Mahomet supprimé de La Divine Comédie : Dante victime du “politiquement correct”
Une traduction de La Divine Comédie de Dante expurgée de Mahomet « pour ne pas blesser » : le choix d'un éditeur néerlandais fait couler beaucoup d'encre, avec des accusations de censure qui se multiplient. Le PEN Club français s'inquiète lui aussi de précautions qui finissent par porter atteinte à l'œuvre et à la « dimension transculturelle » de Dante. Nous reproduisons ci-dessous, en intégralité, le texte de l'organisation.
Le 29/03/2021 à 16:44 par Auteur invité
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29/03/2021 à 16:44
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29 mars 2021
Dante à l’épreuve de la « Cancel culture » : Le PEN Club et des associations culturelles franco-italiennes prennent position.
Qui aurait cru que 700 ans après sa mort, Dante passerait sous les fourches caudines du « politiquement correct » et de son nouvel avatar : la Cancel Culture. Et qui plus est le jour, le 25 mars, rebaptisé pour l’occasion Dantedi.
C’est un éditeur néerlandais qui a mis le feu aux poudres en escamotant le nom de Mahomet dans la nouvelle version de La Divine Comédie, chef d’œuvre du poète du Dolce stil novo.
La version de L’Enfer, première partie de grand poème, a ainsi été retraduite par Blossom Books, éditeur néerlandais en omettant le nom de Mahomet pour « éviter que le livre soit inutilement blessant », rapporte De Standaard.
Le périodique spécialisé « ActuaLitté », qui a repris l’information, précise que c’est à l’occasion d’une interview de la traductrice, Lies Lavrijsen, sur une radio belge que l’information a été divulguée : les occurrences du texte italien où figurait la mention de Mahomet ont été supprimées mais les papes, Judas, les meurtriers de César, ou les homosexuels tant décriés par l’Église catholique n’ont pas été exclus.
Cette censure du passé, sous couvert du respect des croyances d’autrui, préoccupe grandement le PEN club français et l’association Italiques, l’une des plus actives associations culturelles de la région parisienne, qui voient dans la généralisation de cette d’attitude un grave danger pour la liberté d’expression.
« À ce train-là, le Moyen-Âge de Dante nous apparaîtra bientôt comme une période de lumières par rapport à notre présent. Ne baissons pas la garde », réagit Jean Musitelli, agrégé d’Italien et président d’Italiques dont l’association croise depuis plus de 20 ans les expériences intellectuelles et politiques avec la Péninsule.
« Aujourd’hui, plus que jamais cette liberté d’expression chèrement gagnée doit redevenir le cœur battant de notre modernité et non l’épouvantail de notre frilosité », confirme pour sa part Antoine Spire, président du PEN Club français qui rappelle les graves précédents d’une époque pas si lointaine, le nazisme, mais aussi celle plus récente où Salman Rushdie a été voué aux gémonies par les fondamentalistes pour avoir osé faire du Prophète un inoffensif personnage de roman.
Cet appel ne laisse pas indifférent les écrivains et intellectuels d’origine italienne regroupés dans d’autres associations comme LINGUAFRANCA, un collectif d’écrivains et de traducteurs franco-italiens promouvant la littérature transnationale ou encore TRANS-IRE, l’université populaire de Martino/Carpitella, dédiée aux transmissions des savoirs et des pratiques transculturels.
« L’ironie de l’histoire, c’est que La Divine Comédie a été fort influencée par la culture arabo-musulmane alors dominante ; certains passages seraient des phrases en arabe réécrites en caractères latins », explique Fulvio Caccia, président de Linguafranca en s’appuyant sur des recherches actuelles. « D’où justement la dimension transculturelle de Dante », rebondit à son tour Morena Campani, cinéaste et fondatrice de Trans-Ire, née à Ravenne, la ville où Dante est mort.
En effet, Le désir, thème de ce Printemps des poètes compliqué, n’aurait pas déplu à l’illustre Florentin, lui qui a fondé la poésie, la langue de l’amour sur la diversité des langues des cours de son époque. À méditer en ces temps obscurs.
