Le conservatisme politique semble désormais apparemment révolu. Il n’est plus compensable dans les faits. (Mais gare au miroir aux alouettes !) « L’adaptation à une nature instable s’accorde mal au premier abord avec une culture qui assume au contraire une stratégie de fidélité à la tradition » (Luigi Zanzi).
Comme semble vouloir l’indiquer le résultat des dernières élections municipales 2020, avec une percée particulièrement offensive de la pensée dite « verte » (ou autrement qualifiée de progressiste ?), devenue en peu de temps un véritable système en soi, singulièrement déroutant, « le grand secret de venir à bout de tout consiste dans l’art de savoir mettre la division à propos » (L’art de la guerre, Sun Tsu). Celle-ci dénote un profond changement des mentalités, mais également une nouvelle posture électorale, qui consiste à dire le contraire de ce que l’on pense réellement afin de gagner une relative confiance des masses.
Le tout relayé par des moyens d’action plus conformes à ce que l’on est en mesure de faire et de déclarer publiquement sans pour autant s’engager pleinement — ou ce que l’on appelle communément « le mensonge utile ». « L’histoire est l’émergence d’une coévolution de plusieurs histoires ; sous des contraintes de non-équilibre, de nouvelles structures d’ordre se forment en configuration plus ou moins instable. Cette description qui reconnaît devoir se servir de l’incertain et du désordre n’est pas pour autant contrainte à l’irrationnel, au jeu d’une fabulation arbitraire » (Luigi Zanzi).
Ainsi en moins de vingt ans, sommes-nous passés du « vote sanction », au « vote révolution » (moins pacifique celui-là, dont d’ailleurs l’actuel chef de l’État est le principal protagoniste et initiateur, mais qui semble lui avoir complètement échappé. Car il y a toujours un risque à vouloir produire de l’espérance quand on en ignore la vraie portée spirituelle et son impact sur l’esprit humain) — avec en toile de fond un certain » jeunisme » (rajeunissement des militants citoyens) de bon ou mauvais aloi, l’avenir le dira, mais qui n’a rien dans le cas présent d’une parade, témoignant d’un nouveau paradigme de l’engagement (quelque peu confus il faut bien l’admettre).
Il n’empêche que l’électorat s’est incidemment décalé vers des propositions plus généreuses susceptibles de changer la société et d’inverser logiquement la courbe des réalités, avec une prise de conscience graduée de l’état du monde, y compris sur un plan plus local. Le localisme devient un véritable laboratoire d’idées fécond et structurant, souvent expérimental d’ailleurs. Tous les projets n’éclosent pas de la même manière cependant.
Et les territoires ne sont pas tous identiques. « Dans l’état actuel de nos connaissances, ce qui caractérise l’histoire des relations entre les sociétés et leurs écosystèmes, c’est la course permanente, entre des situations homéostatiques génératrices de stabilité relative par la reproduction de ces relations et des situations de rupture qui compromettent ou à l’inverse développent la capacité d’adaptation des sociétés aux changements définitifs de leur environnement. En fait il n’existe que des équilibres socioécologiques dynamiques à périodes plus ou moins longues ». (Jean-Paul Déléage/Daniel Hémery)
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La bonne stratégie électorale consisterait donc aujourd’hui en premier lieu à évaluer, les attentes et les besoins immédiats des populations quelle que soit leur géographie (en tenant compte du caractère de l’adoption), mais aussi les manques qui paradoxalement trouvent leur origine dans une sorte de peur généralisée insufflée par l’homme lui-même, « Si les politiques ont peur de la révolte, ils auront la révolution » (Jacques Attali). Et qu’il a lui-même produit au cours du temps sans se soucier au préalable des conséquences.
Mais je préfère quant à moi et de loin cette formulation plus adéquate, « Fin de partie, fin de patrie ? Dans un long lamento narcissique, la France n’en finit pas de s’interroger sur son identité. Mais est-il vraiment besoin d’ailleurs de la réactiver ? N’est-elle pas consubstantielle au génie français ? Il s’agit désormais de la revigorer dans un siècle que le nouvel usage du monde a bouleversé ». (Hervé Gaymard). Ainsi, « Il existe des temps sociaux multiples qui interfèrent entre eux et qui doivent leur importance à une espèce de dialectique des durées. Par suite et en second, ni l’événement éphémère et microscopique ni la réalité éternelle et infinie dont le concept est douteux ne fournissent de focalisation commode pour une analyse intelligente ». (Emmanuel Wallerstein).
Une peur dominante et fort peu maitrisée répondant au désir constant de massification et largement amplifiée par tous les médias, crise sanitaire, crise économique et maintenant crise sociale. Et dont la traduction au quotidien vaut pour une sérieuse mise en garde d’un électorat-girouette malmené par une fracture sociale de plus en plus visible dans toutes les couches de la société (mais finalement répétitive) avec des réactions souvent communes dans le mode de fonctionnement.
