Des chercheurs, enseignants et artistes cosignent une tribune collective appelant à une plus grande ouverture de la Bibliothèque des Abattoirs, lieu d'exposition d'art moderne et contemporain de la ville de Toulouse. Un accès réduit à cette dernière lèsera les enseignants, les étudiants, mais aussi les artistes et les amateurs et amatrices d'art, soulignent les signataires.
Le 05/11/2021 à 10:34 par Auteur invité
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05/11/2021 à 10:34
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Un fait extrêmement dommageable semble être passé inaperçu lors de la rentrée culturelle 2021 à Toulouse : la bibliothèque des Abattoirs, Musée – Frac Occitanie Toulouse, il n'y a pas si longtemps ouverte à tout public du mercredi au samedi, n'est désormais accessible que sur rendez-vous deux après-midi par semaine.
La décision a été prise en toute discrétion, en pérennisant le mode de fonctionnement qui s'était imposé ces derniers mois à cause du Covid.
La bibliothèque des Abattoirs est dotée d'un fonds de plus de 30 000 documents dédiés à tous les aspects de l'art moderne et contemporain. Sa spécificité est en outre de posséder un fonds de plus de 3000 livres et publications d'artistes, conservés en réserves mais catalogués parmi les autres ouvrages. Ils étaient jusque-là consultables à la demande, sans délai et par qui que ce soit, conciliant ainsi les contraintes de conservation et une facilité d'accès que n'ont pas la plupart des fonds de livres d'artistes. Tant par la quantité des ouvrages qui y sont réunis que par leur diversité historique, leur représentativité des usages contemporains de l'édition et leur intérêt artistique (1), ce fonds revêt un intérêt national, et contribue à l'identité des Abattoirs grâce aux nombreuses actions ayant visé à le valoriser ces dernières années (expositions au sein même de la bibliothèque (2), vidéos en ligne, prêts).
Pourtant, de bibliothèque d'étude facilement accessible et lieu de programmation artistique, la bibliothèque des Abattoirs devient donc une bibliothèque de recherche dont il semble évident qu'elle ne sera désormais utilisée que par les équipes du musée et du Frac Occitanie — pour lesquelles elle est évidemment un précieux outil de travail — et par des chercheur·euses qui auront connaissances des ressources s'y trouvant.
Qui a déjà fréquenté les lieux sait qu'outre ces deux profils d'usagers ou d'usagères, s'y trouvaient aussi des amateurs et amatrices d'art, des artistes et, surtout, des enseignant·es et étudiant·es d’universités ou d'écoles d'art. Ce lectorat désertera la bibliothèque si elle ne reste accessible que dans des conditions très restreintes.
Ce devenir, qu'on n'espère pas immuable, est regrettable car il constitue une régression sur le plan de l'accès public à la culture, alors que les Abattoirs sont une institution publique ; regrettable car il marginalise un lieu ayant une haute valeur scientifique, culturelle et artistique, alors qu'il conviendrait d'en soutenir et d'en développer les actions.
Soutenir et développer la bibliothèque des Abattoirs, cela impliquerait par exemple de renforcer ses moyens humains et financiers. Or, nous apprenons que l'équipe se voit réduite, dans le contexte d'une réorganisation générale des services du musée et du Frac. Cela pourrait aussi se faire, à l'évidence, en valorisant la collection de livres d'artistes. Si celle-ci devait à l'avenir rester consultable sur rendez-vous, au moins faudrait-il que cela soit sur des plages horaires beaucoup plus importantes pour favoriser son accès, et en continuant à faire l'objet d'une politique ambitieuse de valorisation, d'exposition et de diffusion. Quant au fonds documentaire, d'une richesse incontestable, on ne peut que souhaiter le maintien de son libre accès.
Enfin, pas de bibliothèque sans bibliothécaires et autres personnes pour y travailler. Des dysfonctionnements managériaux concernant les Abattoirs ayant déjà été pointés dans le passé (3), on peut légitimement s'interroger, en tant qu'usagers, sur les conséquences de cette réorganisation pour celles et ceux qui travaillaient à la bibliothèque ou qui y travaillent encore.
