourdieu, puis sur les livres de Monique Wittig... Les livres sont des passerelles, finalement ».
L'esprit du lieu
Entrer dans L'impromptu fait naître une drôle de sensation : l'enseigne a moins d'un an, mais véhicule déjà un certain vécu. Pour le libraire, le secret a été de composer le mobilier de sa boutique avec des meubles ayant un passé, récupérés chez Emmaüs : commode, buffet, table familiale, même le comptoir de la librairie, où l'on sert volontiers un café, s'est constitué de chutes de bois de divers horizons.
Ces meubles racontent eux aussi des histoires, affirme le libraire, qui estime aussi qu'ils participent à rendre le lieu moins intimidant pour les clients peu habitués aux librairies. « Vous voyez cette table ? Mon arrière-grand-mère avait la même, c'est la table du pauvre que les trois quarts des familles en France ont eue à un moment. Les gens s'étonnent de trouver des meubles aussi familiers dans une librairie. »
Dès la fin du mois d'août, peut-être début septembre, la librairie L'impromptu sera dotée d'une licence IV, qui permettra à son propriétaire d'y proposer de l'alcool — bières ou vins de producteurs que le libraire lui-même affectionne. « L'impromptu a son code APE de libraire, attention, mais je voulais d'emblée un lieu doté d'un comptoir, pour rassembler, créer du commun, refaire le monde en faisant tourner les verres et les livres », explique-t-il.
Pour lui qui a grandi au sein d'une famille « où le livre était considéré comme sacré, quelque chose qui n'était pratiquement pas pour nous, même si l'on nous a élevés dans un environnement ouvert à la culture », la proximité et l'accessibilité restent indispensables.
« La librairie est un lieu que les gens considèrent beaucoup sous l'angle du jugement, d'où une certaine peur, comme la peur d'être jugé par tel ou tel choix de livre. Pourtant, je ne pense pas que ce soit mon rôle, en tant que libraire, de dire quelle est la bonne ou la mauvaise lecture. Mon rôle est de conseiller, partager ce que j'aime, mais sans juger de la qualité d'une lecture », résume-t-il.
L'indépendance sur les étagères
Comme toutes les librairies, L'impromptu affiche ses choix, mais son gérant les revendique avec un peu plus de force encore : « C'est ma librairie, mon argent, j'achète ce que je veux et ce que je décide d'acheter, personne ne peut me contraindre, y compris par l'office sauvage [pratique de l'édition qui consiste à envoyer “de force” des ouvrages qui n'ont pas été commandés par le libraire] », affirme-t-il. Glissant au passage qu'il n'a pas reçu d'aides publiques pour l'ouverture de son établissement, en partie réalisée par une campagne de financement participatif.
« Le fait d'avoir une limite de place est une chance, cela nous pousse à la sélection, qui forge l'identité, la personnalité de la librairie. Je n'ai pas peur de faire cette sélection en plus, car je peux la revendiquer auprès de ma clientèle. » Avec ses clients, Jérémy Derny évoque des détails sur la vie interne de la librairie, comme les relations avec les distributeurs et les diffuseurs, ou le fonctionnement des achats et des retours, des éléments méconnus des lecteurs. D'après lui, cette proximité ne fait que renforcer le lien avec sa clientèle.
Les étagères de la libraire se veulent le reflet de cette indépendance et de ce goût pour l'inattendu, comme le veut le nom de la librairie, complété par l'expression « Alcôve et curiosité » qui sonne comme une devise. Des ouvrages des éditions Sillage côtoient ceux de la maison grenobloise Cent Pages, non loin des vertigineux leporello de la collection Façades des éditions polystyrène... Le libraire ne cache pas sa « passion premiers romans » et aime donc leur accorder du temps, délaissant des ouvrages médiatisés, qui se vendent tout seuls ou presque.
Si des tables à thèmes proposent de naviguer à la rencontre des auteurs du Tartan noir ou de parcourir la Cordillère des Andes guidé par sa littérature, L'Impromptu joue la carte du local : « Nous avons la chance d'avoir à proximité les éditions Marest et Macula, sur le cinéma, et les éditions Xavier Barral, pour la photographie. Il fut l'un des premiers éditeurs à nous soutenir, et je lui rends hommage en ayant toujours quelques titres en rayon », remarque le libraire.
Même la papeterie, un rayon qui diffère souvent peu d'une librairie à l'autre, porte la marque du propriétaire : si l'inévitable gamme de Gallimard est présente, elle est entourée par une variété de propositions, comme les créations de Petit Gramme, de Monsieur Papier, de l'Atelier Mouti, dans le 93, et de L'Oiseau Comète, « qui est installé rue Poppincourt ! » La librairie a même sa propre gamme d'articles de papeterie, les Papiers de l'impromptu, conçue par le graphiste Olivier Bousquet.