Photographie : Carl Harper, CC BY-NC 2.0
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17 Commentaires
NAUWELAERS
29/03/2021 à 22:49
Et à cette contribution du PEN Club français et de ces associations culturelles franco-italiennes qu'ActuaLitté nous fait découvrir (hormis Federica Malinverno j'imagine !), j'ajoute plus bas un extrait de l'entretien passionnant lisible depuis ce 29 mars sur le site de «Marianne» avec le médiéviste franco-américain John Tolan, dont on comprend qu'il est éloigné autant des salafistes que de l'extrême droite: un centriste de bon sens dirait-on et extrêmement cultivé, une espèce qu'on espère encore loin de l'extinction malgré tout, même si elle se raréfie...
Il est l'auteur du livre «Mahomet l'Européen Histoire des représentations du Prophète en Occident» (Albin Michel, 2018).
L'article que je conseille à quiconque est intéressé par cette thématique devenue brûlante ces
temps-ci s'intitule «Mahomet effacé de l'Enfer de Dante» et accessible en son intégralité aux non-abonnés à «Marianne».
Cet article ajoute du grain à moudre au moulin du débat, qui avec de tels intervenants -et l'équipe et le lectorat d'ActuaLitté ! -évite la condition de piteux moulin à vent !
Un élément envahissant et stérile que l'on trouve à foison sur les réseaux plus ou moins sociaux plutôt mais lisez donc ce qu'en dit Tolan, ci-dessous entre guillemets.
«Concernant ce passage de la Divine Comédie, je n’ai jamais entendu parler d’une édition qui aurait volontairement effacé le nom de Mahomet dans sa traduction. En revanche depuis les années 80 en Italie, il y a eu plusieurs alertes liées au passage de ce texte et à son auteur. Ainsi à Florence, la tombe de Dante est-elle régulièrement menacée de profanation. À Bologne aussi, depuis 2015, après les attentats de Charlie Hebdo, les autorités italiennes ont décidé d’imposer une présence policière devant la basilique San Petronio où une fresque de l’Enfer, du peintre Giovanni da Modena, y représente Mohamed parmi les damnés. Cette fresque a fait l’objet de menaces. Si bien que des policiers sont en faction 24 heures sur 24 devant cette église.
Mais pour en revenir au texte en tant que tel, je trouve que ce genre de décision reflète un malaise très important dans nos sociétés avec une mécanique de la peur qui s’installe peu à peu.»
Encore une personnalité crédible qui nous met en garde...
CHRISTIAN NAUWELAERS
Aïe
30/03/2021 à 08:10
« les homosexuels tant décriés par l’Église catholique »
Ce serait bien de se renseigner avant d'écrire n'importe quoi. L'Église condamne l'homosexualité, pas les homosexuels. De même, elle condamne le péché, pas le pécheur.
Bref, elle n'attaque jamais l'homme. Mais pour cela, il faut lire son catéchisme (disponible en ligne sur le site du Vatican : je vous laisse chercher le point sur l'homosexualité).
Jean Tuc
30/03/2021 à 10:31
Dans l'Enfer de Dante (le sujet ici) c'est bien les pécheurs qui sont voués aux enfers. Ce n'est pas l’homosexualité qui brule mais bien des individus homosexuels.
Bref, le poème, au nom de la religion de son époque, est bien homophobe.
Je vous laisse lire le texte dont il s'agit avant de dire n'importe quoi.
Aïe
31/03/2021 à 07:43
Raté : le pécheur va toujours en Enfer (enfin, le pécheur non repenti). C'est la règle aussi :)
Le pécheur peut toujours être sauvé : c'est son péché qui le coule ET son absence de réponse au Salut par la reconnaissance de son péché. C'est donc lui et lui seul qui se coule et il est donc normal qu'il assume jusqu'au bout ses choix.
Parler d'homophobie est de la niaiserie : juste une vision moderne mal plaquée sur une problème ancien. Une faute classique d'anachronisme.
Mais bon, comme aujourd'hui, il ne faut plus penser, mais réagir, et encore, réagir toujours dans le même sens, ce discours est inaudible : les « minorités » veulent être persécutées, car c'est leur seul moyen d'exister. C'est normal : être une « minorité » n'est pas une qualité et on ne peut s'affirmer que par ses qualités.