En 1976, l'artiste Adrian Piper écrivait : « Distribuer l'art dans les livres le rendrait aussi bon marché et aussi accessible que les comics. Et cela changerait beaucoup de chose (4). » Cette utopie mérite des précisions. Mais une institution qui veut « donner à chacun son droit à la culture » par delà « les inégalités sociales, économiques, éducatives, raciales, de genre, etc. (5) » et qui croit à la possibilité que les lieux d'art et de culture soient des « amplificateurs de vie (6) », ne devrait-elle pas prendre en considération tout le potentiel que peut lui offrir une bibliothèque, et la valoriser sans frein ?
Il n'est jamais trop tard.
Madeleine Aktypi, poétesse, artiste et enseignante
François Aubart, commissaire d’exposition indépendant et enseignant en histoire et théorie de l’art
Marie Boivent, enseignante-chercheuse
Sally Bonn, maître de conférences en esthétique
Leszek Brogowski, professeur de philosophie de l'art, fondateur des éditions Incertain Sens et du Cabinet du livre d'artiste, Rennes
Laurence Cathala, artiste et enseignante
Valérie du Chéné, artiste et enseignante
Alex Chevalier, artiste et éditeur
Étienne Cliquet, artiste et enseignant
Claude Closky, artiste
David Coste, artiste et enseignant
Sébastien Dégeilh, designer graphique et enseignant
Brice Domingues, designer graphique et enseignant
Jérôme Dupeyrat, chercheur et enseignant en histoire de l'art
Eléonore False, artiste
Lilian Froger, historien de l'art
Catherine Guiral, designer graphique, chercheuse et enseignante
Anaïs Hay, artiste
Antoine Hoffmann, artiste, enseignant-chercheur
Olivier Huz, designer graphique et enseignant
Quentin Jouret, artiste et enseignant
Sharon Kivland, artiste, écrivain, éditeur
Stéphane Le Mercier, artiste et enseignant
Lise Lerichomme, artiste et enseignante-chercheuse
Françoise Lonardoni, responsable du service culturel au MAC Lyon
Julie Martin, chercheuse en art
Didier Mathieu, directeur du Centre des livres d’artistes, Saint-Yrieix-la-Perche
Stefania Meazza, historienne de l'art et enseignante
Anne Mœglin-Delcroix, professeure émérite de philosophie de l'art, université Paris 1
Nelly Monnier, artiste
Cynthia Montier, artiste et chercheure
Julien Nédélec, artiste
Cyrille Noirjean
Aurélie Noury, responsable du Cabinet du livre d'artiste, Rennes
Manuel Pomar, artiste et directeur artistique
Serge Provost, artiste et enseignant
Hubert Renard, artiste
Mathieu Renard, fondateur de Lendroit éditions
Julie Saclier, artiste auteure
Matthieu Saladin, artiste et enseignant-chercheur
Ana Samardžija Scrivener, professeure d'enseignement artistique – philosophie
Montserrat Sanchez Mercier
Gaëlle Sandré, designer graphique
Benoit Sanfourche, lecteur chercheur, artiste
Adam Scrivener, membre du collectif d'artistes Inventory
Laurent Sfar, artiste et enseignant
Eric Tabuchi, artiste
Mathieu Tremblin, artiste et enseignant-chercheur
Eric Watier, artiste
Elsa Werth, artiste
1. Le fonds donne ainsi accès à une très large part des pratiques éditoriales mises en œuvre par les artistes depuis les années 1960 (art minimal et conceptuel, Fluxus) jusqu'à aujourd'hui. Parmi beaucoup d'autres, citons Alice Anderson, John Baldessari, Robert Barry, Barbara Bloom, Christian Boltanski, Adam Broomberg & Oliver Chanarin, Sophie Calle, Claude Closky, Daniel Gustav Cramer, Hanne Darboven, Tacita Dean, Sabine Anne Deshais, Mirtha Dermisache, Jacqueline de Jong, Herman de Vries, documentation Celine Duval, Peter Downsbrough, Hans-Peter Feldmann, Robert Filliou, Jean-Pascal Flavien et Julien Bismuth, Hamish Fulton, General Idea, Nan Goldin, Dominique Gonzalez-Foerster, Les Guerrilla Girls, Marie-Ange Guilleminot, Roni Horn, Erik Kessels, Sol LeWitt, Richard Long, Sara MacKillop, Annette Messager, Jonathan Monk, Sophie Ristelhueber, Dieter Roth, Allen Ruppersberg, Ed Ruscha, Batia Suter, Bernard Villers, Eric Watier, Lawrence Weiner, etc.