Autre curiosité, la présence d'un ouvrage autopublié, mis en évidence à côté de la caisse de la librairie, fait plutôt rare. « Le blues du crocodile est signé par un illustrateur, Baxter, qui vit dans la rue : le projet m'a plu, nous avons fait le lancement ici, et il m'a laissé des exemplaires en dépôt. Le livre est beau, il plaîtaux enfants : nous en avons vendu une quarantaine d'exemplaires », explique Jérémy Derny.
Fidèle à son idée d'un commerce de quartier ouvert sur le monde, le libraire se déclare ouvert aux propositions, qu'il s'agisse de celle de la revue littéraire réunionnaise Kanyar ou des possibilités d'exposition sur les murs de sa boutique, qu'il a confiés à Roman Bonnery, un ami photographe.
Le libraire, « indispensable » pour la chaine du livre
La reconversion professionnelle de Jérémy Derny, qui a entamé un doctorat en philosophie politique — ses ouvrages universitaires l'attendent sur la dernière étagère de sa librairie — et travaillé en tant qu'ingénieur d'études sur des programmes de recherche et des publications d'actes de colloque, ne l'empêche pas de porter un regard très pragmatique sur les réalités du métier.
Notamment les relations avec les éditeurs et distributeurs, auxquels les libraires demandent aujourd'hui une remise minimale de 36 % sur les prix des livres, afin de pouvoir dégager une marge plus conséquente. « Une remise qui commence à 32 %, c'est honteux, ce n'est pas respecter le libraire, surtout quand on se souvient que nous gérons aussi les retours [NdR : les frais de renvoi des livres sont à la charge financière du libraire], parfois pour que le livre aille tout simplement au pilon. »
L'alternative n'est pas envisageable : « 36 % seraient le minimum, selon moi, à l'ouverture de comptes : certains le font, je pense notamment à Actes Sud, à L'école des loisirs, ou encore à la Sodis. De toute façon, il y a deux bêtes noires, aujourd'hui : Hachette, ce qui nous fait nous dire que si l'on pouvait se passer d'eux, on le ferait, et Interforum, avec lequel cela a été très bas dès le début », poursuit-il. Avec 32 % de remise seulement, le libraire perd de l'argent dans bien des cas, confie-t-il, citant encore Makassar, Serendip et Pollen parmi les acteurs « vertueux ».
Alors que l'impératif d'un refus collectif de certaines pratiques a fait son chemin lors des Rencontres nationales de la librairie, Jérémy Derny est prêt à participer au mouvement : « Beaucoup de libraires pensent que ces grands distributeurs sont indispensables : c'est faux, personne ne l'est. À l'ouverture de mon compte, j'ai eu un problème avec Interforum, ce qui fait que j'ai passé Noël sans aucun livre d'Interforum. Malgré l'importance du catalogue d’Interforum, tout s'est bien passé, mes clients ont trouvé d'autres livres. » Et ils ont été bien conseillés.
6 Commentaires
Desvoux-D'Yrek
17/07/2019 à 12:30
Bravo à Jérémy Pour sa Librairie ! Sa boutique ainsi aménagée et présentée me donne envie de sortir des arrondissements où mes pas me ramènent toujours par confort et conformisme personnel. Laurent lecteur ivre de livres et de vers !
Charlotte
17/07/2019 à 15:51
Bonjour votre libraire donne vraiment envie de venir MAIS est elle accecible au fauteuil roulant svp ( paraplegique ) merci d'avance pour votre réponse .
Bonne journée à tous les lecteurs et lectrices . :roll:
Jeremy
17/07/2019 à 23:40
Chère Charlotte, notre espace a été pensé pour que toute personne puisse y avoir accès. Une rampe manuelle peut être sortie, il vous suffit de sonner à l'entrée de la librairie et je viens à vous ! :)
Emy
18/07/2019 à 23:22
Super article!!!
Très belle librairie très accueillante ?
Mes enfants adorent ??
Charlotte
20/07/2019 à 13:14
bonjour, je vous remercie pour votre réponse (Il y a tellement de personne qui ne réponde pas )
donc merci je viendrais avec plaisir .
bonne journée et bon weekend . :-
Yvan
26/07/2019 à 10:22
Merci Antoine pour ce bel article et cette découverte, je ne l'avais pas vue arriver cette librairie ! On y passera boire un canon alors. A noter dans les librairies emblématiques du 11ème, il y a Libralire qui était d'ailleurs bien proche de l'ancien bureau... d'Actualitté !