Ichtus
31/03/2021 à 08:07
Amusant, parce que les minorités chrétiennes n'avaient d'autre moyen d'existence que la victimisation en leur temps.
Serait-ce un réflexe humain ?
Aïe
31/03/2021 à 11:04
Je ne vois pas le rapport. Les minorités chrétiennes étaient effectivement des victimes (elles étaient persécutées... et le sont d'ailleurs toujours dans la majorité des pays musulmans). Contrairement d'ailleurs aux « minorités » agissantes actuelles qui s'inventent la plupart des discriminations pour exister.
En revanche, les chrétiens n'ont jamais prétendu exister et revendiquer leur statut de victimes. Au mieux ont-ils réglé dans leur coin ce statut en érigeant en saint directement tous ceux qui tombaient sous le signe de leur et en ignorant superbement ce que le monde en pensait (et en pense toujours).
Il n'y a donc aucun rapport.
Tybalt
31/03/2021 à 16:17
Et en conclusion, vous avez raison et plein de gens se plaignent pour rien.
Je vous souhaite de voir dans vos cauchemars des détenus de la Seconde Guerre mondiale portant des triangles roses. Vous leur expliquerez votre affaire de persécutions imaginaires. (J'ajouterais bien un substantif exprimant ce que je pense de vous, mais mon message ne passerait plus la modération.)
Aïe
01/04/2021 à 07:44
Tiens, un point Godwin original. Mais bon, ça reste du point Godwin.
Tybalt
01/04/2021 à 19:12
Evoquer des déportés pour cause d'homosexualité n'éveille donc chez vous que cette réflexion : "original" ? Puisque vous faites le malin avec vos godwinades, vous devriez avoir lu sur l'article Wikipédia consacré au point Godwin que "bien que tomber sous le coup de la loi de Godwin soit censé faire perdre de sa crédibilité à la personne qui effectue la comparaison, la loi de Godwin elle-même peut être utilisée de façon abusive comme une source de confusion, une diversion ou même une forme de censure, considérant à tort et de façon fallacieuse l'argument de l'adversaire comme une hyperbole (en l'affublant alors du fameux point Godwin) alors même que la comparaison proposée dans cet argument est en fait appropriée. S'il est intéressant de remarquer la facilité avec laquelle nous établissons des analogies avec Hitler et les nazis, à cause de l'aspect extrême et donc discriminant de ces événements, c'est une autre chose d'en déduire que toute analogie de ce genre est nécessairement abusive. Une critique similaire de la « loi » (ou « au moins une version déformée qui prétend interdire toutes comparaisons avec les crimes allemands ») a été faite par Glenn Greenwald."
J'ajoute que les exemples montrant la fausseté et l'ignominie de votre affirmation selon laquelle les minorités s'inventeraient des persécutions sont légion et que, si vous prétendez les réfuter tous avec des arguments de fin fond de forum PHP, vous n'êtes pas sorti de l'auberge. Mais vous en parvenez déjà à un stade où vous avez cessé d'argumenter pour laisser libre cours au fond de votre propos, qui ne consiste au fond qu'à venir ici vous moquer des malheurs des gens.
Vous ne me répondez que par une surenchère de mépris, sans réelle écoute, ni volonté de discuter. Je vous demande : à quoi bon ?
Aïe
02/04/2021 à 09:58
LOL. Vous êtes du genre à toujours répondre pour avoir le dernier mot ? Vous avez juste perdu le débat en avançant (bien prématurément) un argument godwinesque, preuve absolue de votre manque de capacité à interagir intelligemment sur le sujet.
J'en resterai là pour ma part. Joyeuses Pâques à vous.
Τybalt
02/04/2021 à 10:33
Vous apportez la preuve de ce que j'avançais plus haut : vous êtes dans le mépris et la moquerie envers les autres, au détriment d'une réelle discussion de fond sur le sujet. Vous répétez "point Godwin, point Godwin" et vous vous acharnez sur moi, en oubliant complètement qu'au départ vous postez sur un espace de discussion public pour échanger au sujet d'un article de presse. Qui, ici, cherche à tout prix le dernier mot ?