2. Notamment les expositions « Carolee Schneemann » en 2020, « Béatrice Cussol » et « Avatars. L'artiste et ses doubles » en 2018, « Maya Rochat » en 2017, « Thu Van Tran, Écrire et autres Éclats » et « Eric Tabuchi, Tables et Matières » en 2016, « Marc Camille Chaimowicz : Imprimés & Impressions » et « Le livre dans le livre » en 2015, « Art & Project Bulletins » en 2014, ou « 69, année conceptuelle » en 2011.
3. Lire les articles de Médiacités ou de Médiapart : Armelle Parion, « À la veille de l’expo Picasso, malaise au musée des Abattoirs », 12 mars 2019 ; Cécile Andrzejewski, « Dans l'art contemporain, des salariés malades du management », 11 juin 2020.
4. Adrian Piper, « Cheap Art Utopia », in « Statements on Artists’ Books by Fifty Artists and Art Professionals Connected with the Medium », Art-Rite, n°14, hiver 1976-1977, p. 12.
5. « Annabelle Ténèze : Nous savons collectivement que nous devons nous redéfinir », entretien avec Philippe Régnier, 10 mai 2020, The Art Newspaper Daily
6. Idem.
Photographie : la Bibliothèque des Abattoirs (crédits : Jérôme Dupeyrat)
5 Commentaires
Montserrat SANCHEZ MERCIER
05/11/2021 à 13:38
La disparition de l’accès -LIBRE- aux collections d’une bibliothèque en général et de la bibliothèque des Abattoirs en particulier nécessite de nous interroger sur la manière dont nous définissons la diffusion de la connaissance. La question est loin d'être simple, car les implications sont vastes... sociologiques, politiques, économiques, culturelles, éducatives...
Ouverte jadis à tous les curieux de passage; désormais, seulement une poignée des lecteurs distingués pourront être accueillis sur rendez-vous.
Le communiqué de l'ABF d'Avril 2020 nous disait :
"Les bibliothèques sont au cœur de la société et répondent à des besoins essentiels. Elles seront pleinement au service de leurs publics et de leur population dès que notre société pourra reprendre un fonctionnement normal. "
Qu'est-ce qu'un fonctionnement normal ?
du Chéné Valérie, artiste enseignante
07/11/2021 à 09:37
je suis signataire de ce texte
Jean-Marie Blanchet, artiste/enseignant
08/11/2021 à 14:32
Je suis signataire
Laurence Marchadier
08/11/2021 à 21:11
Je suis signataire de ce texte
Agnès Girardeau
10/10/2022 à 09:48
Oui, je m'associe complètement à ces propos et m'efforce de conduire, malgré tout, mes étudiants (cpge art & design) dans cette bibliothèque exceptionnelle et désormais "privatisée" en quelque sorte. Ce n'est pas sans mal car outre le peu de moments accessibles, en droit, il y en a, en fait, encore moins faute de personnel: les congés maladie n'étant pas associés à des remplacements.
Je conduis les étudiants dans ce lieu d'étude et de découverte au moins une fois par an pour que par eux-mêmes ils fassent ensuite la démarche de s'y rendre (et de se plier à toutes les procédures préalables). Mais il serait plus heureux que les choses changent et plus juste.
Agnès Girardeau
Prof de philosophie