« L’histoire ne semble jouer qu’un rôle secondaire, le comportement d’un élément ne peut être saisi que dans sa relation à celui des autres éléments et la relation elle-même étudiée que dans son lien circulaire avec les autres relations, le sujet n’est pas appréhendé à partir d’un contenu psychologique, mais à partir de la place qu’il occupe et du rôle qu’il joue dans le système humain auquel il appartient » (Mony Elkaïm).
En clair, et si l’on en revient à la chose spécifiquement politique, l’erreur de casting est désormais fatale, les grands tribuns d’hier ne sont plus ceux d’aujourd’hui ; au sein des partis notamment où les troupes quittent désormais facilement le navire, la tentation de prendre le large est toujours un élément probant d’une plus grande liberté, fut-elle illusoire. On ne croit plus à un certain type de discours en vertu des faits changeants. « Un jour blanc, le lendemain noir ».
Cette formule redondante ne fonctionne plus vraiment. « Par temps grisâtre il faut aller chercher ailleurs son rayon de soleil, sans perdre sa boussole ». (JLFR), au point qu’actuellement celles et ceux qui résistent le mieux en politique, sont précisément celles et ceux en mesure d’appréhender intuitivement le sens du vent, sans se tromper de direction, mais surtout capable de convaincre un électorat indécis et dissident. « Ainsi faut-il se montrer coriace et imbattable », (JLFR) afin de faire passer les bons messages, tout en gommant les stratégies paisibles et surannées.
L’homme politique suffisant et intrinsèquement distant n’a plus sa place dans une société multiple qui évolue et mute à la vitesse grand V. Les utopies ne portent plus les mêmes habits. Elles ont changé d’habitat en reproduisant des cycles saccadés au cœur des événements et faisant fi de la stabilité apparente des institutions. Une telle affirmation n’est pas pour autant alarmante, car elle est établie sur la base du simple constat conventionnel — elle ne réduit pas le socle d’appartenance, antérieur et présent, elle limite simplement les conflits entre les différents pouvoirs en place.
Elle ne forge pas les oppositions à partir de la glaise, mais au contraire libère de la respiration.
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En effet le changement n’est jamais tout à fait inutile, à condition que les nouveaux entrants aient bien compris le sens de leur durée éphémère. Il est admis que leur temps est compté, s’ils ne prennent pas conscience rapidement et justement des enjeux (économiques, industriels, environnementaux, touristiques, culturels, etc.) qui cimentent notre société depuis l’après-guerre (même en prenant la mesure des événements de 1968). On ne gomme pas si facilement l’histoire, c’est certain ! Il y a parfois des revers soudains et éclairants qui alors modifient la donne. Et on ne gouverne pas dans l’ignorance des faits, cette version-là s’avère impossible. Il faut donc en tirer de subtiles conclusions.
Certes, cette jeunesse-là est brillante, admettons-le ! Certes elle semble savoir où elle met ou veut mettre les pieds ; bien que partiellement aventureuse. Mais est-elle en mesure de se guider toute seule sans l’aide de ses aînés ? « Tourner le dos au passé vaut bien une guerre ? » (JLFR), mais faut-il encore que la guerre soit propre. Le nombre de divisions, comme le disait Joseph Stalineen 1935, n’a plus guère de sens, il appartient à un autre âge, nous l’avons bien compris. Et puis il y a les valeurs, mais lesquelles au juste ?
Là encore les confusions sont énormes. Et l’on nage dans les eaux troubles. Leur champ s’est lui aussi décalé ! À qui la faute ? Si toutefois il faut établir un curseur des responsabilités « les analystes de la société entendent quelque chose d’organisé, de cohérent, des relations relativement fixes entre les réalités sociales et les groupes, mais pour les historiens, la structure est sans aucun doute un tout construit, une architecture, mais plus encore une réalité, que le temps n’affecte que peu et qui se maintient sur une longue période ». (Emmanuel Wallerstein). « Entre ordre et désordre, conscient et inconscient, qui tiendra la barre ? » (JLFR) Donc suite au prochain épisode…
À lire ou relire
Ilya Prigogine (sous la direction de), L’homme devant l’incertain, 400 pages, 27,90 euros, Odile Jacob
Emmanuel Macron, Révolution, 144 pages, 17,90 euros, XO
Jacques Attali, Peut-on prévoir l’avenir, 216 pages, 18 euros, Fayard
Jean-Paul Déléage/Daniel Hémery, Le rapport à la nature. N° 91-92, Persée
Hervé Gaymard, Nation et engagement, 64 pages, 4 euros, CNRS
Jean-luc Favre Reymond est un écrivain, critique et journaliste littéraire français né en 1963. Membre (copt) de l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Lyon. C’est un ancien collaborateur du Centre de Recherche Imaginaire et Création de l’Université de Savoie sous la direction du professeur Jean Burgos. Président de l’Institut Territorial de Recherche et d’Application (Moûtiers/France). Membre du Conseil National de l’Education Européenne (AEDE-France). Auteur de 37 ouvrages publiés. Traduit en huit langues.
illustration : La mort de César, Vincenzo Camuccini 1806
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