Marie
30/03/2021 à 08:42
C'est lamentable et stupide, les futurs lecteurs hollandais de "La divine comédie" sont avertis. Sans cette information, qui eût imaginé que Mahomet était cité par Dante, dans son "Enfer"??
NAUWELAERS
30/03/2021 à 10:50
Marie,
Je ne comprends pas.
Mahomet est très important dans ce classique de Dante...(même sans l'avoir lu c'est vrai mais on le sait parfaitement)!
C'est pourquoi cette censure est indigne.
CHRISTIAN NAUWELAERS
Victor
30/03/2021 à 10:08
Réflexion faite, c'est plutôt une bonne idée. Supprimons donc toutes les références à Mahomet, l'islam et aux musulmans dans toute la sphère publique. Ainsi, plus de références = plus de revendications !
Tybalt
30/03/2021 à 12:23
Bon. Un éditeur prend une décision stupide. C'est bien de lui dire que ce qu'il fait est stupide. Il suffit de mettre des notes de bas de page pour replacer l'oeuvre dans son contexte, comme toutes les bonnes éditions.
Voilà. Maintenant, si on peut éviter les généralisations excessives, qui versent dans un excès inverse tout aussi stupide, ce sera encore mieux. Rappelons que tout le reste des éditions de Dante est fidèle au texte réel de l'oeuvre.
NAUWELAERS
03/04/2021 à 23:22
Dans une chronique au vitriol: «Dante censuré», mise en ligne le 2 avril mais publiée dans l'édition des 3 au 5 avril (week-end pascal) du quotidien belge «Le Soir», le responsable de la rubrique littéraire de ce journal Jean-Claude Vantroyen -qui très gentiment et honnêtement fait référence à ActuaLitté - s'insurge avec fougue contre cette traduction hollandaise tronquée et totalement malhonnête de «La Divine Comédie».
Comme il le fit il y a peu contre une autre félonie commise dans ce pays, lorsqu'un éditeur a privé de son travail de traduction du livre d'Amanda Gorman «The Hill We Climb» un ou une traducteur-traductrice non binaire (bon je ne sais pas quel genre employer, désolé !) mais en tout cas un ou une pro de très haute volée qui a obtenu l'International Booker Prize...mais sans avoir la bonne couleur de peau ni le même type de vécu qu'Amanda Gorman.
Un véritable affront à la littérature et au monde de la traduction.
Pour cette affaire encore plus récente de Mahomet -donc Dante- censuré dans cette nouvelle traduction de «La Divine Comédie», je laisserai le dernier mot à Jean-Claude Vantroyen.
Qui lutte contre le virus de la «cancel culture» avec une efficacité tout à fait probante, en inoculant au lectorat le bienfaisant vaccin garanti sans effets secondaires de sa lucidité irréfragable !
Ci-dessous, entre guillemets: les commentaires de Jean-Claude Vantroyen qui closent avec une cinglante et pertinente maestria sa chronique qui constitue un jalon dans cette bataille des idées qui fait rage en ce moment.
Y compris sur ce site.
« Le respect envers les croyances ne permet pas la censure du passé. On ne réécrit ni l’histoire ni la littérature : on fournit les clés pour les comprendre.»
CHRISTIAN NAUWELAERS
CITATION CI-DESSUS: JEAN-CLAUDE VANTROYEN
Tybalt
04/04/2021 à 12:04
La fougue, l'indignation, les batailles, les exclamations, les qualificatifs vigoureux, énergiques, paroxystiques... tout cela est fatigant. Et excessif, dans le cas présent. On parle après tout d'un unique éditeur maladroit, quelque part aux Pays-Bas. On peut discuter de tout cela dans le calme et le respect mutuel, qui n'ont jamais exclu la fermeté. Je vous rejoins : il semble qu'on n'a jamais eu autant de mal à communiquer que depuis que les réseaux autoproclamés "sociaux" se sont mis en tête de nous "garder en contact". En contact, ou en collision permanente ? Merci, en tout cas, pour l'article et la volonté d'élever le débat.